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ailes sur le dos, deux pattes de lion sous le ventre, une queue de dragon. La bête ouvre largement la gueule, pour crier sans doute, en entendant l'anathème de Dieu qui la condamne à ramper et à être écrasée un jour par la vierge Marie. Ève paraît regarder avec une certaine arrogance soit Dieu, soit Adam qui est

en face d'elle.

Adam, ou la Religion naturelle, est un homme de trente à trente-cinq ans également. Vêtements courts, comme en portent les ouvriers, les hommes de peine du moyen âge; tête nue ou couverte d'une mince calotte. Il tenait à la main un objet cassé qu'on voit mal d'en bas. Est-ce la pomme fatale, comme je le croirais volontiers?

Ces divers sujets, que nous venons de décrire ou d'indiquer, comprennent soixante-trois groupes ou statues isolées; ils nous conduisent au grand portail tout aussi naturellement qu'un titre mène à l'ouvrage ou qu'un sommaire prépare à la lecture d'un livre. Ce grand portail sera l'objet de notre examen dans la livraison prochaine.

DIDRON ainé.

MOYEN AGE'

LE DEUIL AU MOYEN

AU DIRECTEUR DES « ANNALES ARCHÉOLOGIQUES ».

Monsieur, lorsque, il y a huit mois, dans une de ces conversations intimes dont vous avez bien voulu m'honorer, et qui m'ont laissé entrevoir tant de choses nouvelles, nous tombâmes d'accord que le seul moyen d'obtenir quelques données sur le deuil de nos pères, c'était de les demander aux manuscrits: j'étais fort loin d'apprécier le nombre de faits inconnus et curieux que j'y devais découvrir.

Les conservateurs de nos bibliothèques, gardiens trop souvent muets de ces trésors peu explorés de la science, me découragèrent un peu, dès l'abord, en m'accueillant par la phrase traditionnelle : « Vous ne trouverez rien » . Je trouvai, cependant, car aujourd'hui j'ai le plaisir de vous annoncer que j'ai déjà fait copier plus de deux cents représentations de services funèbres, toutes antérieures à la seconde moitié du xve siècle.

Ce que ces deux cents miniatures contiennent de faits aussi neufs et variés qu'intéressants, je ne puis pas vous le dire ici, limité que je suis dans l'espace que vous voulez bien m'accorder; ils prendront tous place dans mon ouvrage ; je veux cependant exposer à vous-même et à vos lecteurs mes doutes actuels sur la période la plus obscure de nos usages funèbres, afin de vous aider à me procurer la lumière que je cherche et que vous pourrez sans doute me donner. Je veux parler de la période de transition entre les usages romain-païen, romain-chrétien et franc-chrétien.

4. Dans ce volume des « Annales », page 169, nous avons annoncé qu'un de nos souscripteurs s'occupait d'un travail sur l'histoire des funérailles. Ce travail est plus considérable que nous ne nous l'étions figuré car il ne formera que la première série d'une volumineuse histoire de Paris qui contiendra, en substance, les données les plus étendues sur les mœurs et les usages de la France, depuis les temps les plus reculés. L'auteur se dispose à publier le premier cahier des vingt ou trente in-4° qui composeront son œuvre. Nous ne pouvons mieux faire apprécier ses recherches qu'en communiquant à nos abonnés la lettre qu'il nous écrit sur les couleurs du deuil et des poëles funèbres au moyen âge. (Note du Directeur.)

