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Somme toute, ni l'absence de l'abside, ni la forme du carré parfait, n'infirment, selon nous, l'hypothèse d'une basilique dont la disposition fût subordonnée à l'emploi d'une salle primitivement construite dans un autre but, ou construite dans les limites qu'imposait la localité. Retrouver les indices d'un «< atrium »> serait une forte présomption en notre faveur. Nous l'essaierons.

Il est impossible de croire que la façade de l'ouest, à triple entrée, telle que nous l'avons reconnue, donnât sur une place publique. En tout cas, faudrait-il admettre des constructions quelconques, sinon des dépendances du palais, formant une enceinte extérieure? Remarquons que la basilique de Saint-Paulin avait également trois entrées, et que, selon Épiphane (394), les entrées de l'église d'Anablatha, près de Jérusalem, se fermaient avec des tapis ou rideaux', et qu'enfin, Ciampini parle des voiles d'or appendus aux portes de SainteSophie « Vela aurea pro ecclesiæ januis ».

Le mur d'enceinte du bas-côté poppoyen méridional est percé d'une porte surmontée d'un bas-relief, que partout ailleurs on serait tenté de faire remonter au delà du xr siècle. Cette porte, actuellement bouchée, donnait sur un passage voûté communiquant avec l'église Notre-Dame, et généralement connu. sous le nom de « Paradieschen », diminutif allemand du mot Paradis. Il en était de même à Mayence, un passage analogne conduisant de la cathédrale à l'église Saint-Jean, Seulement M. Wetter observe 3, que de toute ancienneté, la dénomination de Paradis s'entendait du terrain contigu, lequel formait, au front du monument élevé au x° siècle, le jardin du palais épiscopal. « PARADIES » désignait à Cologne, il y a trente ans, dans le vocabulaire du peuple, le vestibule de n'importe quelle église; ailleurs, le surnom s'applique aux abords de monuments à date reculée, et qui ne sont eux-mêmes que des reconstructions, tels que les cathédrales de Spire, de Magdebourg, d'Erfurt, etc. Le mot de l'énigme, c'est que «paradies » a été, en Allemagne, synonyme d'« atrium ». Stengelius 4 décrivant l'abbaye d'Erfurt, dit : « Atrium templi vulgo DAS PARADIES». De même en Italie, car nous lisons dans Ciampini 5 : « In atrio quod PARADISUS appellabatur. -In paradiso ejusdem basilicæ. In ecclesiæ atrio vulgo paradiso appellato ». D'où vient cette synonymie?

Coverden, de Trèves, qui comprend des échantillons recueillis en Italie et des spécimens analogues provenant des monuments romains de notre contrée, offre un autre terme de comparaison.

4. STOLLBERG, « Gesch. d. Rel. », tom. xiv, p. 147.

2. Ciampini, p. 466.

3. « Gesch. und Reschreib. des domes zu Mainz », 4835.

4. « Monasterologia, etc. », pars ult., August. Vind. 1638. Nous devons bon nombre de nos citations à l'inépuisable érudition de M. Kreuser. Voy. « Der Christliche Kirchenbau ».

5. «De sacr. ædific. », p. 77-403.- Comp. ONUPHR. PANVIN, « de præc. urb. R. basil. », p. 57.

Au moyen âge, comme. la tradition enseignait que les pénitents étaient relégués dans l'atrium de la basilique, on eut l'idée de peindre dans les vestibules des églises Adam et Ève (Magdeburg). En ce sens, l'atrium symboliserait le paradis perdu. Remontons à la source, à l'étymologie. Paradis nous vient de l'arménien « Pardes» (syriaque, « Pardaïso»; chaldéen, « Pardes»; version des Septante, Пapádacos); il signifie moins un jardin qu'un verger et qu'un enclos qui réunit les eaux limpides, les fruits délicieux, les beaux ombrages 1. Les Grecs ent emprunté le mot aux Perses, puisqu'il se trouve dans Xénophon. Hérode le Grand fit un Paradis dans l'enceinte de Jérusalem; vu de loin, dit Josèphe, il présentait l'ensemble d'une forêt. Néhémie prie le roi Artaxerxes de lui donner une lettre pour Asaph, gardien du Paradis des rois, afin qu'il puisse y couper les bois nécessaires à la reconstruction du temple. Salomon enfin avait un paradis rempli d'arbres magnifiques : l'aloës s'y mêlait aux cèdres du Liban, aux palmiers de la Judée, aux arbres fruitiers de la Méditerranée. On voit, par ces exemples, que paradis comporte essentiellement l'idée d'ombrages et de plantations d'arbres.

