Page images
PDF
EPUB

venu, dans les demeures riches ou pauvres, le croyant s'agenouillait et priait pour ses frères.

Au mois de mai suivant, une somme de cinq mille écus, ayant été affectée par le chapitre métropolitain aux travaux de l'année, on ferma la cathédrale. En un clin d'œil les échafauds fixes ou volants se dressent, se suspendent; le badigeon, humecté par des jets continus, se détache de la nervure; le crépi tombe à flocons et l'angélique corps de ballet, délogé du haut dossier des stalles, rend au jour l'élégante arcature à colonnettes de marbre noir, aux chapiteaux sculptés de calcaire ou de grès blanc.

Le plan de M. de Wilmowsky était vaste et ne tendait à rien moins qu'à restituer intégralement l'œuvre du xir siècle. Provisoirement, il était autorisé à ramener à ses dimensions primitives la fénestration du sanctuaire et à préparer la réédification de cette travée de la grande galerie, dont la suppression avait doté l'intérieur du monument d'un transept. L'opportunité de la réduction des baies de l'abside orientale était flagrante; car elle permettait d'en rétablir le gracieux couronnement, la petite galerie. D'ailleurs, impossible de se fourvoyer, car les retombées des bandes emperlées, adhérant encore aux pieds-droits intermédiaires, traçaient l'ancien contour des fermetures; puis un spécimen de la petite galerie subsistait au faîte du noir et funèbre maître-autel.

Les pierres ayant été taillées à l'avance, la besogne marcha rapidement, et, dès la réinstallation de la troisième fenêtre, les visiteurs s'étonnèrent du notable élargissement que semblait avoir subi la totalité du chœur ; preuve que nos pères avaient sagement calculé leurs dimensions.

Le projet de reconstruire au transept la grande galerie trouva d'abord des contradicteurs, surtout à l'étranger. Rien de plus simple. Le transept est une disposition architectonique essentiellement en honneur. Dans les églises germano-romaines, les croisillons, se terminant en hémicycles arrondis ou polygonaux, forment avec le sanctuaire une trilogie absidale du plus heureux effet. Ailleurs, dans le croisillon coupé carrément, s'épanouit une verrière, une rose romane s'entourant de plusieurs baies circulaires (cathédrale de Laon) comme une planète s'escorte de satellites; constellation d'autant plus scintillante, qu'elle rayonne en un firmament assombri, le plein de la construction. Mais, à Trèves, le transept d'une largeur démesurée, précisément parce qu'il occupe la grande travée romaine, n'a pour mur terminal qu'un écran massif, d'un ņu, d'un plane désespérant, irrémédiable et percé de six baies sans meneaux. Certes, la croisée eût gagné à ne s'éclairer en second ordre, à l'instar de la nef, que par l'intermédiaire de la galerie, laquelle se développait

de nouveau, comme au moyen âge, d'un choeur à l'autre. La réduction des fenêtres du sanctuaire avait élargi le chœur. De même, la reconstruction de la galerie distendait le raccourci, en trompe-l'œil, résultant de la lacune actuelle; elle allongeait la grande nef, et l'ensemble reprenait cet aspect d'un pur roman, qui de prime abord accusait son siècle. Ce n'est pas tout. On pouvait transporter au croisillon de gauche ou de droite, partant aux abords du chœur oriental, le grand orgue qui obstrue le chœur de l'ouest; cet orgue est puissant, mais, vu l'éloignement et malgré la mise en jeu d'une véritable armée de bourdons et de flûtes, il laisse détoner le choral, toutes les fois qu'il l'accompagne. Quoi qu'il en soit, le projet dut être abandonné, M. de Wilmowski, après les fouilles et mûr examen, s'étant convaincu qu'il serait imprudent d'imposer aux murs d'enceinte de l'époque romaine la poussée d'une voûte '. Cependant, l'opinion s'était modifiée à Trèves, et cette décision fut vivement regrettée.

Le sanctuaire, avons-nous dit, repose sur une crypte à voûte d'arêtes, sans nervures, supportée par des colonnes. Elle couvre la même étendue de terrain que ce sanctuaire même; aussi la paroi du fond, formée par le mur d'enceinte romain du monument, supporte-t-elle l'enmarchement du sanctuaire. C'est donc dans le sol de la crypte que nous avons à rechercher les vestiges de l'abside romaine. Remarquons préalablement qu'au delà du mur susdit, règne une arrière-crypte, se prolongeant jusqu'à l'escalier qui monte de la croisée au chœur. L'abaissement du pavé du chœur, au siècle dernier, dut nécessiter le défoncement des voûtes de l'arrière-crypte, et tout au moins la décapitation des colonnes de support. De toute manière, il fallait étayer le pavé du chœur, et, comme l'on était abondamment pourvu de décombres, nous en savons quelque chose, l'arrière-crypte fut comblée. Soit dit en passant,

4. M. de Wilmowsky avait fait confectionner des briques « ad hoc ». La terre grasse était mélangée avec de la menue paille et des copeaux de bois, consumés lors de la cuisson. Il en résultait une brique poreuse, à volume égal plus légère que la brique de tuf.

