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Innocent I, écrivant à Decentius, déclare inutile d'envoyer le « ferment » aux paroisses, quoiqu'il déclare l'envoyer aux prêtres de Rome qui, retenus le jour de Pàques par les soins de leur église, ne peuvent communier avec lui, afin qu'en ce jour surtout ils ne se croient pas séparés de sa communion'. Enfin, pour effleurer, mais non pour épuiser cette vaste et intéressante matière, nous rappellerons que les évêques s'envoyaient des pains comme Eulogies ainsi saint Paulin, évêque de Nole au commencement du ve siècle, en envoie à divers et à saint Augustin entre autres. Plus tard, les papes Calixte et Formose, d'après Flodoard, en envoient à Charles le Simple. Et cet usage devait être général d'individu à individu, car le concile de Laodicée, en 366, défend de recevoir des hérétiques des Eulogies qui sont plutôt des malédictions que des bénédictions.

Pour revenir aux Agapes, nous voyons que leur caractère principal est d'être une œuvre de charité et de fraternité méprisée de quelques-uns, que le concile de Gangres, tenu en 340, est obligé d'anathématiser. Mais, malgré les efforts de l'autorité ecclésiastique pour maintenir la pratique des Agapes en en éloignant les désordres, il faut croire que le nombre des chrétiens augmentant, la fraternité put se changer en promiscuité, et qu'il devint nécessaire de couper le mal dans sa racine en en supprimant la cause. C'est à saint Ambroise, archevêque de Milan, que revient l'honneur d'avoir le premier changé la discipline de l'Église en ce point. Saint Augustin raconte, dans ses « Confessions que Monique sa mère, apportant, à la mode de l'Afrique, des mets, du pain et du vin, le portier (ostiarius) lui défendit l'entrée de l'église, parce que l'évêque l'avait défendu 2.

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Alors, de tous côtés et à l'envi, les évêques suppriment cette pratique séculaire: saint Paulin, dans ses vers, regrette que ces joies des Agapes n'aient pas un but sacré, et qu'elles éclatent au milieu des sacrés parvis:

Verum utinam sacris agerent hæc gaudia votis ;

Nec sua liminibus miscerent gaudia sanctis.

Puis bientôt le concile de Laodicée, en 366, défend de célébrer l'Agape dans l'église, d'y manger ou de s'y coucher 3.

L'usage des Agapes étant abandonné en Europe, saint Augustin le combat

4. « ......... Quia die ipsa propter plæbem sibi creditam nobiscum convenire non possunt, idcirco fermentum a nobis confectum per acolytos accipiunt, ut se a nostra communione, maxime illa die non judicent separatos ». Apud COLLIN, p. 55.

2. « Confessions » de saint Augustin, 1. vi, c. 2.

3. «Non oportet in basilicis seu ecclesiis agapen facere, et intus manducare, vel accubitus sternere..... D Apud BARONIUM.

en Afrique, tantôt directement par sa parole, tantôt indirectement par ses conseils à Aurelius, évêque de Carthage; et c'est sous son influence que le concile de cette ville les supprima en 397'. Puis saint Augustin ne cessa de combattre, en voulant les transformer en aumônes pour les pauvres, ces débauches et ces festins que faisait dans les cimetières un peuple charnel et ignorant, croyant ainsi, non-seulement honorer les martyrs, mais encore consoler les morts 2. Enfin le pape Grégoire concède aux Anglais, nouvellement convertis, de célébrer l'Agape sous des tentes élevées en branchages dans le voisinage de l'église.

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Mais l'Agape, supprimée en tant que représentation matérielle de la première Cène qui accompagna l'établissement eucharistique, dut subsister sous une forme symbolique, et, ce symbole, ce fut la distribution des offrandes ou oblations, que nous indique le passage de Cabasias cité plus haut. Cette distribution subsiste encore de nos jours.

Ces oblations, trop abondantes pour être distribuées aux fidèles, étaient aussi la nourriture du clergé 3 et des pauvres. Si saint Cyprien, au milieu du u siècle, reproche à la femme riche de passer devant le tronc sans le regarder, de venir sans offrande et, communiant avec l'offrande du pauvre, de croire ainsi célébrer le jour du dimanche 4; si saint Augustin, au commencement du ve siècle, conseille à l'homme qui se respecte d'apporter l'oblation sur l'autel, et le fait rougir de communier avec celle du pauvres, il nous faut arriver jusqu'aux

4. «< Ut nulli episcopi vel clerici in ecclesia conviventur, nisi forte transeuntes, hospitiorum necessitate, illic reficiantur...; populi etiam ab hujusmodi conviviis, quantum fieri potest, prohibeantur ». - 3o concile de Carthage. Canon 30. Apud BARONIUM, t. VI, p. 403 et passim.

