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ne pouvait par l'éloignement perdre aucun de ses effets, la vertu, qui allie le discours à la raison, me découvrit que c'étaient des candélabres et que les voix chantaient HOSANNA. Les beaux meubles flamboyaient au-dessus d'euxmêmes, plus clairs par un ciel serein que la lune à minuit et au milieu de son mois. Rempli d'admiration, je me retournai vers le bon Virgile, et lui me répondit par un regard non moins chargé d'étonnement. Je reportai ma vue sur les hauts candélabres, qui s'avançaient vers nous si lentement, qu'ils auraient été dépassés par de nouvelles épouses... Et je vis les flammes aller en avant, laissant derrière elles l'air peint de belles couleurs; et elles avaient l'apparence de pinceaux tirant des lignes. Si bien qu'en haut restaient trèsdistinctement sept lignes, renfermant en elles les couleurs dont le Soleil fait son arc et Delie sa ceinture. Ces étendards allaient en s'éloignant au delà de ma vue'. »

Suit une procession, dont nous parlerons ailleurs, où se déroule par personnages l'histoire du christianisme, et qui est un véritable « Triomphe » de la religion. Certes, voilà de la poésie éclatante et pénétrante comme le monde, avant le poëte Florentin, n'en avait jamais entendu, et cependant, si le chandelier de Milan, si l'« Arbre de la Vierge » se mettait en marche à la tête d'une procession dans quelqu'une de nos cathédrales gothiques, suivi de la longue file du clergé, riche et nombreux comme il était au moyen âge, le spectacle qu'on aurait alors vaudrait celui que Dante a rêvé. Nous tâcherons, dans la série des articles, dont celui-ci est le premier, d'en offrir une idée, non pas poétique, parce que la poésie n'est le fait ni des « Annales», ni de leur directeur, mais du moins archéologique.

Comme nous l'avons dit, nous donnerons successivement dans les « Annales » la gravure de tous les motifs qui composent ou décorent le chandelier de Milan qu'on appelle l'« Arbre de la Vierge », et un texte descriptif accompagnera chaque dessin. Aujourd'hui, en tête de cet article, paraît la première de ces planches qui donnera, nous en avons la conviction, une grande idée de cette œuvre incomparable aussi bien que du rare talent de M. Sauvageot, le graveur. On nous dispensera, pour le moment, de décrire le sujet, parce que cette description viendra à son heure et à son rang, peut-être dans la livraison prochaine. D'ailleurs, rien n'est plus facile à comprendre : c'est la chute d'Adam et d'Ève, et leur expulsion du paradis. Ce sujet forme l'une des quatre parties auxquelles s'attachent les pieds du candélabre.

DIDRON.

1. DANTE, « Purgatoire », chants 28 et 29, traduction de la « Divine Comédie », par Brizeux.

LE DRAME AU XVI SIÈCLE

MYSTÈRE DES ACTES DES APOTRES

INTRODUCTION.

Le document que nous publions ici est relatif à l'un des faits les plus curieux de l'histoire des arts dans le centre de la France au xvr siècle.

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Le diman

che, dernier jour d'avril 1536, commença à Bourges la représentation du Mystère des saints actes des Apostres », des frères Arnoul et Simon Gréban. L'ancien amphithéâtre romain d'« Avaricum » existait encore au XVIe siècle; il ne fut comblé qu'au xvir. C'est dans ce lieu, jadis témoin des pompes du paganisme, que les plus notables habitants de Bourges résolurent de représenter le mystère de la fondation du Christianisme ; cette entreprise était dirigée principalement par Claude Genton, prévôt de l'hôtel du Roy, Pierre Joubert, Benoist Berthier, Jean Girard, Julien Legroing, Max. Saultereau, Jean Seneton, etc. « Ces actes, dit Chaumeau, historien contemporain 2, durèrent quarante jours, lesquels jeux ne furent moins laborieux, pour n'avoir auparavant été réduits par actes et scènes, que bien et excellement joués par hommes graves qui savoient si bien feindre, par signes et gestes, les personnages qu'ils représentoient, que la plus part des assistants jugeoient la chose être

4. Cette opposition avait frappé l'esprit des ordonnateurs de la fête, car ils firent écrire à l'entrée de leur théâtre les vers suivants de Jacques Robert :

Hæc scæna augusti et moles operosa theatri,
Spectator, votis ædificata piis ;

Munera funestæ tibi non promittit arenæ;

Nec locus est vestris, Flora, Venusque, jocis.

2. «Histoire du Berry », livre vi, chap. 7.

