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LE SCULPTEUR

JACQUES D'ANGOULÊME.

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Parmi les artistes qui figurent, à de longs intervalles dans le catalogue de nos notabilités, il en est un qui a mérité sa page dans l'histoire des beaux-arts, et dont il est juste de consigner le souvenir dans les actes de la Société archéologique et historique de la Charente.

Je veux parler de cet habile sculpteur appelé maître Jacques ou Jacques d'Angoulême, du nom de la cité qui lui a donné le jour, sans que rien cependant puisse nous dire à quelle famille il appartenait, et quelle fut l'époque de sa naissance et celle de sa mort.

Nous savons seulement par Blaise de Vigénère et Jules-César Boulenger, que Jacques d'Angoulême, étant à Rome en 1550, fut assez hardi pour oser concourir avec Michel-Ange pour une figure de saint Pierre, et qu'il eut l'honneur insigne de triompher de ce glorieux adversaire, au jugement de tous les maîtres, même italiens. On conservait aussi à la bibliothèque du Vatican «< pour un très excellent joyau», dit Vigénère, et pro miraculo, dit Boulenger, trois figures de cire faites par cet artiste, et représentant la première un homme vivant; la seconde, un écorché avec ses muscles, nerfs, veines et artères; etla troisième, un squelette contenu par ses ligaments. Vigénère atteste en outre avoir vu du même sculpteur la statue de marbre de l'Automne, qui ne le cédait en beauté à aucune autre statue moderne, et décorait la grotte du château de Meudon, où Boulenger dit l'avoir admirée en 1589.

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Je dois faire observer qu'il résulte clairement de la manière de s'exprimer de Vigénère, qu'il préférait le sculpteur Jacques, non-seulement à tous les sculpteurs français ses contemporains, mais à Germain Pilon lui-même. Voici sa phrase: «< Mais le plus excellent imagier françois, << tant en marbre qu'en fonte: j'excepteray tousjours

« un maistre Iacques, natif d'Angoulesme, qui, l'an 1550, «< s'osa bien parangonner (comparer) à Michel l'Ange pour « le modèle de l'image de sainct Pierre à Rome, et de faict <«<l'emporta lors par dessus luy au jugement de tous les « maistres, mesme Italiens; et de luy encore sont ces trois << grandes figures de cire noire au naturel, gardées pour un << très excellent joyau en la librairie du Vatican, dont l'une « monstre l'homme vif, l'autre comme s'il estoit escor«< ché, les muscles, nerfs, veines, artères et fibres, et <«< la troisiesme est un skeletos, qui n'a que les ossemens << avec les tendons qui les lient et accouplent ensemble. << Plus un Automne de marbre qu'on peult veoir en la grotte <«< de Meudon, si au moins y il est encore, car je l'y ay veu <«< autresfois, ayant esté faict à Rome, autant prisé que <«< nulle autre statue moderne : — le plus excellent donc<«<ques sculpteur françois, ny autre de deçà les monts, <«< a esté maistre Germain Pilon, décédé en l'an 1590. »>

(Images ou Tableaux de plate peinture de Philostrate, mis en françois par Blaise de Vigénère, Paris, 1597, 2 vol. in-4o et autres éditions. — Voir l'Annotation sur le Satyre de Callistrate, dans le tome second.)

Ces paroles de Vigénère me paraissent être la source où ont puisé le petit nombre des auteurs qui ont parlé de Jacques d'Angoulême, sans en excepter Jules-César Boulenger, qui cependant nous dit aussi avoir vu de ses propres yeux la statue de l'Automne dans la grotte du châ

teau de Meudon (de Picturâ, Plastică et Statuariâ, lib. II, cap. 7).

La gloire tient à bien peu de chose! Le nom du sculpteur éminent qui l'emporta momentanément sur le créateur de l'art moderne, serait entièrement enseveli dans l'oubli, sans le soin qu'ont pris deux auteurs, bien médiocres d'ailleurs, de l'enregistrer dans leurs écrits; aussi pas une Biographie, pas même l'Universelle, ne l'a mentionné dans ses colonnes, et il faut remonter au seizième siècle pour suppléer au silence de trois cents ans de nos distributeurs de renommée.

