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caractère de la fin du XIIIe siècle. En second lieu, l'office du Saint-Sacrement ne se trouvait pas d'abord dans le volume; il y fut intercalé plus tard, dans trois feuilles dont l'écriture et la pagination diffèrent de celles du manuscrit. Notre volume fut donc écrit soit avant l'institution de la fête du Saint-Sacrement, en 1264, par Urbain IV, soit avant la célébration de cette fête en France, trèspeu de temps après son institution même. Du reste, ces preuves sont superflues devant ce qui suit. Ce manuscrit, par une précieuse exception, porte la date et le lieu de sa naissance, et cela en toutes lettres, dans le corps même de l'ouvrage. En effet, la troisième partie, ou le propre des saints, est précédée des rubriques qui doivent diriger dans la concurrence des fêtes. Or, ce petit traité porte pour titre, écrit en encre rouge, en rubrique : « Usus Cathalaunensis Ecclesiæ in divinis officiis»; puis, il débute ainsi : «Cathalaunensis Ecclesia in divinis officiis sanctorum retinet usum talem. » — Au dix-septième alinéa est donnée la règle à suivre lorsque la fête de saint Marc tombe dans l'octave de Pâques, et il y est dit : « Nisi fortè contingat festum sancti Marci evenire intrà dictas octabas, tunc oportet festum sancti Marci post octabas quàm citiùs et commodiùs poterit restaurari. Sicut contigit anno septuagesimo secundo, quando festum sancti Marci, quod evenit in crastino Paschæ, restauratum fuit in sextâ feriâ post octabas. » De ce passage, l'on doit rigoureusement conclure que le calligraphe écrivait son ouvrage très-peu de temps avant 1272, et avant l'année où devait avoir lieu la même occurrence de la fête de saint Marc dans l'octave de Pâques. Or, en consultant l'« Art de vérifier les dates », on voit : 1° qu'en 1272, Pâques arriva en effet le 24 avril et que saint Marc se trouvait le lundi de cette fête; 2° qu'en 1280, Pâques tombant le 21 avril, ce fut cette année que la fête de saint Marc arrivait, pour la première fois depuis 1272, dans l'octave de Pâques, le jeudi. Donc, la troisième partie de notre manuscrit fut incontestablement écrite entre 1272 et 1280. J'ai dit « la troisième partie », car un ouvrage de cette étendue, et d'une telle perfection, demandait assez de temps pour que l'on suppose les premières parties écrites avant la date ci-dessus. Cette supposition est autorisée par l'introduction postérieure, comme nous l'avons dit, de l'office du Saint-Sacrement dans la deuxième partie. Cette date importante avait été remarquée par les érudits des derniers siècles. On voit, écrit à la marge, en lettres anciennes par rapport à nous: NOTA EPOCHAM 1272. Je croirais volontiers que cette note est de Mabillon. L'écriture a une grande ressemblance avec une page, écrite et signée de lui, dans le Missel de Worms, du IXe siècle, que possède la Bibliothèque de l'Arsenal.

Voilà donc l'authenticité de notre manuscrit bien et dûment établie. C'est du XIIIe siècle encore pur. Nous ferons remarquer que ce volume liturgique, si

complet et si soigné, ne contient aucun morceau de chant harmonisé; nous n'en avons pas trouvé non plus dans les missels et antiphonaires manuscrits que nous avons parcourus dans les diverses bibliothèques de Paris.

Les « Annales Archéologiques» ont déjà puisé dans ce précieux manuscrit ; elles ont mis ainsi le public en possession, quant aux paroles et quant au chant, de la véritable liturgie du moyen âge. On pourra enfin l'étudier, la comparer avec ce que nous avons et même l'exécuter. Car, si le respect dû au rite établi dans dans chaque diocèse ne permet pas de changer les paroles du texte en vigueur, rien ne s'oppose à ce que l'ordinaire de la messe, le « Kyrie », le « Gloria in excelsis», le « Credo», etc. ne soient montés avec la note du XIIIe siècle. On les exécute bien, et trop universellement, avec une musique moderne et toute théâtrale; pourquoi donc ne reviendrait-on pas au chant du moyen âge?

GUEYTON,

Curé de Bercy.

II.

Le manuscrit dont M. l'abbé Gueyton vient de signaler l'existence et l'intérêt, est inscrit sous cette cote à la Bibliothèque de l'Arsenal, à laquelle il appartient:

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OFFICIUM ECCLESIASTICUM. THÉOL. LAT. 123. C.