Sed nostræ fuerit quæ religionis origo,

Quid pietas edit, quid sit et undè salus.
Specta igitur, non ut visu oblecteris inani,
Verum ut quod facias, quodque sequare habeas.

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vraie et non feinte. Ledit amphithéâtre étoit à deux étages, surpassant la sommité des degrés, couvert et voilé par dessus, pour garder les spectateurs de l'intempérie et ardeur du soleil, tout bien et excellemment peint d'or, argent, azur, et autres riches couleurs que impossible est le savoir réciter. »

Outre ce passage de Chaumeau, il nous reste deux documents curieux sur cette représentation: « La relation de l'ordre de la triomphante et magnifique monstre du mystère des saints actes des Apostres », faite par Jacques Thiboust, sieur de Quantilly, secrétaire du Roy, imprimée à Bourges en 1836, par les soins de M. Labouvrie, notaire '. Le second document est le manuscrit que nous imprimons ici. Il faut y ajouter une des éditions du drame des frères Gréban, celle qui fut imprimée à Paris en 1537, aux dépens de Guillaume Alabat 2, en 2 vol. in-fo gothique, à 2 colonnes, fig. en bois, et qui s'est vendue de 102 à 169 fr. l'exemplaire 3.

Il n'entre pas dans notre projet d'examiner ici le drame des frères Gréban, au point de vue littéraire; nous voulons seulement nous occuper de la partie mécanique » de la représentation qui en fut faite à Bourges. Nous emprunterons, à cet effet, quelques passages à la relation imprimée de J. Thiboust, et nous imprimerons en son entier le manuscrit « des fainctes qu'il conviendra « faire pour le mistère des actes des Apostres.

Dans cette représentation, peut-être sans égale, figurèrent les plus notables de la ville de Bourges parmi le clergé, la magistrature et la bourgeoisie. C'était une affaire tellement importante pour la ville entière, que le chapitre de la cathédrale crut pouvoir dispenser des offices ceux des chanoines qui y prenaient une part active. Ce fait curieux est consigné, dans ces termes, sur les registres des actes capitulaires, à la date du 6 déc. 1535 (date qui prouve que le Mystère fut longtemps à l'étude): « Super requesta magistrorum Petri Jobert, Johannis Girard, Julliani le Troing, et nonnullorum aliorum facta in capitulo ut domini donarent distributiones canonicis qui personagia apostolorum et discipulorum exercent in ludis actum per eos cum deliberatione ut dicebant, fieri propositis commiserunt dominum deamus ad illis danda responsa. »

Le premier jour de la représentation commença par une marche triomphale de tous les personnages, dans leurs costumes éblouissants de richesse; ces ‹ acteurs » s'étaient réunis, à cet effet, hors de la ville, dans l'abbaye de SaintSulpice, la plupart à cheval ou montés sur des chars. Dès six heures du matin, le maire et les échevins, accompagnés de trente-six officiers de la ville, revêtus

4. 4 vol. in-8°, imprimé chez Manceron, à Bourges, en 1836.

2. «< Annales typographiques », par Catherinot.

3. « Manuel du libraire, etc., » par Brunet.

XIII.

3

de leurs robes vertes et rouges, se rendirent à l'abbaye. Là, après avoir ouï la messe, chacun des acteurs se retira dans une chambre pour se vêtir et profiter de l'hospitalité des religieux. Sur les neuf heures, les magistrats de justice firent battre les tambours et sonner les trompettes et les fifres, pour donner le signal de se mettre en ordre, et faire faire l'appel. Sur les onze heures, le cortége se mit en marche vers les Arènes, au milieu des flots pressés et religieusement silencieux de la population accourue de loin. C'est de ce défilé ou Monstre que J. Thiboust nous a laissé le récit imprimé en 1836. Pour faire apprécier la magnificence des costumes des 494 personnages qui figurèrent dans cette pompeuse cérémonie, voici quelques citations.