Or, l'atrium de la basilique formait une enceinte extérieure environnée de trois côtés par des portiques. L'espace compris entre ces portiques, une sorte de cour (« impluvium, ara dei, etc. ») souvent plantée d'arbres. Le « paradisus », parvis 2, servit de cimetière vers le v et le vr° siècle. Même avant cette époque on y déposa quelquefois le corps de personnages illustrés par leur sainteté. De là vient la locution: «In paradiso tumulatus 3». De là viennent sans doute encore les paroles que la liturgie impose au prêtre au moment où le corps du défunt franchit le seuil de l'église : « In paradisum tę deducant angeli ». L'on comprend maintenant la synonymie, et nous tirerons une conclusion.

A Trèves comme à Mayence, le passage voûté 4, la communication d'une église à l'autre, a reçu, par extension, une dénomination qui appartenait à l'emplacement contigu. Le chœur occidental de Trèves (Saint-Nicolas) a été construit par Poppo sur l'emplacement du paradis, de l'atrium de la basilique romaine. Cela est tellement vrai, qu'un ecclésiastique nous disait dernièrement encore que sa mère, très-versée dans les traditions locales, avait coutume de dire Le chœur Saint-Nicolas, c'est le paradis. Nos lecteurs se souviennent qu'en creusant le seuil de la grande arcade formant l'entrée de la nef centrale,

4. Nous résumons ici M. l'abbé Maréchal : Dissertation sur le bonheur des élus et notes sur le Cantique des Cantiques ». « Mém. de l'Acad. de Metz ». 1849-50, p. 48, etc. 2. PAUL WARNEFRIED, lib. v, c. 31. « Chronic. cassinense », 11, 9, etc.

3. DE LA BARRE, « Spicilegium, sive collect. veter. aliq script ». T. I, p. 455-456.

4. A Trèves et à Mayence, les abords du passage ont révélé un grand nombre de sarcophages.

on reconnut un mur courant d'un pilier à l'autre et ne dépassant pas le ciment romain. Immédiatement à l'ouest du seuil romain de cette arcade, s'ouvre l'embasement d'une construction semi-circulaire, étayée extérieurement par de petits piliers, le tout ayant dix-huit pouces d'épaisseur. Cet hémicycle, pourvu à l'intérieur d'un ciment d'une dureté vraiment hydraulique, nous semble le « cantharus », la fontaine aux ablutions. A la vérité, on n'a pas pu constater une conduite d'eau apparente dans ce sol bouleversé par les travaux poppoyens; mais, à quelques pas à l'ouest, un canal. Un peu au nord, le plan de M. Schmidt indique l'ancien emplacement d'un puits ou fontaine. Pour prévenir une question, disons encore que les fenêtres de notre monument devaient être garnies de vitres. Le travail de M. Victor Simon de l'Académie de Metz' ne peut laisser un doute sur l'emploi de la vitre chez les anciens. M. Simon cite les textes les plus concluants. Nous nous bornons à celui de saint Jérôme : Fenestræ quæ, VITRO in tenues laminas fuso, abductæ erant ». En 525, les soldats de l'armée de Théodoric pénétrèrent dans l'église de Saint-Jean de Brioude, en Auvergne, par une fenêtre dont ils fracassèrent le vitrage: . Effracta VITREA sunt ingressi ».

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Baron FERDINAND DE ROISIN.

4. « Documents historiques sur le verre », dans les « Mém. de l'Acad. de Metz », 1849-50, p. 203-294.

SALON DE 1853

Des études archéologiques en plus grand nombre, et moins de projets, surtout de ces projets déraisonnables que leurs auteurs n'oseraient certes pas exécuter, tels sont les deux caractères saillants de l'exposition de cette année. Cependant l'art baroque conserve encore des adeptes, pour le plus grand plaisir de la foule qui, même après avoir vu certains tableaux, trouve encore à rire devant les « charges » sérieuses de quelques jeunes architectes.

