Page images
PDF
EPUB

doit une grosse pomme d'or pleine de senteurs, et une martre qui avoit la teste et les pattes d'or; elle estoit coeffée d'une coeffe de soye faite à boutons d'or, garnie de bordures semées de diverses pierreries, et par dessus un bonnet de veloux noir enrichi de fers et boutons d'or, et d'une plume blanche; et au front une grosse perle orientale qui pendoit à ung petit fil de soye noire, et aux pieds des souliers de veloux noir sur une planchette de même. »

La femme d'Antipas était montée sur une haquenée blanche harnachée de velours noir frangé d'or. « Elle estoit habillée de velours cramoisy doublé de drap d'or pourfilé de broderies d'or, découpé et bordé de chaisnes et de boutons d'or. Elle avoit par dessus un manteau de satin cramoisy doublé de toile d'argent tout brodé, un collier d'or au col garny de pierreries et de perles pendant avec une bague de diamants et de rubis. La chaisne dont elle estoit ceinte pesoit plus de trois cents ecus, à laquelle pendoient de PETITES GENTILLESSES; elle estoit coëffée à l'italienne d'une coëffe d'or, toute semée de perles et bordée de pierreries; et estoit par dessus sa coëffe ung bonnet de veloux noir au rebras duquel estoit une image d'ung CUPIDO, toute de perles, et le reste garny de fers et boutons d'or. Ses patins étoient d'ung veloux noir, à la pointe desquels avoit ung saphir monté en or. Elle tenoit ung plumail en sa main, où pendoient petites perles, et la poignée environnée de chaisnes d'or. Luy pendoit sur le front une autre riche bague où estoit ung diamant, rubis et émeraudes avec trois perles. Elle avoit quatre laquais vestus de satin blanc et bleu qui estoient à l'entour d'elle. »

La femme d'Hérode Agrippa, aussi somptueusement vêtue et coiffée d'or, de perles et de pierres précieuses, avait à sa ceinture une grosse chaîne d'or 'de plus de mille écus « à laquelle pendoient des patenotres d'hyacinthes taillées à faces. Elle avoit à son col une autre grosse chaisne et un riche collier de perles, orné d'une bague et quatre diamants en pointe, et sur son estomac avoit une dorure qui portoit un chien d'or, au col duquel pendoit un gros rubis et à sa queue une grosse perle. Elle avoit quatre laquais vêtus de diverses couleurs. »

Sur un char était traînée Candace, reine d'Éthiopie. « Sur sa robe de damas blanc, à menues figures et à découpures de veloux cramoisy brodé d'or, se voyoit une grosse chaisne d'or, tout au long de la fente, depuis le haut jusques au bas, y avoit tout plein de camayeux, agathes, onyx, et autres pierres d'azur. A son col portoit une chaisne où pendoit une potence de trois rubis et ung diamant. »

Le récit de toutes ces magnificences trouverait sans doute des incrédules, si on ne se rappelait que les acteurs de cette représentation étaient les notables

d'une des villes les plus riches de l'époque; d'une ville dont Jacques Cœur avait fait le centre du commerce de la France dans le siècle précédent, et dont maintes familles s'étaient enrichies à la suite du célèbre argentier 1.

D'ailleurs le chapitre de la cathédrale et celui de la Sainte-Chapelle du palais avaient dû mettre à la disposition des ordonnateurs de la fête les innombrables richesses de leurs trésors, que les protestants n'avaient pas encore dévastés. Du reste J. Thiboust avait prévu qu'on le soupçonnerait d'exagération, car il a mis en tête de sa relation les vers suivants :

Ne pensez pas, aymables lecteurs,
Que de la monstre ici apres déduite
Soit une fable, ou que les directeurs
Ayent voulu que vérité escrite :

Il est certain qu'elle a esté reduite

De point en point, selon la veue d'œuil,
Et voudrois bien que selon le mien veuil
Dieu tout-puissant la voir vous eus permis;
Lors vous diriez l'auteur de ce recueil
A plus laissé que davantage mys.

Notre manuscrit ne parle que des « feinctes » à préparer sur le théâtre. La relation de J. Thiboust nous fait connaître quelques autres mécanismes adaptés au costume de certains personnages, et que nous devons citer pour être complets. La Monstre commençait par des « furies», des plaies desquelles semblait sortir du feu. Puis quatre petits diables, « avec timbres dorés et aelles mouvants incessamment. » A leur suite marchaient six diables vêtus de velours de diverses couleurs, tout couverts de petits serpents, lézards, couleuvres et « autres bestes faictes de broderie et bien enrichies, ayant tous grandes aelles tenant des bras jusques au bas de la jambe, autres derrière qui dressoient et baissoient quand bon leur sembloit; avoient aussi leurs garguettes et timbres dorés et argentés, jettant feu par les narines et oreilles, et tenoient en leurs mains quenouilles à feu, faites en forme de serpents qui leur estoient changés d'heure en autre par gens à ce faire commis, tant qu'ils n'estoient point sans jetter feu d'icelles ou par autres parties de leurs corps. Marchoit après un grant dragon de longueur environ de douze pieds, mouvant sans cesse la teste, les yeux, la queue, et tirant la langue d'où issoit du feu assez souvent. Entre