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Les plus humbles étaient couverts d'étoffes précieuses. Un « demoniacle », vêtu de satin vert semé de pommes d'or, était conduit avec une chaîne dorée par son père, habillé de satin jaune. Un aveugle et son varlet étaient couverts de satin gris et rouge. -Un paralytique avait une chemise de satin jaune orange. Les aveugles, «belistres » et autres mendiants avaient des habits de drap de soye. Les portefaix étaient couverts de velours. Le narrateur de la Monstre dit qu'après les apôtres venaient, « en l'estat de simplicité, 62 disciples vestus de robes de veloux, satin cramoisy, damas et taffetas, faites d'étranges et diverses façons, les unes de broderies, et autres bandées de rubans d'or et de soie; le tout approchant de la mode ancienne. » - Trottemenu, messager du grand pontife, «étoit vêtu de velours pers doublé de toile d'or, découpé à grandes tailles par lesquelles flocquetoit ladite toile d'or, avec un poignard fort riche, duquel pendoit une grosse houppe d'or et de soye, et sur sa teste une coeffe d'or, faite à l'esguille, très belle.» - Taste-Vin était vêtu de satin blanc, brodé de feuillages d'or, doublé de toile d'argent. Les veneurs de Virinus étaient habillés de taffetas gris et violet, et les laquais, de damas. D'après cette description du costume des laquais, messagers, mendiants et belistres, on peut supposer quelle richesse avaient déployée pour les leurs les principaux personnages; ils y avaient employé les étoffes les plus précieuses, les diamants, les pierres fines, l'or, l'argent, qui couvraient aussi leurs chevaux. La mitre de Caïphe étoit de satin cramoisy, cerclée, de long et de travers, de perles orientales en grand nombre, semée de rubis, diamants, balais, topazes, chrysolithes, saphirs, émeraudes et camayeux; sur les deux pointes pendoient deux grosses houppes de perles. Il y avoit par devant uncroissant d'argent, duquel pendoit par derrière un voile en double, tissu de soye de plusieurs couleurs. » — Waradach, duc de Babylone, avait un pourpoint de drap d'or, un collet de broderie ensemencée de perles fines; en écharpe, il portait une grosse cordelière d'or, émaillée de noir, du poids de trois à quatre

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cents écus. « Il estoit ceint d'une autre grosse chaîne d'or plate, à laquelle pendoient trois autres moindres chaînes, auxquelles estoit pendu un Malchus qui avoit ung fourreau de veloux verd et les garnitures d'or. Il portoit ung chapeau de satin bleu, qui avoit le rebras de drap d'or frisé, bien garny de houppes de perles, et d'ung chapeau ducal rempli de diamants, rubis et émeraudes. » La couronne de Polémius, roi d'Arménie, était d'or, ses fleurons de grosses perles orientales fort riches, et couverte de rubis, diamants et émeraudes.

« Néron étoit sur un haut tribunal de huit pieds de largeur, tout couvert jusqu'à terre d'un drap d'or semé de grands aigles faits de broderie, autant pris du vif qu'il est possible, et dessus avoit une chaière eslevée toute couverte d'autre drap d'or frisé sur laquelle il estoit assis vestu d'une saye de veloux bleu toute pourfilée d'or à grands rinceaux d'antique, et découpée à taille ouverte, par où apparoissoit et flocquetoit à gros bouillons la doublure qui estoit d'une autre toile d'or sur champ violet, sa robe estoit d'ung satin cramoisy, pourfilée semblablement d'ung autre ouvrage de fleurons et entrelacs de fils d'or; elle estoit doublée de veloux cramoisy à collet de mesme, faict à pointes renversées, entremeslées l'une dans l'autre, et semées par grande prodigalité de grosses perles, auxquelles pointes pendoient grosses houppes d'autres perles. Son chapeau estoit de veloux pers, d'une façon TYRANNIQUE, bordé de chaisnes d'or et semé d'un gros nombre de bagues. Sa couronne d'or, à trois branches, estoit remplie de tant de sortes de pierreries, par si grande excellence, qu'il est impossible de le spécifier, et à son col n'en estoit moins garni. Ses boutines estoient de veloux pers découpées bien menu, entrelacées de chaisnes d'or et quelques bagues pendant à sa jarretière. Il portoit l'un de ses pieds sur ung escrin couvert de drap d'argent et semé de quelque nombre de pierreries, dedans lequel estoit le sceau de l'empire, demonstrant qu'il tenoit le pouvoir impérial sous sa puissance et que tout estoit soumis à son obéissance. Portoit en sa main une hache d'armes bien dorée. Son port estoit hautain et son maintien magnifique, son dit tribunal et lui dessus estoit porté par huict roys captifs qui estoient dedans, desquels on ne voyoit seulement que les têtes couronnées de couronnes d'or. »

Les costumes des femines avaient encore plus d'éclat que ceux des hommes. La reine Dampdeomopolys estoit sur une hacquenée couverte d'une housse de veloux noir, avec son harnois frangé d'or, et estoit vestue d'une cotte de drap d'or, sous une robe de damas cramoisy, brodée de chaisnes d'or, et à la pièce de devant une riche bordure de pierres précieuses, rubys et diamans, de la valeur de plus de deux mille escus, et à son col ung carcan d'autres pierreries fort riches. Elle estoit ceinte d'une chaisne plate, à laquelle pen

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