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le plus complet travail de ce genre qui ait été exécuté depuis le moyen âge; mais le résultat est-il satisfaisant? D'abord, la première impression est on ne peut plus désagréable : il règne, dans l'ensemble des murs et des piliers, une couleur locale d'un vert pistache fort peu harmonieux. Puis tous les sujets se trouvent régulièrement et sèchement encadrés dans des compartiments d'une régularité désespérante; c'est à croire que l'on voit une suite de tableaux accrochés à la muraille et encadrés dans leurs bordures. Très-souvent aussi les ornements sont véritablement hors d'échelle avec le monument; j'en citerai comme exemple les peintures des gros pilastres placés au milieu des pignons du transept, et surtout les énormes enroulements de la première voûte du sanctuaire. Les compartiments du dôme accusent un besoin de symétrie et de répétition des fenêtres, bien peu en harmonie avec les idées anciennes. Enfin, l'aspect général de cet ensemble de peintures murales est lourd, dur et triste à la fois.

Maintenant, il est certain qu'il y a eu une grande somme de talent dépensée dans l'exécution de cette œuvre importante; mais si nous devions juger toute l'école de Munich d'après les peintures de Spire, nous dirions nettement que cette école a complétement perdu le sens décoratif; bien plus, nous affirmerions qu'elle le repousse pour se lancer à la poursuite du réalisme et de l'’imitation matérielle. Les mêmes défauts, mais plus saillants encore, se retrouvent dans les vitraux dus aux artistes de cette école je veux parler des grandes verrières placées dans le collatéral sud de la cathédrale de Cologne; ce sont de véritables tableaux peints sur verre, et le tout encadré d'une masse de tons jaunes du plus fâcheux effet. Mais encore ces vitraux sont-ils infiniment supérieurs à ceux d'Aix-la-Chapelle, exécutés récemment d'après les cartons du fameux Cornélius: jamais, pour ma part, je n'ai rien vu de plus dur, de plus papillotant et de plus étrange. Évidemment, l'artiste ne s'est nullement préoccupé du mode d'exécution; il semble qu'il n'ait jamais vu de vitraux.

Quant à l'école de Dusseldorf, je n'ai pu l'apprécier que par les décorations exécutées dans la petite église d'Apollinarisberg, bâtie à Remagen, aux frais du comte de Furstemberg. Je ne vous dirai rien de la chapelle en ellemême, si ce n'est qu'il s'y trouve des clochetons et des balustrades en fonte. Vous jugerez du reste. Quant aux peintures, elles sont incontestablement supérieures à celles de Spire l'aspect en est monumental et décoratif; tous les tons, blonds en général, se distinguent par une harmonieuse douceur qui rappelle très-bien les vignettes de nos anciens manuscrits. En somme, l'effet de cette décoration est très-satisfaisant.

A la vérité, on m'a montré, dans la grande salle de l'hôtel de ville d'Aix-la

Chapelle, d'autres peintures de la même école de Dusseldorf, qui ressemblent beaucoup trop à celles de Spire. Mais ces peintures sont l'œuvre d'un pauvre artiste qui est devenu fou avant l'achèvement de son travail. Je ne puis donc sérieusement juger l'école de Dusseldorf que par ce que j'ai vu à Apollinarisberg, et cela me suffit, du reste, pour placer cette école bien au-dessus de celle de Munich. Peut-être que j'aurais changé d'opinion, si j'avais pu voir ce qui a été fait par ces deux écoles à Munich. Cependant, voici une petite anec-. dote qui vous prouvera, du moins, que si je suis sévère je ne suis pas le seul de mon avis.

Comme je prenais mes notes dans l'église de Spire, un individu que j'avais déjà vu rôder en dedans et en dehors de l'église s'approcha de moi et me demanda en bon français, bien qu'accentué à l'italienne, ce que je pensais de ces peintures. Après quelques paroles échangées de part et d'autre, nous nous communiquâmes nos notes, et nous fùmes tous deux fort surpris d'y trouver exactement les mêmes remarques, les mêmes observations. Mon explorateur était venu tout exprès à Spire, du fond de l'Italie, pour faire un compte-rendu de cette œuvre importante dans un journal italien qui s'occupe exclusivement de ces questions. Malheureusement, j'ai oublié le titre du journal où paraîtra ce rapport, mais ce sera probablement dans le « Bulletin archéologique » qui se publie à Naples. Le nouvel examen que nous fîmes ensemble nous confirma dans notre opinion. En parcourant les bas-côtés, nous ne pûmes nous expliquer comment on n'avait pas changé les affreuses bases des colonnes avant. de les peindre; c'était d'autant plus facile, qu'il reste encore une ancienne base au pilier d'angle, dans l'escalier de la crypte, côté du nord.

Le maître-autel de la cathédrale de Spire n'étant pas terminé, je ne puis guère vous en parler. Cet autel majeur doit être en stuc et placé sous un « ciborium » à quatre colonnes, comme il en existe encore en Italie. Si ces stucs ne sont pas plus harmonieux que ceux des autels placés dans les petites chapelles du transept, cela rappellera beaucoup trop les meubles en porcelaine exécutés à notre manufacture de Sèvres, sur les dessins de M. Percier. Quant aux stalles et au petit buffet d'orgue qu'on a placés dans la cathédrale de Spire, outre la forme, qui est loin d'être satisfaisante, la menuiserie de ces meubles est si mal faite et le bois est tellement défectueux, que j'ai peine à croire que stalles et buffet soient définitifs. Cependant, il y a déjà des dorures sur les stalles, mais si légères, sans doute, qu'elles semblent destinées à disparaître bientôt avec le bois qu'elles décorent. Il n'existe aucune piscine dans les chapelles de la cathédrale de Spire; elles sont remplacées par de petites tables rondes à trois pieds, que l'on recouvre d'étoffe, et qui n'ont assurément rien

de monumental. Enfin, l'exécution des peintures du sanctuaire a entraîné l'aveuglement d'anciens œils-de-bœuf, ce qui me semble assez regrettable.

Mais, mon cher ami, je m'arrête, parce que, d'abord, vous êtes pressé, ensuite, parce que cette lettre est déjà longue. Je remets à plus tard pour vous parler du reste de mon excursion; seulement, je ne veux pas vous quitter sans vous faire part d'une découverte fort curieuse que nous avons faite avec cet excellent abbé Bock, notre ami commun, dans une des églises de Cologne. Il s'agit tout simplement de deux tableaux anciens peints sur toile. Le premier est du XIIe siècle, et je le crois exécuté à la résine; le second, du XIVe siècle, est évidemment à l'huile. Un tableau sur toile, du xir siècle, doit vous paraître assez curieux. J'aurai encore à vous entretenir d'anciens autels du xir et du xiv siècles, et surtout de l'ancien antépendium en cuivre émaillé de cette dernière époque. En finissant, je me dis tout prêt à vous donner la suite de mes observations, aussitôt que vous le voudrez.

Tout à vous.

Paris, 44 octobre 1853.

LASSUS.

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