Mais, dans une autre voie, et parmi les fidèles les plus fervents de notre architecture nationale, nous retrouvons toujours l'infatigable M. Hérard, qui poursuit ses études sur les abbayes du diocèse de Paris et s'est emparé cette année de l'abbaye du Val.

Quelle destinée que celle de cette abbaye! Abandonnée sous la révolution, elle était devenue sous l'Empire la résidence d'été de Mme la comtesse Regnault de Saint-Jean-d'Angely, qui avait fait sa chambre à coucher de la pièce que M. Hérard désigne comme ayant été la sacristie. Décoré d'emblèmes, d'écussons armoriés, et de tout le gothique troubadour de l'époque, le Val était alors devenu le rendez-vous de la société élégante et joyeuse, comme en témoigne ce couplet fort plat de Désaugiers:

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Après un nouvel abandon, l'abbaye du Val s'est changée, oserai-je le dire, en un immense toit à porcs, où s'engraissent quelques centaines d'animaux immondes. Du reste, cette transformation d'une abbaye en une porcherie, rappelle l'histoire de la découverte de l'antimoine. Jetée comme « caput mortuum», et dévorée par les pourceaux d'une abbaye, cette substance avait

engraissé ceux-ci; mais, appliquée aux moines, elle avait tué ceux-là: d'où lui vint le nom.

J'ai déjà par deux fois apprécié le talent consciencieux de M. Hérard; cette année je n'aurai que de nouveaux éloges à ajouter pour les progrès incontestables que cette nouvelle étude révèle. La couleur y est sans tapage, et le faire sans cette adresse prestigieuse qui est le caractère principal de toute l'école moderne; mais je trouve dans ces planches mieux que tout cela un grand respect de la forme avec une couleur très-suffisante. J'y trouve de la conscience enfin. On apprécie surtout une vue perspective du réfectoire et du dortoir, qui donne une juste idée de cette magnifique salle du premier étage. Mais on reproche à M. Hérard de ne pas concentrer l'intérêt sur un petit nombre de planches choisies, au lieu de le fatiguer par une trop grande abondance. Ainsi je vois trois plans de l'abbaye à trois échelles différentes, et je me demande si un seul n'aurait pas suffi; puis le moins intéressant par suite de la disposition adoptée est nécessairement sous l'œil, tandis que des détails curieux sont haut placés. Que M. Hérard sacrifie et garde en portefeuille ce qui est d'un moindre intérêt; qu'il se concentre, et ses expositions y gagneront.

L'antithèse de M. Hérard, c'est M. Sabatier, son voisin. Il est impossible de peindre l'abbaye de Saint-Georges de Boscherville avec une adresse et un brio plus grands, mais aussi de se tenir plus loin de la couleur du monument et de la précision des détails. Jamais la craie de Boscherville n'a revêtu cette chaude couleur, et les détails de la salle capitulaire sont loin de rappeler nonseulement le caractère mais encore la réalité des figures sculptées à sa façade. Il est vraiment fàcheux que tant et de si longues études préparatoires ne puissent être appréciées par la trop grande hâte apportée dans l'exécution du rendu; et l'on assure même que le jury d'architecture, quoique fort débonnaire de sa nature, aurait, avec une juste sévérité, écarté quelques planches d'un faire par trop lâché. Ce serait une belle revanche pour l'an prochain, que de reprendre ces planches en sous-œuvre et de les achever avec tout le soin que mérite notre abbaye normande, et le talent que possède M. Sabatier!

M. Henry Révoil, qui continue de nous révéler les monuments du Midi, a acquis plus de solidité qu'il n'en montrait l'an dernier. Ce cloître de l'île de Lerins, château-monastère que M. Mérimée a fait connaître par son Voyage dans le Midi », est encore une de ces surprises que le Midi réserve aux archéologues du Nord. A ces bases accrochées par des pattes et largement assises, à ces chapiteaux garnis de larges feuilles à peine enroulées et non épanouies, à ces arcs sans moulure, nous attribuerions de prime-abord ces deux cloîtres superposés au commencement du XIIIe siècle, sinon à la fin du siècle

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