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XIII siècles étant tous romans ou de la transition, il n'y a rien d'étonnant que la châsse en ait reproduit le style et les formes.

Loin de croire, comme quelques savants qui font du patriotisme en archéologie, que l'ogive s'est développée à Tournai cent ans plus tôt que partout ailleurs, nous pensons au contraire que le style nouveau a tardé à s'y produire. La châsse de saint Éleuthère, faite en 1247 dans le style de la transition, en serait une nouvelle preuve, s'il en était besoin.

Nous nous plaisons d'autant plus à constater ce fait, que, dans le premier volume des Recherches sur l'histoire de la cathédrale de Tournai», nous avons répété, sur le dire de l'historien Cousin, que le chœur ogival avait été commencé en 1111. C'est là une erreur évidente que nous sommes bien aise de rectifier, puisque nous en trouvons l'occasion. Un examen attentif de la question historique, et surtout l'étude comparée des monuments des xir et XIII siècles, ne permettent pas le moindre doute à cet égard. En 1111 on n'employait nulle part le système ogival du chœur de Tournai, ni en France, ni en Angleterre. Un savant archéologue, M. Parker, a établi d'une manière incontestable, dans une lettre adressée en 1849 au congrès scientifique de Bourges, que les premiers essais de l'architecture ogivale ne sont pas antérieurs à 1150, et l'on voudrait qu'elle fût déjà développée et perfectionnée à Tournai en 1111. Il faudrait alors supposer qu'elle serait descendue du ciel toute faite dans notre ville, à la manière de Minerve sortie armée de la tête de Jupiter. J'ignore si les Athéniens croyaient à ce miracle; mais je connais quelques savants, mes compatriotes, qui, pour l'honneur de notre vieille cité, soutiennent avec ardeur la construction miraculeuse de 1111.

Ce serait sortir de notre sujet que d'entrer dans des développements, d'ailleurs inutiles, pour établir une vérité archéologique si généralement admise. La châsse de 1247 fournit à cette vérité un bon argument de plus; nous nous bornons à le constater. Quoique placée entre un chœur ogival du xir siècle et une nef romane du xir, elle en réfléchit les styles opposés et différents; mais elle se rapproche beaucoup plus de la richesse romane que de la légèreté ogivale. Ainsi la châsse de saint Eleuthère, cette œuvre précieuse de l'orfèvrerie du moyen âge, déjà curieuse pour son art et ses représentations historiques et symboliques, vient, par sa date certaine et reculée, ajouter un nouvel intérêt à l'histoire et à l'architecture de l'imposante basilique de Tournai.

LE MAISTRE D'ANSTAING, Correspondant des Comités historiques de France.

MUSÉE DE SCULPTURE

AU LOUVRE

SALLE DE JEAN GOUJON '.

A mesure que nous avançons, les salles que nous avons laissées derrière nous se meublent de monuments nouveaux. M. le comte de Laborde emploie moins de temps à les découvrir et à les faire entrer dans la collection confiée à ses soins, que nous n'en mettons à les classer et à les décrire. Nous ne croyons pas cependant devoir retourner en arrière. Les nouveaux venus complètent par leur présence des séries déjà commencées. L'énuinération que nous en ferions pourrait confirmer les observations que nous avons déjà recueillies; elle ne modifierait pas nos idées sur la marche de l'art, ni sur les graves conséquences à tirer de l'étude des monuments de la renaissance. Nous ne reviendrons sur nos pas que si quelque monument d'une importance majeure ou d'une nature toute spéciale venait prendre place dans les salles dont nos premiers articles présentent la description. L'ouverture de la partie du Musée de sculpture, réservée aux époques qui ont précédé la renaissance, se fait toujours attendre. Nous croyons savoir que la difficulté de réunir un nombre suffisant de monuments. originaux est la véritable cause de ce retard, et c'est pour nous un nouveau motif de regretter le système d'exclusion des moulages en plâtre dans lequel l'administration se montre résolue à persister.

Les monuments des xi, xive et xve siècles, que possédait le musée des Petits-Augustins, ont retrouvé presque tous leur place dans nos églises. Ce qui en reste ne suffirait pas à garnir une seule des salles du Louvre. D'ailleurs, si leur importance historique n'était pas contestable, ils n'avaient pas tous sous le rapport de l'art une égale valeur. Des circonstances fortuites en avaient amené