2. Ce mur est percé d'un œil-de-bœuf, naguère bouché, tant bien que mal, par une pierre carrée. Me trouvant dans la crypte avec M. le prévôt de la cathédrale, nous crûmes y remarquer une inscription. La pierre fut enlevée, et M. le prévôt y lut sans peine ce qui suit :

Anno ab incarnatione D. M C XCVI.
Epacta XVIII. Concurrente 1. Indictione xi
Dedicatum est hoc altare a venerabili dno
Johanne Treverorum archiepo pontificatus
Sui anno VII. in honore ste Dei genetricis

Semperque virginis Marie et ste Helene regine.

Continentur autem in eo reliquiæ:

De presepio Dni. Bartholomei apli. Cosme et Dami
ani martyrum. Zenonis et Zotici mrum. Valentini
Prbri. Castoris conf. Gregorii conf. Barbare virginis.
Consecratum est octavo Idus V. S. decembris.

L'inscription, en caractères romans, se rapporte donc à l'épiscopat de Jean I (4490-1242), qui retrouva la sainte robe, en achevant l'œuvre de l'archevêque Hillin, comme nous l'avons dit plus haut. Cette inscription concerne sans doute le maître-autel.

les deux cryptes de l'est et celle de l'ouest ne nous semblent avoir été construites que dans l'unique but de supporter leur chœur respectif.

En 1848, M. de Wilmowsky, ayant sondé la crypte orientale, retrouva une substruction qui avait pour point de départ la paroi du fond, et faisait vers l'est une saillie de quelques pieds. Il en augurait l'existence d'une abside carrée. Mais, à la reprise des fouilles (1851 ), l'on reconnut que ledit mur ne se reliait point à l'édifice romain, mais, au contraire, à un entrecroisement de substructions, offrant sur plusieurs points des restes d'hypocaustes et indiquant une suite d'appartements. Ces derniers, comme nous l'avions soupçonné aux abords de l'oratoire d'Hélène, pouvaient avoir servi de demeure au clergé d'Agricius. En résumé, et c'est là le point capital, nulle trace d'abside. Dès lors, on l'a pressenti, la façade orientale reproduisait sans doute l'ordonnance de la façade septentrionale que nous avons étudiée, et devait comprendre deux ordres de cinq fenêtres, les trois centrales plus rapprochées que les deux extrêmes.

En effet, le corps de chacune des tours de l'ouest, là où il s'applique à notre façade orientale, coupe le jour, aveuglé, d'une baie romaine dont nous distinguions et le jambage et la naissante fermeture. Ces deux baies étant dans l'alignement et les proportions voulues, nous y reconnaissons les deux fenêtres extrêmes du premier étage. Quant aux trois centrales, elles se sont perdues dans le vide immense opéré au XIIe siècle pour réunir le chœur au nouveau sanctuaire. L'inverse a lieu au second ordre. Les baies extrêmes ont disparu par suite de l'enlèvement partiel (xvII° siècle) de la grande galerie; mais, à l'intérieur, dans les combles, perpendiculairement à l'enmarchement du sanctuaire, on constate le sommet des fermetures des trois baies centrales. Or, concluant du second ordre un premier et réciproquement, nous disons: Les deux façades, septentrionale et méridionale, étaient identiques, et le monument se terminait carrément à l'orient, comme la basilique romaine de SaintLaurent hors les murs.

Le chœur actuel envahit à moitié la croisée de la cathédrale. Abstraction faite de cet empiétement, la croisée est comprise entre les quatre maîtres piliers, édifiés au xr siècle par l'archevêque Poppo, trois desquels emmuraillent une colonne romaine, tandis que le quatrième, édifié en lieu et place

4. Pour éviter les périphrases, nous désignerons dorénavant ces piliers par le nom de « piliercolonne », en tenant compte de leur orientation, eu égard à la façade et au mur d'enceinte latéral, les plus rapprochés. Ainsi l'expression de « pilier-colonne, nord-est », s'entendra du pilier qui ouvre le chœur du côté de l'évangile; celle de « pilier-plein, sud-ouest », signifiera le pilier poppoyen, remplaçant la colonne romaine écroulée. Il ouvre la grande nef du côté de l'épitre.

de la colonne romaine écroulée, est de construction pleine. Colonne suppose chapiteau. M. de Wilmowsky ayant pratiqué une ouverture dans le pilier-colonne nord-ouest, nous pûmes contempler à loisir un chapiteau corinthien, en pierre de grès, dite de Saint-Jean, provenant du pays Messin. Les petites feuilles de ce chapiteau sont traitées à l'antique, les grandes ont moins de développement; mais, particularité insolite, au lieu d'une rose, c'est un masque humain ', aux traits énergiquement accusés, le front et la lèvre supérieure ombragés d'un feuillage qui s'étend sur la joue.

