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étalait les magnificences de son culte, faisait chanter le choeur aérien de ses cloches, resplendir ses cathédrales, soupirer ses orgues, éclater ses mélodies liturgiques, déployer ses augustes cérémonies. Voilà le moyen de faire entrer la foi au cœur des populations. L'Église avait fait de l'art l'auxiliaire de la parole, un organe de prédication aux yeux qui avaient besoin de voir et aux oreilles qui avaient besoin d'entendre. Cette propagande plastique, cette prédication puissante de la matière, purifiée et vivifiée par la foi, constituait l' « apostolat de l'art chrétien », la dignité la plus haute, la puissance la plus grande où l'art puisse jamais parvenir.

« La prédication de la parole toute simple et toute nue est incomplète, impuissante sur les masses, tant qu'elle ne sera pas soutenue, expliquée par cette prédication des sens. Au peuple, qui ne sait pas lire et qui n'est pas capable de science, montrez le saint de pierre qui prie dans sa niche gothique, les fleurs de ses champs qui ornent le front de la vieille église comme une aïeule couronnée par ses petits-enfants; montrez la croix qui plane sur le sommet des clochers; faites monter pour lui les voûtes dans le ciel comme des firmaments constellés; faites-les ruisseler d'or et d'azur comme une aube pure ou comme un soir d'été; jetez des faisceaux de colonnettes dans les airs comme des gerbes de saintes espérances et de pieux soupirs; faites resplendir vos verrières de saintes images et de merveilleuses légendes comme les portiques de la céleste Jérusalem; faites étinceler l'autel de gerbes de lumière, de couronnes de feu; et là, sur cette scène splendide, faites chanter des prières et des cantiques où il mêlera sa grande voix, faites développer des cérémonies dramatiques où il aura sa place et son rôle, et alors le peuple vous comprendra: il priera, chantera, croira avec vous.

« Le peuple croyait autrefois. Il n'avait pas moins de fatigues et de travaux qu'aujourd'hui, pas moins de misères et de souffrances peut-être; mais il était plus résigné, plus heureux, parce qu'il croyait et espérait; parce qu'on lui prêchait la foi dans sa langue naturelle, la langue des sens et de la matière, la langue des sons, des couleurs, des lignes et des contours; la langue de l'art chrétien. On aura beau faire et beau rêver, on ne soulagera guère les misères de la multitude; et si l'on fait son pain moins noir, son vêtement moins grossier, sa demeure moins sombre, on fera son esprit moins docile, son cœur moins résigné, ses appétits plus dévorants, tant qu'on n'augmentera pas sa foi avec son bien-être. Il y a un fonds d'épreuves que le genre humain n'est pas près d'avoir épuisé, une mesure de travail et de souffrance qui doit tomber toujours sur le plus grand nombre. Mais ce qu'on peut faire, ce qu'on faisait autrefois, ce que faisait l'Église, c'est consoler et encourager, c'est relever et

transfigurer les travaux et les misères; c'est, au moyen de l'art, faire sourdre au cœur du peuple une source pure de poésie et de dévotion. Chaque dimanche, chaque jour de fêtes, plus nombreuses et plus solennelles que de nos jours, l'Église convoquait les petits et les pauvres. C'est alors que la mystérieuse et profonde cathédrale, qui, les autres jours, soupirait et murmurait à peine, s'éveillait en tressaillant de joie avec toutes ses voix et tous ses cantiques. C'était la véritable maison du peuple, sa maison à lui, qu'il avait bâtie des sueurs de son front et des prières de ses lèvres; sa maison paternelle, où il séjournait une belle part, la plus belle part de sa vie, et dont il connaissait toutes les beautés, et comprenait toutes les harmonies. Elle étalait pour lui des pompes et des magnificences qui faisaient pâlir celles des rois; elle lui faisait lire la merveilleuse histoire de ses ancêtres bibliques et évangéliques; elle lui chantait des hymnes comme en chantent les bienheureux dans le ciel. Et le peuple, lui, si facile à impressionner, et qui répond toujours par l'enthousiasme aux grands spectacles, remportait dans son cœur ravi le souvenir de ces fêtes, préludes des fêtes éternelles. Il avait entrevu, dans le lointain de ces arcades fuyantes, dans le fond de ces nefs noyées de clartés, de couleurs et d'encens, l'aube de la céleste patrie; il avait entendu, dans ces mélodies indéfinissables du mode grégorien, l'écho des cantiques éternels; et la vie lui était douce avec ces promesses de la foi, la résignation facile avec ces perspectives du monde surnaturel.

