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à sept branches ». Le vase, soit de terre, soit de métal, où l'huile brûle, s'appelle

lampe ». Mais de la lampe multiple et surtout combinée avec les cierges on a fait les « couronnes ardentes» qui, comme un diadème, brillent principalement sous les coupoles de l'architecture byzantine'. Avec la lampe ou le cierge, et souvent avec tous les deux à la fois portés par une construction, au sommet d'une sorte de colonne pleine ou creuse, on a fait le « phare », pour éclairer au loin comme les phares des côtes maritimes. Telles sont les principales variétés de l'éclairage, ou plutôt des objets qui portent la lumière.

Maintenant, placez-vous dans une cathédrale, un jour de fête, et voyez comme tout s'éclaire. Les chandeliers sur le maître-autel 2; les cierges sur les colonnes où s'attachent les courtines mêmes de cet autel; les lampes qui veillent en l'honneur du saint Sacrement; le chandelier qui étend ses sept branches à l'entrée du sanctuaire; le grand cierge pascal et le petit cierge pascal 3 qui · accompagnent, comme deux acolytes, le chandelier à sept branches; la haie de bougies dont se hérisse la clôture du choeur; la poutre ou tref, qui court dans toute l'envergure de l'arcade triomphale; la couronne ardente, qui s'arrondit au centre du transept; les cierges à chaque croix de consécration, à chaque pilier de la nef; les mille bougies enfin disséminées dans toute l'église, dans toute sa longueur, de l'abside au portail, et dans toute sa hauteur, depuis les arches inférieures jusqu'à la naissance des voûtes.

Aux xvir et xvIII siècles, à l'époque où, par économie, fut éteint presque en entier ce système d'éclairage, on fut obligé de remplacer par du verre blanc les vitraux de couleurs qui furent impitoyablement mutilés ou cassés entièrement; mais, au moyen âge, quand cierges, chandeliers, poutres, colonnes,

4. Voir, dans le volume III des « Mélanges d'Archéologie », la savante dissertation du R. P. Cahier, sur la couronne ardente de la cathédrale ou chapelle impériale d'Aix-la-Chapelle; y voir les planches non moins importantes gravées d'après les dessins du R. P. Arthur Martin. Nous ne pensons pas qu'on ait jamais publié un mémoire d'archéologie plus intéressant et plus nourri de faits curieux.

2. Il faut remarquer toutefois qu'au moyen âge, et jusqu'au xvire siècle, on ne plaçait sur l'autel même que deux chandeliers au lieu de six ou de douze, comme on fait aujourd'hui. A SaintSulpice de Paris, sur un assez joli vitrail de cette époque, on ne voit encore que deux chandeliers sur l'autel. En outre ces chandeliers, très-humbles de dimensions, n'étaient pas, comme ceux d'à présent, des machines gigantesques moins propres, tant est mince le filet de lumière qui sort de leur « souche», à éclairer les assistants qu'à effrayer les officiants dont elles menacent continuellement la tête. Mais cette pauvreté apparente et particulière à l'autel était rachetée par un luxe merveilleux de lumière distribuée dans tout le reste de l'édifice.

3. «In quibusdam ecclesiis additur alter cereus minor. Primus major consecratur in personam Christi dicentis : « Ego sum lux mundi »; alter in personam apostolorum, quibus ipse Dominus inquit: «Vos estis lux mundi ». GUILLAUME DURAND, « Rationale div. offic. », lib. vi, cap. 80,

office du samedi-saint.

couronnes de lumière étaient allumés, on pouvait se passer de la lumière du jour, puisqu'on faisait le soleil dans l'édifice même. Nous ignorons si l'on reviendra jamais à ce merveilleux système, mais, en tout cas, les « Annales Archéologiques » y pousseront de leur mieux. Comme nous l'avons dit, nous laissons à M. Darcel le soin de décrire les divers et nombreux supports de lumière. Nous ne prenons pour nous que le chandelier à sept branches dont nous parlerons en détail; mais, de tous les « phares » chrétiens, c'est celui qui s'est prêté, ainsi que la couronne ardente, aux plus belles formes et aux plus gracieuses combinaisons.

« Vous ferez aussi un chandelier de l'or le plus pur battu au marteau, avec sa tige, ses branches, ses coupes, ses pommes et les lis qui en sortiront. Six branches sortiront des côtés de la tige: trois d'un côté et trois de l'autre. — Il y aura trois coupes en forme de noix, avec une pomme et un lis à une des branches il y aura de même trois coupes en forme de noix, avec une pomme et un lis à une autre branche; et toutes les six branches, qui sortiront de la tige, seront de la même sorte. Mais la tige du chandelier aura quatre coupes en forme de noix, accompagnées chacune de sa pomme et de son lis. — Il y aura trois pommes en trois endroits de la tige; et de chaque pomme sortiront deux branches, qui feront en tout six branches naissantes d'une même tige. Ces pommes et ces branches sortiront donc du chandelier, étant toutes d'un or très-pur battu au marteau. Vous ferez aussi sept lampes que vous mettrez au-dessus du chandelier, afin qu'elles éclairent ce qui est vis-à-vis 1».

