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lette, la seconde bleu clair, et la troisième d'un jaune incandescent. Ces mains symboliques, placées au plus haut de la mitre, indiquent clairement que les bénédictions des pontifes ne sont qu'une émanation d'une bénédiction supérieure. Saint Pierre transmet cette bénédiction au centenier Cornelius et à Tabitha (surnommée Dorcas), qui sont à genoux à ses côtés, semblant lui rendre grâces: le premier', de l'avoir fait chrétien en lui administrant le baptême; la seconde 2, de l'avoir rendue à la vie mortelle. Il n'y a pas à se méprendre sur ces personnages: leurs noms sont inscrits au-dessus de leurs têtes, en lettres onciales brodées de soie blanche et d'argent alternativement.

Le vêtement de l'apôtre pontife se compose d'une aube blanche, d'une dalmatique d'or à parements violets et de la « casula » antique, par-dessus laquelle est passé le pallium. La tiare, conique sans couronne 3, est enrichie de lames d'or autrefois rehaussées de pierres ou de perles fines, mais une rangée de points décousus en accuse la disparition.

Vêtu d'une ample cagoule, Cornelius a rejeté son coqueluchon en arrière; il est tête nue, tandis que la veuve de l'Écriture est coiffée d'un voile ou «dominical » assez élégamment ajusté; sous sa longue robe traînante elle porte un surcot violet, dont on n'aperçoit que le bout de manche serré.

Sur le front opposé de la mitre on retrouve les deux mains bénissantes, figurées exactement de même. Au-dessous est représenté saint Éloi, la tète décorée d'un nimbe d'or à arcature violette. Son costume épiscopal se compose de la mitre verte galonnée d'or, de l'aube et des sandales blanches, de la dalmatique fauve «orfrassée» d'or et, par-dessus le tout, de la chasuble infundibuliforme en drap d'or doublé de tanné. A son cou pend un pli de l'amict. Le banc, le trône sur lequel il est assis, est en bois de chêne, doré sur les moulures et tapissé de coussinets violets d'une broderie relevée et symétriquement piquée en losange. Le prélat bénit de la main droite; de la gauche il tient sa crosse et son marteau d'orfévre. L'un de ses pieds est posé sur un escabeau en chêne exécuté au point « traîné », pour imiter les veines du bois.

4. « Actus apostolorum », cap. x.

2. « Actus apostolorum », cap. IX.

3. Boniface VIII (4303) et Benoit XII (4342) sont les deux premiers papes qui aient été figurés sur des monuments avec la tiare à une, double ou triple couronne. Mais, avant l'addition de ces insignes symboliques, la tiare conique n'en était pas moins l'attribut exclusif du souverain pontife. Les archéologues qui ont avancé que quelques évêques avaient obtenu le privilége de porter cette coiffure conique ne peuvent articuler aucune preuve à l'appui de cette assertion; c'est ce qui a induit en erreur Willemin, lorsqu'il a donné, pour la représentation de l'évêque Fulbert, le saint Clément, pape, qui est sculpté à la porte gauche du portail méridional de la cathédrale de Chartres.

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La crosse a la hampe verte, le nœud et la volute d'or; le marteau est aussi réservé du fond de l'étoffe et monté sur un manche de couleur tannée.

Devant le saint prient un seigneur et une dame vêtus à la mode du temps. Le premier est coiffé d'un béguin de linon noué sous le menton. De sa longue robe à coqueluchon et de couleur fauve, nuée de fils verts, sort la manche étroite de son surcot en drap d'or. L'ajustement de la femme consiste en un voile blanc nué de vert et en une tunique bleu clair, ombrée de violet, rehaussée de blanc dans les lumières. La manche du surcot est aussi « couchée d'or à petits points ». Tous deux ont la chevelure d'un blond ardent; ils portent, comme les pèlerins, une panetière d'or suspendue à une bandoulière de mêine métal passée en sautoir.