Je dois faire remarquer cependant qu'un écrivain consciencieux, M. Émeric David, de l'Institut, ne craint pas d'avancer dans ses Recherches sur l'Art Statuaire (Paris, 1805, in-8°), que Jacques d'Angoulême « est de nos ha«biles statuaires le moins connu, et un de ceux qui mé«< ritent le mieux de l'être. » Cette justice rendue à notre compatriote ayant blessé la susceptibilité nationale du noble comte Cigognara, président de l'Académie des beauxarts de Venise, qui, dans son Histoire de la Sculpture (Storia della Scultura, Venez., 1813-18, 3 vol. in fol.), n'accorde qu'à l'Italie seule de posséder les secrets de ce grand art, M. Émeric David n'en a pas moins persisté plus tard (Revue encyclop., 1819 et 1820) dans ses paroles d'admiration pour le vainqueur de Michel-Ange.

P. Monier dans son Histoire des Arts qui ont rapport au Dessin (Paris, 1698, in-12), et M. Desbrandes dans son Histoire manuscrite d'Angoumois (tome 2), ont consacré quelques lignes à maître Jacques. J'en ai parlé moimême, dès 1833, dans le tome XV des Annales de la Société d'Agriculture, Arts et Commerce de la Charente, et neuf ans plus tard, dans le Charentais du 30 novem

bre 1842. C'est cette même Notice, modifiée par quelques corrections, que je reproduis aujourd'hui.

C'est jusqu'ici tout ce que l'on sait de certain sur cet artiste si digne d'intérêt, et il serait impossible pour le moment d'affirmer que ses ouvrages n'ont pas été entièrement détruits. Espérons néanmoins que des recherches intelligentes pourront faire découvrir, dans notre province ou dans les provinces environnantes, quelques lambeaux négligés de l'œuvre de notre maître Jacques.

Voici un renseignement curieux, destiné peut-être à lever l'un des coins du voile qui nous cache la solution de ce problême artistique.

On vient de fonder dans la Haute-Vienne, à l'instar de notre Compagnie, une Société archéologique et historique du Limousin. La première livraison de son Bulletin renferme, parmi plusieurs documents d'une haute importance, un mémoire vraiment remarquable de M. l'abbé Texier sur l'étude de l'art Limousin, dans lequel l'auteur donne la description du tombeau de Jean de Langeac, évêque de Limoges, décédé en 1541, et l'accompagne d'une planche gravée sur bois, représentant Les Cavaliers de l'Apocalypse, qui avait déjà figuré dans le Magasin pittoresque de l'année 1842 (1). M. l'abbé Texier nous apprend que Jacques d'Angoulême serait, selon quelques-uns, l'auteur de ce monument funéraire qui décore le pourtour intérieur du choeur de la cathédrale de Limoges.

Mais je laisse parler ici le savant ecclésiastique :

(1) Cette planche est reproduite ici par le procédé de transport, aussi ingénieux que fidèle, inventé dès 1832 par notre compatriote, M. Châtenet, lithographe.

<«< Le tombeau de Jean de Langheac, élevé après 1541(1), est justement admiré comme une des œuvres les plus remarquables de la Renaissance. Quelques personnes ont voulu y reconnaître le faire de Jean Goujon; selón d’autres, il pourrait bien être l'œuvre de ce Jacques d'Angoulême qui fut le rival heureux de Michel-Ange. Nous répétons quelques traits d'une description déjà publiée par nous (Magasin pittor.). Le soubassement et l'entablement en attique sont occupés par des bas-reliefs dont le sujet est emprunté à l'Apocalypse. Nous publions l'esquisse d'un de ces tableaux ; voici le texte qui a inspiré le sculpteur :

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«< 2. Et je vis; et voici un cheval blanc; et celui qu'il portait avait un arc, et une couronne lui fut donnée; et, vainqueur, il sortit pour vaincre.

«< 3. Et, lorsque le second sceau fut ouvert, j'entendis « un animal qui disait : «Venez et voyez ».

« 4. Et il sortit un cheval roux ; et il fut donné à celui «< qu'il portait d'enlever la paix de la terre; un glaive lui << fut remis.

« 5............. Et voici un cheval noir; et celui qui le montait « avait une balance à la main.

(1) Je me permettrai de faire une observation de peu d'importance à M. l'abbé Texier. Je crois qu'il ne fallait pas écrire après 1541, mais avant le 25 juillet 1541, date de la mort de Langeac, attendu que ce prélat s'était fait élever lui-même son tombeau de son vivant, tumulum sibi paravit magno sumtu (Gallia christiana, tom. II, col. 539).

M. Labouderie, auteur de l'article Langeac dans la Biographie universelle (tome 23, page 354 et suiv.), a pris la date du testament de cet évêque (22 mai 1541) pour celle de son décès.

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