Les quatre colonnes romaines projetaient, avons-nous dit, tant entre elles, que vers les murs d'enceinte, des arcs-doubleaux et formerets supportant des murs de refend, percés de baies et simulant galerie. L'on comprendra que Poppo, en remplaçant la colonne écroulée par un pilier plein, ait eu nécessairement à reconstruire tout ou partie des arcs retombant sur ladite colonne, arcs qu'elle avait dû entraîner dans sa chute. Effectivement, grâce à l'enlèvement du crépi, nous constatons encastré dans le mur latéral, au croisillon sud, un arc-doubleau poppoyen, et au mur latéral opposé, un arc conforme mais romain. Voilà donc les deux mains-d'œuvre du Ive et du XIe siècle en présence; ces deux spécimen d'âges si divers nous fournissent l'occasion de comparer les deux appareils et de les caractériser individuellement. Mais d'où vient que nos deux arcs-doubleaux soient encastrés? le voici. Au XIIe siècle, le voûtement de la cathédrale s'opéra en contre-bas, au-dessous des galeries romaines et poppoyennes. En d'autres termes, perpendiculairement aux arcs-doubleaux existants, on dut en établir de nouveaux, que l'on chargea d'assises successives jusqu'à ce que l'espace compris entre l'extrados de ces derniers et l'intrados de leurs aînés fût rempli. Puis le crépi passa sur le tout.

La dénomination d'« amplecton» revient aux deux appareils romain et poppoyen 2. L'un et l'autre (il en résulte un grand espacement dans les joints) font emploi à profusion d'un mortier de chaux, mélangé de gros sable. L'appareil romain, sinon dans toutes les constructions pleines, au moins dans toutes les parties qui exigent un renforcement de solidité (les arcs), y ajoute de la brique concassée que rejette l'appareil poppoyen. Dans nos contrées, de l'absence de la cassure de brique dans le mortier, on ne peut conclure absolument à une construction non latine, témoin les Thermes; mais sa présence implique rigoureusement la construction romaine.

Les fermetures des baies romaines, fenêtres ou portes, s'amortissent par deux arcs-superposés; les divers arcs doubleaux, ou formerets, en comptent

1. Le chapiteau a 7 pieds de haut, le masque humain, 3; ce dernier a été moulé. 2. Voir le travail allemand de M. l'architecte Schmidt, déjà cité plusieurs fois.

trois. En d'autres termes, ces arcs se composent de deux ou trois rangées de claveaux de briques sur champ, superposés. Chaque rangée se couronne d'une chaîne formée par l'assise continue d'une simple brique à plat. Dans les arcs de Poppo, les claveaux de briques, par assises de deux ou trois, sur champ, alternent avec un claveau en pierre de grès, et la chaîne fait défaut. L'épaisseur de cet arc surpassant la longueur des briques et des pierres, on a disposé les matériaux en liaison, et il en résulte cette différence essentielle qu'à diamètre et épaisseur égaux, l'arc poppoyen est simple, tandis que l'arc romain est multiple et se subdivise en sous-arcs superposés. Nos deux termes de comparaison, les arcsdoubleaux du croisillon méridional, confirment en tout point ces distinctions.

L'appareil poppoyen règne exclusivement au front occidental de la cathédrale de Trèves, et se compose de pierres de grès et de calcaire conchylien, la plupart de grande dimension, reliées avec du mortier. Il en est autrement à la << Porta Nigra», aux naissances des voûtes de l'Amphithéâtre et, autant qu'on en peut juger, aux piles du pont de la Moselle: les pierres y étaient originairement agrafées au moyen de crampons métalliques. La surface de nos pierres offre des trous perforés, que l'on ne constate dans aucun monument de la contrée, alors qu'on y fait emploi de mortier. On rencontre, en outre, des assises de briques, des fragments de briques, ou de simples briques employées isolément, dont la dureté, sans parler de signes ou lettres, indique assez l'origine. Ces briques et ces pierres perforées, c'est-à-dire portant l'empreinte de la morsure des crampons, proviennent de la démolition de monuments romains antérieurs. Quant aux arcs, ils offrent l'alternance de claveaux de grès de couleur diverse. Le claveau de grès est donc l'un des traits distinctifs de l'appareil du xr° siècle. On objectera qu'aux Thermes on le trouve employé simultanément avec le claveau de brique. Il y a cette différence qu'aux Thermes, à l'inverse de l'arc poppoyen, le claveau de grès ne remplit pas l'épaisseur de l'arc, et, qu'à l'instar de l'arc romain de la cathédrale, l'arc des Thermes est multiple et compte plusieurs rangées de claveaux superposés et subdivisés par une chaîne. L'appareil romain des murs d'enceinte est conforme à celui des autres édifices romains de Trèves. On n'y rencontre ni pierres perforées, ni fragments de briques; non que les Romains aient rejeté l'emploi de matériaux provenant de démolitions, mais cela n'eut lieu qu'à une époque relativement récente.

BON F. DE ROISIN.

4. Les briques employées à la cathédrale ont fréquemment 4 pied 4 pouces et demi de long et de large, sur une épaisseur de 3 pouces; également 4 pied 9 pouces et demi de long et de large sur épaisseur de 4 pouce et demi jusqu'à 2 pouces et demi, etc.

[ocr errors]
« PreviousContinue »