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sition générale est bizarre. N'insistons pas trop sur ce point, et notons encore une fois l'inépuisable fécondité de ces vieux orfévres '. A Grandmont, les cinquante pièces du trésor ne se répétaient jamais. Déjà, les « Annales » en ont publié deux : le reliquaire de saint Sylvestre (t. X, p. 35) et celui de la Croix (t. XII, p. 264). Nous avons pris l'engagement de faire passer les autres sous les yeux du public, et déjà nos lecteurs peuvent entrevoir la fécondité de cet âge vraiment créateur.

L'admiration des trésoriers de Grandmont a une explication beaucoup plus plausible dans le nombre et le prix des précieuses reliques que protégeait ce joyau. Sous le pied, une longue inscription en majuscules gothiques en donne l'énumération. Nous reproduisons cette inscription absolument telle qu'elle est, avec ses abréviations, ses points nombreux, deux, trois ou quatre, la forme de certaines lettres, surtout des H, les barres ou raies qui encadrent les lignes, les mots collés ou disjoints, autant toutefois que les caractères typographiques ont pu se prêter à ces fantaisies du graveur de lettres. Du reste, nous donnons cette inscription pour très-exacte, car elle a été minutieusement copiée et collationnée sur le monument même qui est encore, en ce moment, au bureau des « Annales Archéologiques

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4. Que M. l'abbé Texier nous permette d'admirer ce reliquaire, comme on le faisait, à Grandmont même. Toutes les personnes, et elles sont nombreuses, qui ont vu chez nous cette pièce d'orfévrerie, ont été saisies de la même admiration pour la richesse inaccoutumée, le vif éclat, la forme originale, la remarquable exécution de ce reliquaire. M. Texier est gâté par les nombreuses et splendides pièces d'orfévrerie qu'il a vues, touchées, décrites, dessinées ou qu'il possède; nous autres, qui n'avons pas eu encore tout ce bonheur, nous admirons plus facilement, nous n'avons pas le droit d'être aussi sévères, et nous croyons que la belle et fidèle gravure de M. Gaucherel rendra la plupart de nos lecteurs de notre avis. (Note du Directeur).

2. « Reliquiæ », Reliques. On remarquera le mot philecteria et non philacteria, pour dire reliquaire, du grec quλácso, je garde, je conserve.

3. Nous le répétons, en transcrivant ces inscriptions, nous avons eu le plus grand soin d'espacer ou de réunir les mots absolument comme ils sont gravés sur le reliquaire. Nous avons poussé l'attention jusqu'à reproduire l'absence ou la présence multiple des points qui séparent les mots : deux, trois ou quatre points, quand il y en a deux, trois ou quatre. Pour les abréviations, nous avons fait ce que les caractères mobiles et la typographie nous permettaient de faire.

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En conséquence de cette longue liste de Saints, nous avons cru devoir donner à cette pièce le nom de « Reliquaire de tous les Saints. » Les reliquaires, en effet, considérés au point de vue des objets qu'ils contiennent, se divisent en trois catégories : ils sont individuels, « pluriels » et universels. Les individuels ne renferment que la relique d'un seul saint; ce sont les plus nombreux. Les pluriels sont consacrés à un certain nombre de saints. Les universels con

4. Ce DE est presque effacé; le ciseleur s'était trompé ou la place lui a manqué. On lui avait sans doute donné à écrire : « De vestimento beati Johannis Baptiste ». Faute de place ou par suite d'oubli, pour « Vestimento », il a voulu effacer même le « de », qui était déjà ciselé, et il a laissé saint Jean-Baptiste au génitif. Il aurait mieux fait de laisser le « de » et de mettre « Beato Johanne Baptista», comme il va mettre à l'ablatif les autres saints qui vont suivre.

2. Reliques des saints Innocents

3. Le ciseleur avait gravé « Elvterio »; ensuite, il a ajouté un tout petit e entre / et l'v.

4. Les martyrs précèdent, les confesseurs suivent, comme l'indique ce mot « martiribus » au pluriel

5. « Pisidiæ » ou peut-être « Persiæ », parce qu'il aurait été martyrisé en Perse.

6. Il aurait fallu que ce côté, moins sainte Eufémie et sainte. Catherine, cependant, fût à la tête de l'inscription, parce que saint Zébédé, saint Simon, et même sainte Marie-Madeleine appartiennent plutôt à l'Ancien Testament qu'au nouveau. Les choses disposées ainsi que nous le disons, on aurait procédé chronologiquement: les personnages de l'Ancien Testament d'abord, puis Notre-Seigneur et la sainte Vierge, saint Jean-Baptiste et les apôtres, les évangélistes, les martyrs, et enfin les confesseurs. (Note du Directeur.)

tiennent ou tàchent de contenir l'ensemble des reliques de tous les saints. Le nôtre, évidemment, appartient à cette troisième série.