1. Notre ami M. de Girardot nous permettra d'ajouter que toutes ces descriptions sont, pour la matière et la forme des étoffes, pour la joaillerie et l'orfévrerie qui les relevaient, rigoureu sement conformes aux costumes que nous admirons encore dans les manuscrits de l'époque, surtout sur les tapisseries dites de Flandre, sur les tableaux des écoles dites gothiques ou de la renaissance, sur les tombeaux de la nombreuse et illustre famille de Charles-Quint. A Bourges, on suivait la mode du temps, et il fallait absolument avoir les velours, les damas, les pierreries, les orfévreries que cette mode imposait à tous les vêtements de parade. Ces descriptions du « Mystère des Apôtres » sont même extrêmement précieuses pour les peintres sur verre et les archéologues; car, aux premiers, elles donnent des couleurs et des formes, comme elles donnent aux seconds une terminologie précise. Nous faisons, en notre qualité de peintre verrier, tout notre profit de ces textes curieux. (Note de M. Didron.)

les aelles duquel, qui se mouvoient par fois, estoit assis Sathan vestu d'un veloux cramoisy damassé et à long poil, ceint d'un serpent assez long qui mouvoit sans cesse la teste et queue; et en plusieurs parties de son corps y avoit autres petits serpens et dragons mouvans. Ses aelles estoient faites à myrouers que semblablement il dressoit souvent. Son tymbre n'estoit que demi qui lui couvroit seulement la teste; il estoit doré et enrichi de plusieurs petits serpents et lezards élevés, qui jettoient feu par la gueule; il tenoit dans sa main un sceptre duquel il sortoit feu sifflant par quatre endroits. Conséquemment marchoit Belial, procureur d'enfer..; il jectoit feu par le nez, tenoit en sa main une quenouille de feu... Après marchoit Cerberus...; sur son tymbre y avoit trois testes dorées qui jectoient feu assez souvent.... et estoient tous les dessusdicts diables argotés, par les mains et pieds, de sorte que, en marchant, leurs pattes se ouvroient et resserroient ainsi comme celles d'ung paon.

Après laquelle diablerie estoit conduit ung Enfer de quatorze pieds de long et huict de large, faict en fasson d'ung roc sur lequel estoit assise une tour toujours brulante et faisant flammes, en laquelle estoit Lucifer qui apparroissoit de teste et corps seulement. Il estoit vestu d'une peau d'ours où à chascung poisle pendoit une papillotte ; il avoit ung timbre à deux museaux, estoffé de diverses couleurs; il vomissoit sans cesse flammes de feu, tenoit en ses mains quelques espèces de serpens ou vipères qui se mouvoient et jettoient feu. Aux quatre coins dudit roc estoient quatre petites tours dans lesquelles apparoissoient des ames en diverses espèces de tormens. Et sur le devant d'icelui roc, sortoit un gros serpent sifflant et jectant feu par la gueule, narines et oreilles; et par tous les endroits dudit roc gravissoient et montoient toutes espèces de serpens et gros crapauds. Il estoit mené et conduict par certain nombre de personnes, estant dedans, qui faisoient mouvoir les tormens es lieux, ainsi que leur estoit ordonné '.

[ocr errors]

Le prevost de Hiérapolis était monté « sur ung grand dromadaire fort bien fait qui mouvoit la teste, ouvroit la bouche et tiroit la langue, conduit avec une petite bride de soye à laquelle pendoient de riches houppes d'or. Il avoit un siége sur le dos auquel estoit assis led. prevost.

1. Rien de plus curieux, pour l'iconographie du diable, que ces textes du « Mystère des Apôtres ». Nous les transcrirons et les annoterons dans notre « Histoire des Démons ». Mais ce n'est pas pour le diable seulement que ce « Mystère » est une source de renseignements curieux; le texte même des « Feintes », que nous publions à la suite de cette introduction de M. de Girardot nous offre une véritable iconographie, depuis les personnes divines, les neuf chœurs des anges et les apôtres, jusqu'aux personnages de l'histoire profane. (Note de M. Didron.)