Depuis bientôt trois siècles, l'art s'est révolté contre l'Église et a déclaré son indépendance; le peuple ne le comprend plus que comme une excitation aux jouissances sensuelles. Le culte a été amoindri par cette défection de l'art; et, la foi ne saisissant plus le peuple par tous les pores, l'art ne lui parlant plus la langue du ciel, et ne l'appelant plus aux fêtes religieuses, ce pauvre déshérité des biens et des jouissances de la terre commence à trouver sa condition bien dure, son habitation bien étroite, sa nourriture bien grossière et cette société bien mal faite. Il ne croit plus et il n'espère plus ; il ne sait plus souffrir et plus prier, et, finalement, il ne sait plus obéir ni à Dieu ni aux hommes.

« L'abbé SAGETTE ».

XIII.

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SERRURERIE DU XIIE SIÈCLE

Nous offrons aujourd'hui les commencements barbares d'un art dont les produits magnifiques ont trouvé dans ce recueil de si fidèles et habiles interprètes. La porte de Cadiac, sous les épaisses et nombreuses bandes de fer dont elle est bardée, n'est-elle pas le prototype des portes magnifiques de Notre-Dame de Paris? Car, si la modeste église pyrénéenne avoue franchement qu'un motif de sûreté a fait garnir sa porte de cette robuste armature, il faut reconnaître que les mêmes besoins se cachent sous le luxe des rinceaux et l'exubérance de l'ornementation dans la cathédrale illustre. Nous comparerions volontiers ces deux portes, si dissemblables, l'une aux robustes armures du XIVe siècle, et l'autre à ces chefs-d'œuvre de la renaissance où le fer disparaît sous les rondesbosses et les ciselures damasquinées. C'est partout le soin de la défense: ici, déguisé par l'art; là, brutalement accusé par le besoin.

Si par hasard les textes qui relatent les siéges supportés par les églises venaient à manquer, l'aspect seul de celles des Pyrénées nous prouverait avec surabondance que ces édifices furent presque autant militaires que religieux. Ainsi, outre l'épaisseur des murs et des voûtes qui les recouvrent, l'étroitesse des fenêtres et leur élévation au-dessus du sol ', presque toutes ces églises présentent dans l'ébrasement de leur porte les rainures nécessaires pour loger des barres de sûreté destinées à prêter leur secours aux gonds et aux

4. Les églises des Pyrénées, à quelque siècle qu'elles appartiennent, présentent toutes le mème caractère de solidité. Ainsi, pour une longueur intérieure de 10 à 14 mètres sur une largeur de 450 à 5, elles ont des murs de 085 d'épaisseur, sans y comprendre les contre-forts qui font saillie en dehors et en dedans. Les ouvertures, très-rares et concentrées vers le sanctuaire, ne mesurent quelquefois que 040 de jour; aussi ces églises sont-elles très-sombres. L'aspect en est étrange lorsque, le soir, les femmes accroupies sur les dalles et enveloppées de leurs capuches, noires ou blanches, égrènent leur chapelet en faisant leur prière. Les portes, toujours placées sur le côté, regardent le midi, à cause des neiges et de l'âpreté du climat. Les voûtes, en berceau ou en arc de cloître, sont quelquefois décorées de peintures exécutées au xve siècle pour la plupart.

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