D'abord il relate les reliques des personnages qui ont appartenu à l'AncienTestament, ou du moins qui se sont trouvés, comme saint Jean-Baptiste et les saints Innocents, sur la limite de l'Ancien Testament et de l'Évangile ainsi saint Zébédée, gendre de sainte Anne, la mère de la Vierge; puis saint Siméon, le prophète qui reçut l'enfant Jésus dans ses bras et prononça le « Nunc Dimittis»; puis sainte Marie-Madeleine, contemporaine du Sauveur. Ensuite Notre-Seigneur lui-même, représenté par des objets qui lui ont appartenu, par sa croix, les épines de sa couronne, son sépulcre, la table même où fut déposé son corps mort; puis la sainte Vierge, représentée par ses vêtements et son sépulcre. Après arrivent les Apôtres, précédés de saint Jean-Baptiste, le précurseur, et suivis des évangélistes saint Marc et saint Luc; puis le diacre saint Étienne, le premier martyr, ouvrant la marche aux diacres saint Laurent, saint Vincent et aux autres martyrs. Enfin s'avancent les confesseurs, précédés de saint Martin, le dernier martyr en quelque sorte et le premier des confesseurs, un des premiers en date et le chef en mérite. Après les hommes, les saintes: sainte Euphémie et sainte Catherine, précédées de sainte Marie-Madeleine. Voilà certainement la pensée qui a présidé à la composition et distribution des reliques renfermées dans cette œuvre précieuse d'orfévrerie. C'est comme une histoire abrégée de la religion chrétienne par quelques fragments des personnages qui la constituent. Comme dans une histoire, ces personnages défilent sous nos yeux par ordre chronologique. C'est avec raison, nous le pensons, que ce reliquaire peut porter le nom de « tous les saints ». Le jour de la fête de chaque saint, on posait sur le maître-autel la relique du bienheureux que l'on célébrait; nous supposons que, le jour de la Toussaint, on devait placer ce reliquaire de Grandmont sur le maître-autel de la grande église abbatiale, au milieu des autres et presque innombrables reliquaires individuels.

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Un inventaire de 1567 mentionne notre reliquaire en ces termes : « Une pièce d'argent doré, en carré, où il y a quatre petits clochers d'argent, et des christallins et perles qui pendent tout autour d'icelle, garnye de pierreries où il y a du christallin et une pinne d'argent dorée, par le dessus, bien ouvrée. » Des quatre clochers, il n'en reste déjà plus qu'un et demi qui soient conservés, tant la ruine de ces vieux objets est active.

En 1790, l'abbé Legros décrit en ces termes, dans son inventaire, cette pièce d'orfévrerie; il confirme la survivance d'une tourelle et demie : — « Un reliquaire de vermeil, orné de filagrammes de même matière, enrichi de plusieurs pierreries, dont le soubassement porte une plaque qui le couvre en entier

XIII.

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comme une table, aux quatre coins de laquelle il y avait autrefois quatre petites tourelles, dont il ne reste plus qu'une entière; une seconde a perdu sa flèche par le laps du temps (l'ouvrage étant fort ancien et d'un goût gothique); les autres manquent. Au milieu de cette plaque s'élève un christal carré et ciselé, qui paraît être de christal de roche; il est surmonté d'un bouquet de feuilles de chêne, et aussi de vermeil dont est toute la matière de ce reliquaire, sous le pied duquel, qui est carré, et sur les quatre faces d'icelui est gravée l'inscription en caractères gothiques.

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Cette description doit se rectifier ainsi le prétendu cristal de roche est un verre moderne, qui fut mal ajusté à une époque fort postérieure à l'exécution du reliquaire; il a dû remplacer un tube ancien, en métal ou en cristal de roche, qui renfermait une parcelle des reliques nombreuses énumérées dans l'inscription gravée sous le pied. Mais, aujourd'hui, ce n'est plus qu'un vulgaire flacon à eau de senteur, en verre taillé, si ce n'est même coulé; un flacon à essence de rose, comme ceux qui sont à l'usage de nos dames et que l'on vend à Constantinople et dans tous les bazars de l'Orient. La disposition des perles en cristal porte aussi des traces d'une réparation; aujourd'hui, il n'en reste déjà plus que trois. Ajoutons que l'on voit, parmi les émaux et les pierres diverses enchassées sur le pied, une petite pierre bleue creusée en intaille. Cette intaille, qui doit être antique, représente un petit lapin placé au-dessus d'un panier de vendange et mangeant un raisin. On aperçoit ce jeune lapin gourmand sur la gravure de M. Gaucherel, à la partie du pied qui fait face au spectateur, tout en haut, sous le nœud. Peut-être y avait-il d'autres intailles et camées antiques, que des pierres modernes auront remplacés. Il en est de ces vieux reliquaires comme des personnes très-âgées qui perdent successivement leurs plus précieux organes, l'ouïe, la locomotion, la vue, en attendant que la mort les détruise complétement. Du moins, de ces personnes aimées, la famille conserve des portraits qui en perpétuent le souvenir; c'est ce que nous faisons, nous autres, pour nos plus beaux reliquaires religieux, et M. Gaucherel est le dessinateur des portraits de cette famille qui nous est si chère.

III.

Fort de nos études poursuivies pendant longues années et de la bienveil lance désintéressée qui nous anime, nous sommes peut-être en droit de donner quelques conseils à nos orfévres. L'école d'orfévrerie et de ciselure de Paris, qui a absorbé toutes les écoles provinciales, brille dans le monde au premier rang. Qu'elle y prenne garde, cependant: même sous le rapport de la tech

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