1. Voir les « Annales Archéologiques », volume XII, pages 14, 84, 239 et 294.

la réunion; on recueillait avec empressement ce qu'on pouvait soustraire à la fureur des barbares, on ne choisissait pas. La collection nouvelle présentera les mêmes inconvénients, sans offrir pour compensation la même richesse. Il faudrait, pour amener au Louvre quelques-uns des chefs-d'œuvre du moyen âge, qu'une révolution vînt encore s'abattre sur nos cathédrales, et nous espérons bien ne jamais voir le retour de ces temps de lugubre mémoire. Au contraire, si un jour le Musée se résigne à l'admission des moulages, rien ne sera plus facile que de procéder en toute liberté au choix d'un certain nombre d'œuvres excellentes, et de mettre sous les yeux de nos élèves toute une suite de modèles irréprochables. Ne serait-ce pas un grand spectacle et un sujet de méditations profondes que de trouver réunis dans un même édifice les monuments du sensualisme païen, ceux du spiritualisme chrétien et, pour les derniers temps, les œuvres du paganisme ressuscité? Que le Louvre se ravise donc, et en quelques mois nous lui composerions une salle splendide ' qu'il pourrait montrer avec un juste orgueil aux amis du moyen âge comme à ceux qui ont calomnié cette grande époque parce qu'ils ne la connaissaient pas.

Pour nous faire attendre avec plus de patience l'inauguration, tant promise et tant différée, de la salle du moyen âge, l'administration du Musée a fait placer provisoirement, dans un passage qui conduit à la salle de Jean Goujon, trois figures en marbre de la première moitié du XVe siècle. Ces statues, vraiment remarquables par la finesse du travail et par leur état de conservation. extraordinaire, représentent : Anne de Bourgogne, fille de Jean sans Peur, femme de Jean de Lancastre duc de Bedford; Pierre d'Évreux-Navarre, comte de Mortain, fils du roi de Navarre, Charles le Mauvais, et sa femme Catherine d'Alençon. La première était autrefois placée dans le chœur de l'église des Célestins, à Paris; les deux autres reposaient sur un même tombeau2, dans le sanc

4. Nous pouvons indiquer dès aujourd'hui quels modèles nous irions chercher. Deux ou trois de ces Christs admirables comme on en voit aux portails d'Amiens et de Reims; deux ou trois Vierges, les unes debout, les autres assises, choisies entre les plus belles; une série d'apôtres et quelques saints principaux; la superbe statue de sainte Osanne dans la crypte de Jouarre; quelques basreliefs aux tympans de la cathédrale de Reims et à l'intérieur des portes de cette église; des figures allégoriques, comme les vierges sages et folles de Strasbourg, l'Église et la Synagogue de Reims, etc., etc. Ne serait-ce pas assez magnifique?

2. « Ce tombeau (dit le bon Père Jacques Du Breul) se trouvoit au costé méridional du grand autel, eslevé d'environ trois pieds de terre, construict de marbre noir, avec une arcade practiquée dans le mur de l'église. Au-dessus duquel tombeau sont les deux effigies d'allebastre en bosse,.......... avec plusieurs autres petites images à l'entour dudict tombeau. Et tout le dedans de l'arcade orné de riche peinture et d'un grand tableau représentant Nostre-Seigneur descendu de la Croix. Aux deux costés duquel sont encores représentées les images desdits prince et princesse à genoux, avec les armoiries de Navarre ». — – Nous avons voulu citer ce passage en entier pour montrer

tuaire des Chartreux. Toutes trois ont fait à Versailles, dans les galeries du Musée historique, un séjour de plusieurs années, après avoir passé plus de quarante ans dans les salles ou dans les cours des Petits-Augustins. Au milieu de tant de vicissitudes, l'effigie si gracieuse d'Anne de Bourgogne a perdu la riche décoration d'or et de couleur qui couvrait ses vêtements et les joyaux de sa coiffure. A peine reste-t-il sur les côtés du corsage quelques traces de rinceaux, et sur les pierreries de la couronne un peu de poussière colorée. La duchesse de Bedford avait aussi une tombe de marbre noir autour de laquelle se déroulait une inscription gothique; cette dalle précieuse, maintenant rompue et déshonorée, gît au milieu d'autres fragments dans une cave de Versailles jusqu'au moment où elle ira s'anéantir dans le tombereau de quelque gravatier1.

M. le comte de Laborde est encore parvenu à enrichir le Musée d'une tête de jeune femme en marbre, dont l'exécution fine et spirituelle appartient certainement à l'art français de la première moitié du XIVe siècle. Cette tête faisait partie de la collection de M. Champion qui, sous le nom de Petit-Manteau-Bleu, pratiquait passablement la bienfaisance philosophique, sans savoir d'ailleurs le premier mot de la charité chrétienne. Quoi qu'il en soit, le catalogue des objets que ce philanthrope avait réunis, mentionnait une tête de princesse provenant d'un monument détruit de l'abbaye de Saint-Denis. Par bon

une fois de plus quelle était la splendeur de nos monuments, à une époque où nos artistes n'éprouvaient nullement le besoin de passer les monts pour apprendre à peindre ou à sculpter. Ce que nos musées ont recueilli est à peine une ombre de ce que nous possédions.

