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verroux. Or, comme il n'est pas probable que l'on ait éprouvé le besoin de se barricader ainsi pour dire la messe, il faut bien que la place de ces barres ait été réservée dans les prévisions d'un siége ou d'un coup de main.

La population valide s'enfermait dans le château. Élevé à portée de l'église, où se réfugiaient les femmes, les enfants et les faibles, du haut de ses remparts crénelés, il protégeait ceux-ci enveloppés de leurs murs comme une tortue de sa carapace, sans points vulnérables mais aussi sans défense, car les clochers se réduisent souvent à une ou deux arcades surmontant le pignon.

Ainsi l'église de Cadiac, placée sur la route d'un des « ports » qui font communiquer la France avec l'Espagne, plus exposée que toute autre aux invasions, devait plus que toute autre présenter le luxe de défense que révèle notre gravure. En effet, aucune des nombreuses bandes de fer qui garnissent les ais de la porte ne sert à autre chose qu'à les protéger, car les pentures à gond sont placées à l'intérieur et maintenues, soit par les mêmes rivets à tête sphérique que ceux qui garnissent les barres extérieures correspondantes, soit par ceux que l'on remarque rangés à la partie supérieure. Tout l'ornement consiste en enroulements partant de chaque côté des barres, dont les volutes affrontées sont fixées à leur extrémité par un rivet à tête sphérique. Trois barres seules, n'ayant de volute qu'à chacune de leurs extrémités, sont ornées sur leur plat de zigzags et de perles creusées à l'estampe. La serrure ancienne ayant été enlevée, nous avons rempli l'espace vide que remplissent les pentures, en respectant scrupuleusement toutefois leur disposition et leur forme, par une serrure plate avec verrou à vertevelle, appartenant à une autre porte du même caractère et de la même contrée. Cette serrure, fixée à la porte de l'église de Londervielle par quatre clous rivets à tête sphérique, est couverte de plusieurs rangs d'ornements divers enlevés au burin ou frappés à l'estampe, parmi lesquels on remarque des arcatures à pointe d'ogive. Son verrou, orné de quelques rainures sur le moraillon, est terminé par une tête de cheval comme amortissement. Ce mode de fermeture, comme on le voit, n'est pas très-fort, car ce qu'on redoutait alors, apparemment, c'était plutôt ceux qui enfoncent les portes que ceux qui crochètent les serrures.

Nous avons dit que cette porte, antérieure à toutes celles publiées jusqu'ici dans les « Annales », appartenait à l'époque romane, et quoique l'accord si parfait, qui existe entre ses ornements et la baie romane où elle s'adapte, puisse à la rigueur suffire à le prouver, nous avons voulu apporter le témoignage d'un monument à date certaine.

C'est la porte du Paradis, dans le magnifique bas-relief qui décore le portail de l'église de Conques fondée au commencement du xr siècle et terminée vers

1060. On ne peut nier la parenté de cette porte avec celle de Cadiac. Ce sont, de part et d'autre, les mêmes pentures avec enroulement à leur extrémité; les mêmes barres de renfort, l'une simple, l'autre fleuronnée à chacune de ses extrémités, et les mêmes clous sphériques ou en pointe de diamant; c'est la même serrure, ici en bosse, avec son énorme verrou. Seulement, dans la sculpture, pentures et ornements sont hors de proportion avec la porte qu'elles écraseraient. La porte de Cadiac ayant été gravée d'après le dessin même fait sur place à l'échelle d'un dixième, sans qu'on l'ait réduite pour l'approprier au format des « Annales », la partie supérieure du portail roman, qui l'accompagne et la complète, se trouve supprimée. Ainsi les montants en marbre de la porte et les colonnes aux bases et chapiteaux bizarres, qui les cantonnent, doivent être surmontés d'un arc plein cintre, orné d'un tore séparé, par une gorge profonde, d'un triple rang de billettes. Le monogramme du Christ, sculpté en relief et orné d'étoiles de toutes sortes, occupe le centre du tympan qu'un câble circonscrit. Enfin une corniche, dont la gorge est occupée par des sujets fantastiques, surmonte et termine le tout qui forme saillie sur le reste de l'édifice. Celui-ci, reconstruit à une époque postérieure, n'offre rien de remarquable.

Afin d'avoir le type complet de l'entrée des églises pyrénéennes, visitons la porte de l'église de Soulan, près de Cadiac, sur l'extrême frontière d'Espagne.

La barbarie et l'étrangeté de ces ferrures ne déplaisent pas dans ce pays sauvage, au milieu des pentes abruptes qu'il faut escalader pour y atteindre ; elles vont de pair avec une architecture sauvage elle-même, exécutée avec des matériaux à peine dégrossis. Trop pauvres ou trop inhabiles pour sculpter des chapiteaux ou des corniches, pour tailler des colonnes et des moulures, les maçons de Soulan ont usé avec habileté du seul ornement dont ils pouvaient disposer le soleil. En effet, à l'entrée de la modeste église, on trouve trois retraites pour arriver du nu du mur à la surface de la porte, et deux, de celui-ci au tympan, ce qui donne trois et deux ombres portées. Et ce parti pris d'une architecture accidentée, nous le retrouvons aux baies des fenêtres percées dans le même système, aux corniches, aux clochers, sur les murs mêmes garnis de contre-forts; de sorte que le maçon dédaigné et inconnu peut, avec son œuvre grossière, donner la leçon à l'architecte renommé qui, à grands frais, fait élever de froides églises sur les murs lisses desquelles Phoebus Apollo, le dieu des académiciens pourtant, glisse sans trouver où profiler un filet lumineux et projeter une ombre vigoureuse.