C'est ce précieux ouvrage auquel nous avons déjà emprunté les divers Kyrie et les deux « Gloria » publiés dans les « Annales Archéologiques » ; c'est au même ouvrage que nous prenons une nouvelle gravure fac-similée, placée en tête de cet article. Mais, comme l'amour des choses belles et bonnes augmente en raison même de la connaissance qu'on en prend et de la possession qu'on en a, notre goût pour ce beau livre s'est développé par l'étude que nous en avons faite. Il ne s'agit donc plus d'offrir aux lecteurs des « Annales » quelques fac-similés détachés; nous avons voulu donner au public une série complète de vingt-quatre gravures, intitulées « l'Office du XIIIe siècle ». Ces planches renferment en entier :

L'ordinaire de la messe

La messe de Noël

La messe de Pâques
La messe de l'Ascension
La messe de la Pentecôte
La messe de la Fête-Dieu.

Le tout est précédé des huit tons du plain-chant, tels qu'on les exécutait

au XIIIe siècle.

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L'ordinaire de la messe contient treize « Kyrie», quatre Kyrie », quatre « Gloria » Credo » suivi d'un Alleluia » trois « Préfaces», cinq « Sanctus», un « Offertoire », un « Pater », trois Agnus Dei», sept« Ite missa est». En tout, neuf planches. On voit que c'est assez complet pour du xir siècle. Le « Credo » était unique au moyen àge; il devrait, à notre sens, l'être encore aujourd'hui, pour que tous les fidèles sachant complétement par cœur cette « Foi catholique comme s'exprime la rubrique même de notre manuscrit, pussent chanter de leur propre bouche cette « Profession » de leur religion. Le chant devrait être un et immuable comme l'expression même du dogme. Ce « Credo » du xur siècle, dont le chant a tant de charme et de simplicité, est celui qu'on appelle le petit Credo », et que dans certaines cathédrales, comme dans celle de Reims, on entend encore à présent aux jours fériés et aux dimanches de Carême.

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Deux planches sont consacrées à Noël. Elles contiennent l'« Introït », le « Graduel », la « Prose », l'« Offertoire », la «Préface », la « Communion ».L'« Introït » est le « Puer natus est nobis » et non pas le « Parvulus natus est ». La « Prose » commence par « Congaudent Angelorum chori ». La grande fête de Pâques remplit quatre planches. On y trouve l'« Introït », le « Graduel », le « Fulgens præclara », l'« Offertoire », la Préface », « la « Communion », la Séquence « Mane prima sabbati» et le « Victimæ paschali laudes ». Le Fulgens præclara» est cette reine des Séquences, « regina sequentiarum », comme l'appelle tout le moyen âge.

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L'Ascension a deux planches qui contiennent l'« Introït», le « Graduel», la Séquence » Rex omnipotens l'Offertoire », la

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Deux planches également à la Pentecôte, pour l'« Introït », le « Graduel », la Séquence « Sancti Spiritus adsit nobis gratia», l'« Offertoire », la « Préface » et la « Communion. »

La Fête-Dieu, comme Pàques, prend quatre planches où l'on a : l'« Introït», le « Graduel», la Séquence «Lauda Sion Salvatorem », l'« Offertoire », la « Préface >>> la Communion » le « Pange lingua », le « Verbum supernum »> le Sacris solemniis le « O sacrum convivium. „

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Tous ces textes sont accompagnés de leur notation, et cette notation, comme le texte même, est gravée en fac-similés rigoureux par M. Martel, auquel les Annales » doivent déjà un assez grand nombre de planches remarquables (entre autres celles de la châsse de sainte Julie et de la grille de

Conques), par une fidélité tellement rigoureuse, que leur effet vient précisément de cette exactitude extrême. Les calques, d'après lesquels les planches ont été exécutées sur cuivre, c'est M. Martel qui les a pris lui-même sur le manuscrit, et nous les avons collationnés ensemble sur l'original. Ces gravures sont donc d'une fidélité que nous croyons irréprochable. Nous avons poussé le scrupule jusqu'à laisser quelques fautes évidentes de notation et des fautes plus évidentes encore d'orthographe que contient le manuscrit. On s'en apercevra surtout à l'Office du Saint-Sacrement, où « cibus » et « specie » sont écrits tibus» et « spetie ». Ce respect du manuscrit nous vaudra, nous l'avons pensé, la confiance entière de nos lecteurs.

Nous avons essayé d'indiquer, au moins par des teintes différentes, la diversité des couleurs du manuscrit. Ainsi toutes les majuscules bleues sont hachées de raies horizontales; toutes les majuscules rouges sont restées blanches, sans hachures aucunes. Dans le manuscrit, comme cela va sans dire, et pour être fidèles à l'étymologie, toutes les rubriques sont rouges. Les lignes de portée sont rouges également. Les majuscules étaient dessinées et peintes par des miniaturistes spéciaux ; elles n'étaient pas livrées aux calligraphes ordinaires. On devra donc remarquer qu'en avant de la grande majuscule on voit, comme en vedette, une petite lettre qui doit servir de guide au miniaturiste proprement dit. Ainsi les majuscules des « Gloria » et des «Credo » sont précédées d'un g et d'un c minuscules. Par ce fait, à peine perceptible sur le manuscrit, on jugera l'attention microscopique dont M. Martel et moi avons voulu constamment nous armer pour donner coinme un daguerréotype du manuscrit de l'Arsenal.