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2. « Istæ in cemeteriis ebrietates et luxuriosa convivia, non solum honores martyrum a carnali et imperita plebe credi solent, sed etiam solatia mortuorum. » — - Ibid.

3. Les oblations étaient même la subsistance du clergé, et leur origine remonte aux lois de Moïse. Adoptées par la loi nouvelle à l'abri du nom de saint Paul, elles subsistent encore aujourd'hui, ayant perdu une partie de leur caractère et surtout de leur importance. Du reste, les oblations sont justifiées et défendues, avec une grande vivacité, par un curé qui avait sans doute à se plaindre des empiétements de sa fabrique, dans le « Traité des oblations, ou défences du droit imprescriptible des curez sur les oblations des fidèles », par M. GUY DRAPPIER, prestre, curé de Saint-Sauveur de Beauvais. Petit in-8°, Paris, MDCLXXXV.

4. « Locuples es et dives, et dominicum celebrare te credis, quæ corbonam omnino non respicis; quæ ad dominicum sine sacrificio venis; quæ de sacrificio quod pauper obtulit sumis ». ».--SANCTI CYPRIANI, « Liter de Operibus et Eleemosynis ». Apud COLLIN, p. 35.

5. « Oblationes quæ in altario consecrentur, offerte: erubescere debet homo idoneus, si de aliena oblatione communicaverit ». SANCTI AUGUSTINI, « Sermo de Tempore », ibid.

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XIII.

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capitulaires de nos premiers Carolingiens pour trouver codifié l'emploi du produit des oblations. «Les prêtres, y est-il dit, doivent être instruits et avertis, jusqu'à ce qu'ils en soient bien convaincus, que les dîmes et oblations qu'ils reçoivent des fidèles sont le bien des pauvres, des hôtes et des voyageurs, et non le leur, et qu'ils n'en doivent user que comme administrateurs. Les saints canons indiquent le mode de partage. Qu'on en fasse quatre parts : une revient à la fabrique de l'église, l'autre doit être distribuée aux pauvres, la troisième appartient aux prêtres et à ses clercs, et la quatrième à l'évêque » '. «Que le peuple chrétien soit instruit de faire les oblations et la paix dans l'église, disent encore les capitulaires, parce que l'oblation apporte un soulagement à l'âme de celui qui la fait, et parce que la paix indique l'unanimité et la concorde » 2. L'oblation devait être faite chaque dimanche, et reçue en dehors des limites de l'autel (« septa altaris »).

Les capitulaires d'Hérard, archevêque de Tours, écrits en 828, distinguent les oblations des prémices des fruits que l'on doit offrir à l'église, et Baronius appelle les premières l'« oblata », tandis que les secondes et tout ce qui s'offre à Dieu, ne reçoit que le nom d'« oblatio ».

Mais de même que l'échange est la forme la plus primitive du commerce, l'impôt en nature ne peut convenir qu'à des sociétés encore dans l'enfance; et j'imagine que ces offrandes de pain et de vin, fort poétiques dans les idylles chrétiennes, et pouvant à la rigueur bien faire dans un tableau, étaient en réalité un tribut fort incommode que le clergé dut avoir hâte de transformer. Les constitutions de rentes, la dîme, que nous venons de voir citée déjà au 1x siècle dans les capitulaires, les donations de terre, les redevances, furent la nouvelle matière du domaine de l'Église, tandis qu'une offrande de pain, d'un gâteau quelconque représenta l'antique « oblata », comme nous le dirons dans un autre article.

4. « Capitularia regum Francorum », 2. « Capitularia regum Francorum »,

2 vol. in-f, Paris, MDCCLXXX, vol. I,
vol. I,
p. 855.

p. 1404.

ALFRED DARCEL.

LES URNES DE CANA

AU DIRECTEUR DES <«< ANNALES ARCHÉOLOGIQUES ».

Paris, 15 février 4853.