On ne trouve dans aucune des légendes de saint Éloy quels peuvent être ces deux personnages. Si l'on avait voulu désigner le roi Khlother et la reine Bathilde, qu'il convertit à la foi chrétienne, évidemment on leur aurait donné les insignes de la royauté. Aussi sommes-nous plus porté à croire que ce sont les donateurs de la mitre qui, suivant la mode du temps, offrent cette espèce d'œuvre d'orfévrerie en se plaçant sous le patronage du saint orfévre. Ce qui fortifie cette opinion, c'est que le costume, la coiffure et les traits du pèlerin rappellent exactement le portrait d'Enguerrand de Marigny tel qu'il est reproduit dans les « Vies des hommes illustres » publiées par Thevet, page 274. Si l'on se reporte au sujet traité sur l'autre côté de la mitre, il semble qu'on ait voulu établir une analogie piquante entre le surintendant des finances de Philippe le Bel et le charitable centenier de l'Évangile; par conséquent Alips de Mons', femme d'Enguerrand, serait mise en parallèle avec Dorcas, dont les chefsd'œuvre de couture furent admirés par les veuves et le prince des apôtres. Cette comparaison indiquerait-elle que les merveilleuses broderies que nous avons sous les yeux sont sorties des mains de la noble dame pour les offrir à son beau-frère? Nous abandonnons tout à fait pour ce qu'elle vaut cette explication un peu recherchée; mais ces jeux d'esprit étaient bien dans le goût de l'époque, et l'art de la broderie, poussé à cette perfection, a toujours été un passe-temps fort louable pour les dames de la cour, mais contre lequel ne pouvaient lutter des mains mercenaires.

De légères broderies enrichissent encore la pièce d'étoffe qui forme soufflet

4. Les persécutions de Charles de Valois s'exercèrent jusque sur la veuve de sa victime; pendant dix ans elle fut retenue prisonnière sous prévention de sorcellerie et accusée d'avoir envoûté le roi. On sait que cette pratique consistait à modeler une figure de cire à l'image de la personne dont on voulait tirer vengeance : la croyance était qu'elle souffrait de toutes les cruautés que l'on exerçait sur elle en effigie.

XIII.

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au sommet extérieur de la mitre, ce sont des tiges d'églantiers « couchées d'or >> et garnies de feuilles mortes. De ces capricieux rinceaux s'échappent alternativement des boutons rosés, des fleurs épanouies, que rehaussent des calices ou des étamines d'or. Il est assez singulier de retrouver la même ornementation brodée sur le riche « chapel » qu'Étienne Lafontaine, argentier du roy, fit exécuter en 1350 pour «Johan le fol du roy » Ce chapel fourré d'hermines était « couvert d'un rosier, dont la tige estoit d'or de Chypre et les feuilles d'or ouvré, les roses ouvrées de grosses perles, garni de menus orfrisiers ». Du reste, au moyen âge, les vêtements de soie brodés et historiés jouirent longtemps d'une très-grande vogue à cause de leur prix excessif. M. Jules Quicheat, dans son « Histoire du costume en France au XIVe siècle » nous apprend que Philippe le Hardi avait telle pièce, brodée de ses armes, qui lui avait coûté 800 livres (environ 30,000 francs de notre monnaie actuelle). Ghiberti raconte, dans ses mémoires, qu'il exécuta, vers 1439, pour le pape Eugène IV, une mitre brodée d'or; le devant présentait le Christ sur un trône entouré d'anges, et, du côté opposé, la Vierge était assise sur un siége porté par des anges au milieu des quatre évangélistes. Au XVIe siècle, Perino del Vaga composa encore plusieurs sujets de la vie de saint Pierre pour être brodés sur une chape du pape Paul III.

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Un cordonnet de soie mordoré dissimule sur la mitre de Jean de Marigny toutes les coutures d'assemblage; on ne voit pas de traces qui indiquent que cette mitre ait jamais eu de fanons pendants.

EUGÈNE GRÉSY,

Membre de la société des antiquaires de France.

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