N'est-ce pas une chose bien surprenante, Monsieur, qu'aujourd'hui, après les travaux gigantesques de tant de savants distingués qui, depuis cinquante ans, reconstituent avec tant de bonheur et de sagacité l'édifice du passé, n'estce pas une chose désolante que nous ne sachions pas encore, d'une manière certaine, absolue, ce que c'était que le deuil chez les anciens? que nous ne puissions pas encore affirmer d'où il vint, qui le créa, en quoi il consistait, qui le portait, comment on le portait, quelles cérémonies il entraînait, quand il commençait, quand il finissait, quelles étaient ses couleurs, s'il s'étendait jusqu'aux serviteurs, jusqu'aux esclaves, jusqu'aux meubles du défunt? Enfin s'il était un devoir ou bien une obligation? Tous ces détails qui nous frappent chez nous et qui dérivent certainement d'usages antiques, nous ne savons pas par quelle filiation ils en dérivent, et nous ignorons même, quand, et comment, et par qui, ils furent établis chez nous dans l'état actuel où nous les voyons. Lorsque je commençai à faire quelques recherches sur ces objets divers, je fus sur-le-champ frappé de la différence grave, qui existait dans l'antiquité, entre les deux manières de faire « acte de deuil ». Tantôt je voyais les parents du mort se contenter de donner les marques d'un désespoir véritable, par l'abandon des soins de leur personne, et tantôt se couvrir d'un vêtement particulier dont la forme et la couleur indiquaient le sens. Entre ces deux modes, fort longtemps suivis par des peuples divers, il y a toute la différence que nous retrouvons dans les deux mots « deuil » et « douleur », employés parfois par les Romains, comme par nous-mêmes, dans le même sens.

Lequel de ces deux modes cependant domina l'autre et lui survécut ? Le dernier. Pourquoi? Là est la question'. Dans quelle forme ce dernier mode parvint-il à s'établir? C'est ici que nous allons mettre en lumière quelques faits curieux.

Laissons d'abord de côté tous les faits qui se rapportent aux divers âges des usages romains avant l'établissement du christianisme. Il ne nous serviraient à rien et nous entraîneraient beaucoup trop loin.

Les historiens, tant païens que chrétiens, des premiers siècles de notre ère, ont laissé transpirer çà et là, dans leurs œuvres, quelques détails sur les couleurs du deuil antique. Hérodien, Tertullien, Eusèbe entre autres. Leurs renseignements sont beaucoup plus précieux pour notre histoire que ceux des écrivains qui les ont précédés: ils sont plus près de nous. Mais ces renseignements n'indiquent pas de règle fixe: tantôt nous voyons employer la couleur

1. L'introduction de mon ouvrage, que vous avez bien voulu annoncer, indiquera, d'après les écrivains latins, les différences qui existèrent dans le deuil, aux principa'es époques de l'histoire romaine.

noire ou plutôt la brune, et tantôt la blanche, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Pourquoi cependant choisit-on ces deux couleurs mères pour porter le deuil? Le blanc était la couleur des femmes consacrées au culte de Cérès; le noir, celle des mégères consacrées au culte de Bellone. A Rome, dès le temps d'Auguste, les pauvres étaient habituellement vêtus de noir, tandis que les riches citoyens étaient vêtus de blanc. Voilà tout ce que nous savons sur la naissance de la couleur du deuil antique. Fermons maintenant les yeux sur les usages des anciens, oublions Rome, et transportons-nous chez les Francs. Quel est le premier indice que nous rencontrons? Celui-ci : les capitulaires de Childéric III défendent de porter le deuil en habits blancs. Devonsnous supposer alors que les chrétiens avaient repoussé la couleur blanche, couleur des riches, par esprit d'humilité? En repoussant le blanc, adoptèrentils le noir? Grégoire de Tours, pour parler du deuil, emploie invariablement l'expression de « vêtements lugubres». En traduisant le mot « lugubre » par le mot « noir», quel était ce vêtement? — Consistait-il dans l'habit ordinaire, teint en noir, que l'on portait pendant un temps déterminé, ainsi que nous le faisons aujourd'hui ? ou bien dans une robe de deuil dont on se couvrait, seulement pour assister à la cérémonie des funérailles, et que l'on quittait aussitôt, ainsi que l'ordonnance de création des jurés-crieurs sous Charles V nous le donne à entendre? C'est ici, Monsieur, que les miniatures vont nous répondre. Dans toutes les représentations de cérémonies funèbres que j'ai relevées, les assistants, « quand ils sont en deuil », sont toujours invariablement enveloppés dans une de ces longues robes noires à manches et à capuche que portent encore aujourd'hui, à la mort de leurs parents, les habitants de quelques bourgades isolées de la Bretagne. Quelquefois un mince ourlet d'or ou d'argent se montre aux manches et au capuchon. Cette robe, bien faite pour isoler celui qui la porte dans sa douleur et dans ses larmes, déguise entièrement les formes du corps et cache le visage; et toutes les fois que les miniatures nous la représentent entr'ouverte, nous apercevons sous ses plis le personnage vêtu de son costume ordinaire, de couleurs diverses enfin. Je dois vous dire cependant que la robe n'est pas toujours noire: je possède deux miniatures du XIIIe siècle qui nous montrent la robe toute blanche, quoique de même forme que la robe noire.