Les grands offices de Noël, de Pâques, de l'Ascension, de la Pentecôte sont précédés d'une majuscule historiée. A Noël, la tête du P de l'« Introït » est occupée par un ange qui descend du ciel et annonce aux bergers, gardiens de troupeaux, qu'un Enfant leur est né: « Puer natus est nobis ». Le cœur du C de la « Prose » est rempli par un chœur de sept anges; ainsi se traduisent en image les premières paroles de cette « Prose » même : « Congaudent angelorum chori ». — A Pàques, Jésus-Christ sort vivant et triomphant du tombeau dans l'R même du « Resurrexi» de « Introït »; on dirait qu'il chante luimême l'«< Introït de son office. A l'Ascension, il monte au ciel en présence de ses apôtres qui, d'admiration, lèvent les yeux et les mains entre les branches du V de « Viri Galilæi ». A la Pentecôte, le Saint-Esprit descend sur la tête des apôtres qui sont assis, comme ils l'étaient au cénacle. Ils s'adossent aux courbes serpentines de l'S de « Spiritus Domini ». - La FêteDieu n'a pas de majuscule historiée; mais nous nous sommes permis, qu'on

nous le pardonne, de prendre dans le manuscrit même une S où un prêtre assisté d'un enfant de chœur, élève l'hostie à la consécration. Il nous a semblé que le sujet était approprié à la Fête. D'ailleurs cette lettre est détachée du texte, et nous avons tenu qu'elle en fût complétement isolée, puisqu'elle ne lui appartient pas.

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Deux autres majuscules curieuses « historient» l'ordinaire de la messe. L'une ouvre la Préface» des dimanches, l'autre la Préface» des morts. Aux dimanches, dans la tête du P de « Per omnia sæcula sæculorum », le prêtre, placé devant l'autel où se voit le calice, et assisté du diacre et du sous-diacre, ouvre les bras et chante en effet la « Préface ». C'est la mise en action de la rubrique. Les parements de l'autel, les vêtements du prêtre officiant, les « chapes » du diacre et du sous-diacre acolytes ne manquent pas d'intérêt archéologique. Mais, le plus curieux, c'est le « Flabellum » que le diacre tient au-dessus du calice découvert afin que rien d'impur ne tombe dans la coupe sacrée. Les exemples de « Flabellum » servant ainsi à la messe sont tellement rares, que des prêtres archéologues et très-savants, qui ont présidé à la restauration du portail sud de la cathédrale d'Amiens, où se dit une messe et se chante une « Préface», ont pensé que le diacre qui n'avait plus à la main que le manche du « Flabellum », l'éventail étant cassé, devait tenir un cierge, et lui ont fait mettre un cierge effectivement. Ce « Flabellum », qui n'existe plus à Amiens, celui du manuscrit de l'Arsenal, un troisième que Pugin a fait graver à la page 130 de son « Glossaire des ornements ecclésiastiques» et qui provient d'un manuscrit français sont, à ma connaissance, les trois seuls exemples constatés, jusqu'à présent, de cet usage du « Flabellum » sacré. Nos petites miniatures du manuscrit de l'Arsenal sont donc d'un intérêt véritable pour l'étude de la liturgie. Dans le P de la «Préface » des morts, le prêtre officiant placé devant l'autel paré, qui porte la croix et le calice découvert, élève au ciel ses deux mains qui tiennent l'hostie. Derrière le prêtre sont agenouillés trois petits individus qui joignent les mains et qui sont probablement les parents, les enfants du défunt pour lequel le prêtre célèbre le saint sacrifice.

Cette publication de « l'Office du XIIIe siècle » est la seconde un peu importante que nous ayons faite en ce genre ; la première a pour titre «Les Chants

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1. Nous ne parlons pas du magnifique ouvrage de M. de Coussemaker, qui a pour titre « Histoire de l'Harmonie au moyen âge » et que l'Académie des inscriptions a couronné l'année dernière. Le livre de M. de Coussemaker est un vaste traité scientifique; le nôtre est un ouvrage purement usuel. M. de Coussemaker apprend à déchiffrer, à lire les morceaux que nous donnons à chanter. L'« Histoire de l'Harmonie » est un dictionnaire, une grammaire, une philosophie du chant au moyen âge; l' « Office du xe siècle » est ce chant même; c'est une partie des nombreux monuments dont M. de Coussemaker a si hardiment écrit l'histoire.

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