Cette ordonnance, signifiée par Dieu à Moïse, fut exécutée de point en point par le grand artiste Beseléel 2, et de cette riche et belle œuvre d'orfévrerie sont sortis, par copie rigoureuse ou libre imitation, tous les chandeliers à sept branches en or, argent, airain, qui décorèrent les édifices religieux du moyen âge 3. De même que pour les fonts baptismaux, semblables, par exemple, à celui de Saint-Barthélemy de Liége 4, on s'inspira de la « mer » d'airain portée par les douze bœufs, également d'airain 5; de même, c'est à l'imitation du chandelier juif que furent exécutés les chandeliers à sept branches de nos églises. Il est à croire que toutes nos cathédrales et abbatiales importantes possé

4. « Exode », XXV, 31-37.

2. « Exode», XXXVII, 17-23.

3. Le chandelier à sept branches de Essen (Prusse), gravé et décrit dans le volume XI des

« Annales Archéologiques », p. 294, est la réalisation absolue du texte biblique : les branches et

la tige, les coupes et les nœuds (noix), tout s'y trouve.

4. « Annales Archéologiques », volume V, gravure et texte, p. 21-37

5. Rois », III, ch. vii, vers. 23-25.

daient des chandeliers à sept branches; mais la plupart ont malheureusement disparu. On signale, comme existants encore, celui de Milan dont nous parlerons longuement, celui d'Essen que nous avons publié, celui de Brunswick et celui de Messine. Dans le Musée municipal de Reims, on voit un des pieds du chandelier qui éclairait l'église de Saint-Remi, pied admirable et qui donne la plus haute idée de cette œuvre d'art. - «Devant le grand autel (de l'église abbatiale de Cluny), étincelait un candélabre de cuivre, d'une grandeur immense et d'un rare travail, tout revêtu d'or, orné de cristaux et de bérils. La tige avait environ dix-huit pieds. Il était fait sur le modèle de celui que le Seigneur avaitcommandé à Moïse, et qui est décrit dans le livre de l'Exode. La tige, en effet, portait six branches, trois d'un côté et trois de l'autre, ornées de boules et terminées par des lys et des coupes; la tige se terminait de même et formait la septième branche. Les vers suivants y étaient inscrits:

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Ad fidei normam voluit Deus hanc dare formam,

Quæ quasi præscriptum doceat cognoscere Christum :

De quo septenæ sacro spiramine plenæ

Virtutes manant, et in omnibus omnia sanant.

Dieu a voulu donner lui-même la forme de cet ouvrage comme une règle

« de notre foi, comme un précepte qui nous enseigne la connaissance du

« Christ. Du souffle sacré de son septenaire coulent à pleins bords les vertus qui, dans tous, guérissent tous les maux 1».

Ne serait-ce point par hasard contre cet arbre de lumière, qui éclairait l'église de Cluny, que saint Bernard se serait élevé dans sa lettre à Guillaume, abbé de Saint-Thierry, près de Reims? Dom Marlot, historien de la ville de Reims, croit, bien entendu, que saint Bernard avait en vue le candélabre de SaintRemi; mais il est probable que l'éloquent ennemi de l'art songeait plutôt ou du moins songeait tout à la fois à celui de Cluny, car on connaît ses altercations avec l'abbé de Cluny, Pierre le Vénérable. Voici ce que dit Marlot :

<«< Saint Bernard, qui semble les avoir touchés (le chandelier à sept branches et la couronne ardente de Saint-Remi de Reims) en son livre apologétique à Guillaume, abbé de Saint-Thierry, blasme cette trop éclatante parure des églises, comme si elle estoit plustost inventée pour satisfaire à la vaine curiosité des spectateurs, que pour eschauffer leurs cœurs à la piété » :

1. Ces renseignements, ce texte et cette tradition sont empruntés à une excellente notice de M. l'abbé Fr. Cucherat, qui a pour titre « Cluny au xe siècle ». M. Cucherat, aujourd'hui curé de Saint-Martin-du-Lac (Saône-et-Loire), dans le département même où est Cluny, affirme que « la reine Mathilde, épouse de Guillaume le Conquérant, avait fait les frais de ce chef-d'œuvre (le candélabre) vraiment royal ». Voir « Cluny au XIe siècle », p. 140.

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«Ponuntur dehinc in ecclesià gemmatæ, non coronæ, sed rotæ, circumseptæ lampadibus, sed non minùs fulgentes insertis lapidibus. Cernimus, et pro « candelabris, ARBORES quasdam erectas multo æris pondere, miro artificis « opere fabricatas, nec magis coruscantes superpositis lucernis quàm quis gemmis. Quid pietas in his quæritur : pœnitentium compunctio, an intuentium admiratio ? »>