4. Bien étrange a été la fortune du tombeau d'Anne de Bourgogne. Comme on achevait de ruiner en 1847 l'église des Célestins, on découvrit, sous un râtelier à donner du foin aux chevaux, l'entrée du caveau de cette princesse. Les dalles qui avaient servi à le clôre, en 1432, provenaient d'un cimetière juif; on fut bien étonné d'y trouver sur le revers des inscriptions hébraïques parfaitement conservées. Le cercueil était détruit. Mais les ossements, tombés au fond du caveau, purent être recueillis, ainsi qu'une plaque de plomb gravée d'une épitaphe intéressante. Ce qui est arrivé pour cette sépulture peut donner une idée de la manière dont la plupart de nos monuments ont été traités. La statue est au Louvre, la tombe à Versailles, la plaque de plomb au musée de Cluny. Les inscriptions juives ont été dispersées par les vainqueurs de 1848, quand ils s'emparèrent de la caserne des Célestins. Déposés d'abord dans une mangeoire d'écurie, les ossements furent placés ensuite dans une boîte décente. On offrit ces reliques à l'ambassadeur d'Angleterre, afin qu'elles fussent portées à Westminster. L'ambassadeur répondit très-judicieusement que, pour avoir épousé un prince anglais, Anne de Bourgogne n'en était pas moins une princesse française; et, comme dans notre pays on ne se soucie guère des souvenirs de la grande et majestueuse maison de France, la caisse est restée entre les mains d'un des membres de la commission que le gouvernement avait chargée, en 1847, de présider aux recherches à faire dans le sol de l'église des Célestins.

Ceci était écrit quand nous avons lu dans les journaux que les restes d'Anne de Bourgogne ont été enfin transférés à Dijon, et déposés le 2 mai dernier à Saint-Bénigne, dans le caveau du duc Philippe le Hardi, aïeul de cette princesse.

heur, M. de Laborde lit les catalogues, et il a été bien dédommagé, cette fois, d'une occupation aussi peu récréative. Les monuments de Saint-Denis n'ayant jamais été mis en vente, il ne pouvait s'en rencontrer aucun dans une collection privée. Aussi, sur la proposition de M. de Laborde, l'administration s'empressa-t-elle de revendiquer le buste comme propriété de l'État. Tandis que les huissiers procédaient et noircissaient du papier timbré, M. de Laborde, qui sait combien nous nous sommes occupé d'iconographie historique, nous fit l'honneur de nous consulter. Les renseignements que nous possédons, l'étude des planches de D. Bernard de Montfaucon, et surtout l'examen des calques rapportés par notre bien regrettable ami, Henri Gérente, d'après les recueils de monuments français conservés à la bibliothèque Bodléienne à Oxford, nous prouvèrent jusqu'à l'évidence que le buste rentré au Louvre est celui de Marie de France, morte en 1341, fille du roi Charles IV, le Bel, et de la reine Jeanne d'Évreux. Cette princesse était ensevelie sous un même tombeau avec sa sœur, Blanche de France, duchesse d'Orléans. Les deux statues de marbre, couchées sur le monument, ne se retrouvent pas dans les catalogues du musée des Petits-Augustins. La sépulture de ces filles de roi avait été violée avant l'exhumation officielle faite en présence des commissaires de la Convention. La statue de Marie de France aura été brisée ou débitée en plaques de marbre, et le buste seul s'en sera conservé. Un marchand de curiosités peut compter sur la vente d'une tête; le placement d'une statue entière n'est pas aussi facile.

Enfin, nous sortons des préliminaires. Nous voici dans la salle de Jean Goujon, en pleine renaissance, au milieu des nymphes, des tritons, des satyres, des Diane. Les génies et les amours antiques usurpent gaiement la place des anges chrétiens. La mythologie coudoie avec insolence un Jésus dans la crèche, et un Christ au tombeau. Elle insulte à la paille de Bethléem et ne regarde qu'avec dégoût les scènes sanglantes du Golgotha. Les satyres aux pieds de chèvre et aux oreilles pointues éclatent de rire à la barbe des Évangélistes. Qu'on ne s'y trompe pas; quand le dévergondage se manifeste à ce point dans les œuvres de l'art, c'est que l'anarchie règne dans les idées, dans les cœurs, dans les œuvres de l'esprit. Il se rencontra des gens qui, poussant la logique jusqu'à la plus insigne démence, voulaient prendre au sérieux la résurrection des divinités du paganisme. On lit à ce sujet, dans les « Essais historiques » de Saint-Foix sur Paris, tome II, page 274, une bien singulière anecdote :

« Sous le règne de Louis XII, un écolier, nommé Hémon de la Fosse, natif d'Abbeville, à force de lire et d'admirer les auteurs grecs et latins, devint assez fou pour se persuader qu'il n'était pas possible que la religion d'aussi grands génies qu'Homère, Cicéron et Virgile, ne fût pas la vraie. Le 25 août 1503,

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