Le cortège se terminait par « ung Paradis de huit pieds de large et douze de long, Ce Paradis « estoit tout à l'entour circuit de throsnes ouverts, peints en formes de nuées passantes, et par dehors et dedans petits anges, comme chérubins, séraphins, potestats et dominations, élevés en bosses, les mains jointes, et toujours mouvans. Au milieu estoit ung siege fait en façon d'arc en ciel, sur lequel estoit assise la Divinité, Père, Fils et Sainct-Esprit, et par derrière deux soleils d'or, au milieu d'ung throsne, qui tournoient sans cesse, l'ung au contraire de l'autre. Aux quatres angles avoit des sièges aux quels estoient les quatres vertus, Justice, Paix, Vérité et Miséricorde, richement habillées, et aux costés de ladite Divinité avoit deux autres petits anges, chantant hymnes et cantiques, qui s'accordoient avec des joueurs de flustes, harpes, luths, rebecs et violes, qui marchoient à l'entour du Paradis. »

Notre manuscrit est un petit in-12, en parchemin relié en veau brun gauffré, de 49 feuilles, dont deux de garde et de titre. L'écriture est la cursive du xvi siècle. Ce manuscrit commence par la liste de tous les personnages qui figurent dans le drame; à côté de chaque nom se trouve l'indication des livres où paraissait chacun d'eux ', et le nombre de vers qu'il avait à réciter. Ces personnages sont au nombre de 494, classés par ordre, ils récitent 61,908 vers (pour 9 livres, non compris le Mystère de Saint-Denis).

[ocr errors]

Vient ensuite l'extrait des feintes que nous allons donner en entier. On sera étonné du nombre considérable des machines préparées pour cette représentation; on verra que rien n'y est oublié, pas même une lettre de commission pour bailler à Saulus pour aller en Damas par les princes de la Loy.» On remarquera le mécanisme au moyen duquel on « marthyrisoit » saint Barthelemy sur la scène : « Fault ung nud ou une carnacion pour escorcher sainct Bartholomy; sera mis sainct Bartholomy sur une table tournisse et dessoubs ung nud et, en le couvrant d'un linceuil, fault secretement tourner la « table. » — » — Pour la décollation de Simon le Magicien, un mouton habilement placé servait à faire une illusion complète.

[ocr errors]

Le manuscrit est terminé par un livre x, consacré au martyre de saint Denis; ce livre ne se trouve ni dans l'édition d'Alabat, ni dans celle des Angeliers.

Baron DE GIRARDOT.

4. Le drame est divisé en neuf livres, auxquels on ajoutait un dixième, la vie de saint Denis, ou tout autre mystère, comme on en voit dans l'édition des Angeliers.

LA CATHÉDRALE DE TRÈVES'

Les travaux que M. le chanoine de Wilmowsky fit exécuter, en 1846 et 1847, dans la cathédrale de Trèves, consistèrent à débarrasser du badigeon vert tendre la totalité du chœur et de la grande nef, et une partie du bas-côté nord; à rejointoyer et recrépir en surface lisse; à restaurer les membres architectoniques; à tailler et poser dans la grande galerie 204 colonnettes neuves; à restaurer le galbe de l'ouest et consolider la façade occidentale.

Tous les visiteurs de notre monument auront remarqué trois fragments de fût granitique, gisant au portail de l'ouest et passant pour avoir appartenu à lacolonne écroulée que Poppo remplaça par un pilier. Ils furent effectivement déterrés au pied et en arrière du pilier, alors que l'archevêque Lothaire de Meternich faisait creuser sa propre tombe (1614). M. Schmidt en concluait, avec vraisemblance, que les trois autres piliers de Poppo recélaient chacun une colonne de granit. M. de Wilmowsky s'avisa de sonder et trouva qu'effectivement le pilier suppléant était une construction pleine, mais que les trois autres contenaient chacun une colonne de marbre, conformément au dire des chroniques. Rien à répliquer à ce témoignage, et c'en était fait ce semble de la tradition, si chère au peuple, des colonnes granitiques.

Au printemps de 1848, on attaqua le mur d'enceinte romain du bas-côté

[ocr errors]

4. Voir les « Annales Archéologiques », volume XII, pages 32-43, 154-163. Pour faciliter l'intelligence des développements donnés par M. le baron de Roisin dans son travail sur la cathé drale de Trèves, nous avons fait réduire le plan minutieusement exact que M. Schmidt, architecte de Trèves, a publié en 1836. On a, sur cette planche, non-seulement le plan de la cathédrale, mais encore celui du cloître et de ses dépendances et le plan de l'infiniment curieuse église Notre-Dame. Nous prions les lecteurs des «Annales » de recourir à notre article sur Notre-Dame de Trèves, volume XI, pages 272-286; ils y trouveront sans doute, grâce au plan d'aujourd'hui, plus de clarté, et par conséquent plus d'intérêt que lors de la publication pure et simple du texte.

(Note de M. Didron.)

« PreviousContinue »