Mais, revenant à notre porte de Soulan, nous ferons remarquer que des

1. Nous signalons aux amateurs de cloches celles de Soulan qui sont, l'une de 1540, l'autre du XIIIe siècle peut-être, à en juger par la beauté des caractères majuscules de l'inscription suivante,

sphères décorent les consoles qui terminent les pieds-droits, sphères que nous retrouvons à Cadiac, et qui semblent être l'ornement caractéristique du style roman pyrénéen; puis le monogramme du Christ, qui décore son tympan. Outre l'A et l' ainsi que le XPZ, facilement reconnaissables, on peut même avec un peu de complaisance, il est vrai, lire le Xpistos tout entier, en donnant au cercle qui enveloppe le monogramme la valeur de l'o, et celle du T à la croix qui traverse la tige du P. Ce signe est cause que, dans le pays, on attribue aux Templiers la construction de toutes les églises où il se rencontre. Quoi qu'il en soit de cette tradition, à laquelle rien ne s'oppose, nous ferons remarquer la croix ancrée, en fer, clouée au milieu de la porte de Soulan, et la croix pattée 2, sculptée sur le tailloir du chapiteau gauche de celle de Cadiac.

Puisque nous sommes encore dans les Pyrénées, revenons à Cadiac pour y traverser avec la route la chapelle bâtie à l'entrée du village du côté de l'Espagne. Nous trouverons, à notre gauche, la chapelle bâtie sur un roc écroulé dans la vallée; nous serons sur la route qu'elle recouvre de son toit, et dont elle est séparée par une forte grille qui la clôt pour les personnes, en la laissant ouverte pour les prières. A notre droite, s'élèveront quelques gradins taillés dans le roc, d'où l'on pourra assister à la messe par-dessus les bêtes de somine qui viendraient à passer. L'espace, compris entre l'arc de la grille et le toit, est recouvert d'une grande peinture murale relativement moderne 3 représentant la mort de la sainte Vierge et son Assomption.

C'était la première station religieuse des Espagnols arrivant en France : la seconde était à Saint-Exupère d'Arreau dont l'église, fermée immédiatement après le porche par une immense grille en fer de la renaissance, renferine une cuve en pierre où ceux-ci déposaient pour offrande l'huile destinée à alimenter la lampe du sanctuaire. Mais la cuve est vide, aujourd'hui qu'une route départementale s'est substituée au chemin de mules, en respectant toutefois la chapelle « routière » qu'elle traverse.

ALFRED DARCEL.

si bien appropriée à la position de l'église sur une montagne élevée : VOX DEI CLAMAT IN TEMPESTATE. La disposition des lieux n'a pas permis de compléter l'inscription et de reconnaître la présence d'une date. Cette cloche, sphérique à son cerveau, est très-évasée sur ses bords.

2. A Cabous (Haute-Garonne) nous avons retrouvé une croix semblable et en fer, clouée sur la porte. 3. M. Loupot, architecte à Bagnères-de-Luchon, qui fut mon guide et mon compagnon dans mes excursions archéologiques des Pyrénées, croit cette chapelle du xvi siècle, tout en y reconnaissant quelques fragments de l'époque romane.

RENAISSANCE

DE

L'ARCHITECTURE CHRÉTIENNE

De toutes parts s'élèvent des églises romanes ou ogivales, et bientôt on ne voudra ni supporter ni comprendre que des temples grecs, des édifices d'un style hybride et inqualifiable viennent usurper une place qui doit appartenir exclusivement aux inspirations du génie chrétien ».

Discours de M. le comte de Montalembert au congrès archéologique tenu, en juin 1853, dans la ville de Troyes.

Dans le discours de M. le comte de Montalembert, auquel nous empruntons l'épigraphe de cet article, une phrase semble faire craindre une réaction contre l'art chrétien et national au profit de l'art étranger et païen; elle paraît annoncer comme une deuxième restauration de l'art grec et romain. En effet, depuis six mois, nous entendons parler d'un semblant de velléité qu'on pourrait avoir de détourner le courant actuel, qui pousse au gothique et au chrétien, vers les bassins déserts du plein cintre ou de la plate-bande des païens. On nous a même dit qu'on voulait tenter la résurrection de l'art qui avorta pendant les premières années de ce siècle. Quant à cette résurrection, c'est difficile car on ne peut faire revivre que ce qui a eu vie, et l'art d'alors n'a jamais existé réellement; c'était une vapeur informe et lourde, que le souffle d'un goût sain et sensé a dissipée dès l'origine et sans retour. Quant à la restauration de l'art des Grecs et des Romains, l'expérience qu'on en a faite depuis le xvro jusqu'au xvir siècle suffit et au delà pour qu'on ne la recommence plus : «< non bis in idem ». On a beau dire que notre époque a un art à elle, ou que, si elle en est dépourvue, on va lui en donner, lui en créer un, c'est une parole en l'air, une pure vanterie, et rien de plus : « sunt verba et voces ». Il faut être Dieu pour parler à l'art de ce ton et lui dire, comme à la lumière, un

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