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Ce candélabre de Reims, cet arbre lumineux était admirable en effet le pied, qui reste encore, en est la preuve matérielle. Voici ce que Marlot, qui avait vu l'œuvre entière, en dit : « Ces deux pièces (chandelier et couronne), d'une grandeur extraordinaire, font encore le principal ornement du chœur de l'église, sans qu'on sache au vray qui les a fait faire 2. Le chandelier est d'un fin cuivre luisant comme l'or, et a un piedestal artistement élabouré, bien que jetté en fonte, où sont enchâssés quantité de cristaux taillés en pointe, comme pareillement en l'arbre du milieu, qui se divise en sept branches vers le sommet, où sont autant de cierges qui s'allument aux festes solemnelles » 3. Certainement la pénitence est une grande vertu, comme saint Bernard la recommande, mais une œuvre d'art, aussi magnifique, créée pour honorer Dieu, n'est pas une source de vice. Quand le Psalmiste et la Bible entière ordonnent au soleil de louer Dieu en brillant d'un plus vif éclat, ils prescrivent un acte d'adoration; pareillement, l'artiste qui fabriquait le candélabre à sept branches, le riche qui donnait l'huile ou la cire destinées à son entretien, le fidèle qui le contemplait avec admiration et le regardait luire en l'honneur de Dieu, faisaient chacun un acte de louable piété. L'art, heureusement, n'a pas suivi le conseil trop austère donné par saint Bernard, et on continua à fabriquer des chandeliers à sept branches. Dans le pays de cette reine Mathilde, qui aurait donné le candélabre de Cluny, à Bayeux même, dont le frère de Guillaume le Conquérant était évêque, il est probable que l'évêque Guido fit exécuter, dans la seconde moitié du xnr siècle, un grand candélabre à sept branches. En effet, dans le chœur de la cathédrale de Bayeux, sur l'un des carreaux dont le sol est dallé, on lit :

HIC JACET GUIDO EPUS BAIOC. A 24 FEBR. 1259.

Dans la partie inférieure de cette inscription est gravé, en guise d'armoiries, un chandelier à sept branches. Comme ce petit monument est placé à peu

4. Dom Marlot, « Histoire de la ville de Reims » publiée, d'après le manuscrit inédit, par l'Académie de Reims, t. II, p. 544.

2. « On tient, par tradition, dit ailleurs Marlot, que le grand chandelier vient de la libéralité de (la reine) Fréderonne, pour ce qu'elle est enterrée dessous ».

3. DOM MARLOT, « Histoire de la ville de Reims, t. II, p. 540.

près au-dessous de l'endroit qu'occupe aujourd'hui la lampe principale et que devait occuper le grand candélabre à sept branches, il est à présumer que cette lampe toute moderne a remplacé un grand chandelier ancien, que ce chandelier avait été donné par l'évêque Guido, et que c'était précisément celui qu'on avait gravé, par commémoration, au bas de l'inscription funéraire. Ainsi donc, ce petit dessin qui représente un chandelier à sept branches, qu'on pourrait prendre pour un « Créquier» (armes des Créquy), serait bien et dûment le signe commémoratif d'une grande œuvre de fonte, comme celle de Reims, comme celle de Milan, œuvre que l'évêque Guido aurait donnée à sa cathédrale.

Quoi qu'il en soit de cette présomption, les chandeliers à sept branches, comme en témoignent les attaques mêmes de saint Bernard, attiraient l'admiration des fidèles. Non-seulement on les voit briller réellement, en bronze doré et en pierreries dans les églises, mais on les voit resplendir en vives images dans la poésie chrétienne. Un des plus beaux tableaux de la « Divine « Comédie » est celui précisément où figurent sept chandeliers ou plutôt le chandelier à sept branches.

Au vingt-huitième chant du « Purgatoire, Dante pénètre, à travers une forêt divine, dans le Paradis terrestre. Le jour naissant, l'air doux et frais, les feuilles tremblantes au premier souffle du matin, les joyeux cris et les «< rimes des oiseaux », un petit fleuve à double courant qui plie de ses ondes les herbes et les fleurs vermeilles ou jaunes nées sur ses bords, voilà ce que Dante sent, respire et admire, lorsqu'une belle femme, la Religion même, envoyée pour lui expliquer tous les mystères du lieu de délices où il est parvenu, lui dit : « Mon frère, regarde et écoute. » — « Et voici, ajoute Dante, qu'une lueur subite parcourut la grande forêt dans toutes ses parties, si brillante, que je doutai si ce n'était pas un éclair. Mais, comme l'éclair passe aussi vite qu'il vient, et que cette lumière, tout en durant, resplendissait de plus en plus, je disais dans ma pensée : « Qu'est ceci?» — Et une douce mélodie courait dans l'air lumineux... Devant nous, l'air, pareil à un grand feu, se montra tout embrasé sous les verts rameaux, et le doux son que nous avions déjà entendu devint un chant clair et distinct... Je crus ensuite distinguer sept arbres d'or, trompé par la grande distance qui était entre nous et le nouvel objet. Mais quand je fus si rapproché que l'objet commun sur lequel se trompe le sens,

4. Ces armes pourraient bien être un vrai candélabre à sept branches et non pas ce « Créquier »> fantastique dont on ne se rend pas bien compte : est-ce un prunier ou une bête, une œuvre d'art ou un être naturel? Qui sait si les Créquy n'auraient pas mis cette pièce sur leur blason, parce qu'ils auraient fait exécuter quelque part un splendide chandelier à sept branches?

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