Vous voyez ainsi, en soudant les uns aux autres les chétifs fragments que je vous indique, comment et dans quelle forme la couleur noire s'introduisit chez nous pour désigner le deuil. Mais il n'est question jusqu'ici, remarquez-le bien, que du costume des assistants, et je ne compte pas borner là mes études. Quatre autres points, très-importants, restent obscurs: la couleur des habits

des prêtres, celle du poële funèbre, celle des tentures de l'église, celle enfin de l'objet ou des objets à l'aide desquels on transportait autrefois les morts de leur demeure à la sépulture.

Pour pouvoir reconstituer complétement la cérémonie des funérailles, aux époques différentes où elle se modifia chez nous, il faut d'abord éclaircir ces quatre points. Les autres détails de la cérémonie appartiennent à un autre ordre de recherches, également intéressantes, auxquelles je me suis livré, mais qui ne peuvent pas prendre place ici. Examinons cependant la couleur des habits des prêtres, en indiquant encore les points sur lesquels je vous invite à me fournir quelques données.

Vous savez, Monsieur, qu'à Rome, la déesse Libitine était la protectrice des individus de toutes sortes qui se chargeaient du soin des funérailles : « Pollinctores, Vespillones », etc.— Sans vouloir remonter trop loin dans l'antiquité, nous savons, cependant, que, dans toutes les religions, les prêtres se mêlaient plus ou moins aux cérémonies funèbres. Mais les « Libitinarii » étaient-ils bien des prêtres, ainsi qu'on l'a dit quelquefois? J'en doute. Les monuments peints des Romains nous les représentent-ils toujours vêtus d'un costume particulier? Ce costume enfin était-il noir? Voilà quels sont les points qu'il faudrait éclaircir pour rattacher les premiers usages funèbres des chrétiens à ceux des païens. Mais cette étude, à elle seule, demanderait déjà des travaux considérables. Voyons cependant comment sont figurés les costumes des prêtres chrétiens dans les miniatures des funérailles.

La première que je connaisse et qui est tirée d'un manuscrit grec, nous représente les funérailles de saint Grégoire de Nazianze. Le saint, couvert de vêtements de couleurs diverses, est entouré de prêtres vêtus comme lui. La couleur noire ne se montre chez aucun d'eux. Les miniatures qui viennent à la suite et qui me sont tombées sous les yeux, à partir du xr siècle, nous représentent, pendant une longue suite d'années, les prêtres toujours vêtus de même je pourrais même dire à leur fantaisie; car si la forme des pièces différentes de leurs costumes est presque toujours la même, les couleurs varient à chaque instant. Ces couleurs sont même parfois assez singulièrement choisies: le rose et le jaune entre autres y dominent. Durand de Mende, au XIIIe siècle, parlant des quatre couleurs usitées alors pour les habits sacerdotaux, ne mentionne aucune de ces deux couleurs; elles furent pourtant employées, je puis l'affirmer, jusque dans le XIVe siècle.

Examninons comment le noir s'introduisit dans le costume pour les messes des morts. Je vous dirai sur-le-champ que ce n'est que fort tard que ce costume est tel qu'on le porte aujourd'hui. D'abord la chape seule est noire et

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