Monsieur et cher Directeur, l'avant-dernier numéro des « Annales contient une lettre très-intéressante, de M. Petit de Julleville, sur deux urnes de Cana, perdues ou égarées pendant la première révolution. Je ne viens pas, malheureusement, compléter les curieuses recherches de votre correspondant et vous mettre sur la trace de ces précieux débris; mais je puis vous signaler l'existence d'objets du même genre, que le pieux respect des fidèles a soigneusement conservés jusqu'à nos jours. Dans tous les pays, les vases, ou fragments de vases, que la tradition désigne comme ayant servi aux noces de Cana, sont l'objet d'une vénération bien légitime, et toujours respectable, quoique déplacée quelquefois, car, il est probable qu'en réunissant tous les monuments de ce genre déposés dans les églises de l'Europe, on arriverait à dépasser le nombre six indiqué par l'Évangile comme celui des urnes de pierre sanctifiées par le miracle de NotreSeigneur. M. Godard-Faultrier nous en a fait connaître une dans le plus grand détail. M. Petit de Julleville et M. le baron de Guilhermy en ont signalé deux aux recherches des archéologues. Venise en possède une quatrième, et je compléterai la liste en vous annonçant qu'il en existe deux autres à Hildesheim et à Quedlinburg. Mais il est plus que certain que d'autres « Urnes de Cana » ne manqueront pas de se produire : c'est une raison de plus pour étudier les caractères d'authenticité qu'elles présentent, et vérifier l'ancienneté des traditions qui s'y rapportent. M. Godard-Faultrier n'a-t-il pas lu dans un ancien manuscrit que le monastère de Saint-Florent, près Saumur, en possédait une? De même, à Magdebourg, les chroniques locales en signalent une autre, conservée dans la cathédrale, et on y montre encore aujourd'hui, sous ce nom, un fragment de colonne antique provenant de l'ancienne décoration du chœur. Il faut

donc, avant nouvelle vérification, nous en tenir à celles qui existent encore, puis comparer les fragments et les citations, car il peut se faire que cette surabondance provienne de la multiplication d'un même objet par suite de ses diverses mutations.

Des deux vases que je vous annonce, l'un est entier, celui de Quedlinburg; l'autre a été brisé en 1662, et il n'en reste qu'un fragment conservé dans le trésor de la cathédrale d'Hildesheim. Le premier est en travertin blanc jaunâtre, veiné de noir, en partie translucide, de forme antique allongée, haut de seize pouces et demi sur douze de diamètre. Ne l'ayant pas vu moi-même, je ne puis vous donner aucun détail sur la nature et le style de l'exécution, et je me borne à enregistrer ces détails que je dois au docteur Kratz, d'Hildesheim. Selon la tradition locale, ce vase aurait été rapporté d'Orient par l'impératrice Théophanie, femme de l'empereur Otton II.

Quant au fragment d'Hildesheim, je l'ai vu moi-même, à mon dernier voyage en Allemagne. Il est en porphyre rouge, tacheté de noir et de blanc, enchâssé dans une monture d'argent de l'année 1662. Sur cette monture, on lit une longue inscription latine qui retrace les principaux traits de l'histoire de l'urne. Il résulte de cette inscription, et des chroniques locales les plus authentiques, que ce fut en l'année 1020 que cette « Urne de Cana » (HYDRIA CANA GALILE.E) fut donnée au couvent des bénédictins d'Hildesheim par l'évêque saint Bernward. Ce savant prélat avait été chargé par l'impératrice Théophanie de l'éducation du jeune empereur Otton III, de 987 à 992, avec le concours de l'abbé bénédictin Gerbert, depuis pape sous le nom de Sylvestre II. Séparés par la nomination de saint Bernward au siége épiscopal d'Hildesheim, le maître et l'élève restèrent unis par les liens de l'amitié la plus vive qui se traduisait, de la part de ce dernier, par l'envoi de présents considérables. Parmi ces témoignages de la munificence impériale se trouvait l'« Urne de Cana», rapportée aussi d'Orient, dit-on, par l'impératrice elle-même. Ce précieux monument fut destiné par saint Bernward à l'église Saint-Michel, qu'il avait fait construire lui-même pour l'ordre des Bénédictins, et qu'il avait enrichie d'une foule d'objets d'art, œuvres de ses propres mains, ou de son génie créateur. Il fondit et cisela lui-même une grande couronne ardente, en bronze doré et argenté, au milieu de laquelle il suspendit l'urne de Cana soutenue par des chaines de vermeil. Pendant plus de six siècles, le choeur de l'église Saint-Michel fut éclairé par cette curieuse combinaison, jusqu'en l'année 1662, où le vandalisme protestant porta la dévastation et le ravage dans l'antique abbaye. La couronne ardente fut arrachée de ses supports par des mains impies et précipitée à terre, où elle fut brisée ainsi que l'urne de porphyre. Les fragments de cette dernière, recueillis par l'évêque Jean V1, et

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