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de l'expédition dont il avait fait partie pendant vingt six mois. Ses services comine interprète n'étaient plus aussi nécessaires, puisque les frégates allaient quitter les possessions russes pour se rendre dans les régions équatoriales : La Pérouse l'expédia en France avec les journaux de son voyage, et il s'en est ainsi exprimé dans sa relation : « Je crus rendre service à ma patrie, en • procurant à M. de Lesseps l'occasion de connaître par « lui-même les différentes provinces de l'empire de Rus

sie, où vraisemblablement il remplacera un jour son « père, notre consul-général à Pétersbourg, M. Kasloff « me dit obligeamment qu'il l'acceptait pour son aide-decamp jusqu'à Okotsk, d'où il lui faciliterait les

moyens « de se rendre à Pétersbourg, et que dès ce moment il « faisait partie de sa famille. »

L'aménité et les qualités aimables de Lesseps lui avaient promptement concilié la bienveillance de M. Kasloff: il laissait à bord des deux frégates de nombreux amis, et La Pérouse donna des regrets à son départ. « Nous ne pûmes, disait-il, quitter sans attendrissement a M. de Lesseps, que ses qualités précieuses nous avaient rendu cher, et que nous laissions sur une terre étrangère, au moment d'entreprendre un voyage aussi long « que pénible. » Si nous rapportons le texte même de ses paroles, c'est que le bon témoignage d'un homme illustre devient le premier et le plus précieux de tous les éloges.

Less eps partit, le 7 octobre 1987, de Petropaulowski où l'on ne comptait alors que quarante habitations : il entreprenait dans une saison rigoureuse un voyage par terre de plus de quatre mille lieues, et les communicalions étaient alors très difficiles. Il fallut, après avoir traversé le Kamtchatka jusqu'à Bolcheretsk, attendre

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la saison du traînage: la caravane qui devait remonter vers le nord, et parcourir par un très long circuit tous les rivages de la mer d'Okotsk, ne partit qu'à la fin de janvier 1788 : elle se composait de trente-cinq traîneaux, conduits

par des chiens, de l'espèce des chiens de bergers : il en fallait cinq pour un attelage ordinaire; on en employait dix pour chaque traîneau de bagage, et beaucoup plus pour ceux du gouverneur d'Okotsk et de son nouvel aide-de-camp. La fatigue et la faim en firent bientôt périr une grande partie : on manquait de relais pour réparer cette perte; les survivans ne suffisaient plus qu'à un petit nombre de traîneaux; et Lesseps ayant une mission à remplir, reconnut la nécessité de se séparer d'un long cortège qui n'avançait qu'avec peine. Il ne garda que les guides indispensables, changea plusieurs fois pour un attelage de rennes celui avec lequel il était parti, et dut employer plusieurs mois pour parcourir dans toute leur longueur le Kamtchatka et le gouvernement d'Okotsk, pour se rendre à Yakoutsk, remonter le cours de la Léna, et arriver à Irkoutsk, situé dans le voisinage du lac Baïkal.

Ce voyageur profita de son séjour dans les principaux lieux où il dut s'arrêter, pour recueillir des informations sur les différentes peuplades répandues dans ces contrées, sur les Kamtchadales, les Koriaks, les Tongouses; et il a enrichi de ces documens la relation de son voyage. C'est ainsi qu'en parcourant les Ostrogs ou villages du Kaintchatka, il décrit la forme des Yourtes ou demeures souterraines qui étaient celles des anciens habitans, celles des Isbas ou cabanes dont les parois sont composées de troncs d'arbres, couchés les uns sur les autres et entrelacés par leurs extrémités, celles des balagans ou habitations d'été, élevées à quelque dis

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tance du sol sur des poteaux plantés dans la terre. Lesseps, en peignant la manière de vivre des Kamtchadales, rappelle que la racine de sarana leur tient Jieu de pain, qu'ils composent avec de l'ail sauvage leurs boissons fermentées, que la pêche des saumons, des truites, du hareng, du loup-marin, la chasse des rennes, des argalis, des renards, des loutres, des castors, des martres zibelines, sont leurs principales occupations. Ils aiment, dans leurs danses, à imiter les mouvemers des animaux sauvages et ceux de l'ours surtout: ils représentent sa démarche, ses jeux, ses habitudes, les mouvemens des petits autour de leur mère, leur agitation, leur défense quand le chasseur les poursuit.

La description de l'état physique du pays, de sa température, des tempêtes, des ouragans auxquels il est exposé, des eaux thermales de Natschivin, du cours des rivières, des phénomènes de plusieurs volcans, occupe notre voyageur; et souvent il mêle à ces analyses le récit de quelques évènemens propres à y répandre

à plus d'intérêt et de variété. On peut citer au nombre de ces aventures les plus romanesques celles de Beniowski, ancien officier polonais qui avait servi en 1769 sous les drapeaux de la confédération de Bar: il fut fait prisonnier par les Russes, qui l'envoyèrent en Sibérie et au Kamtchatka. On le vit bientôt paraître à Bolcheresk à la tête d'une troupe d'exilés : il se procura des armes, surprit la garnison et s'empara d’un' navire à bord duquel il s'embarqua. Les informations de Lesseps ne vont pas plus loin; mais nous lisons dans les voyages de Cook que Beniowski laissa dans les îles Kuriles une partie des matelots russes de son équipage , et qu'il se rendit dans l’île de Luçon et ensuite à Canton : là il obtint passage sur un 'vaisseau

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français qui retournait en Europe; il fut admis au service de France, et en 1774 il gouvernait l'établissement, français de Madagascar,

Le voyage de Lesseps à travers les contrées que fréquentent les Koriaks et les Tongouses lui offre l'occasion de faire de nombreuses remarques sur ces tribus, dont les unes sont sédentaires, dont les autres sont encore nomades. Des troupeaux de rennes sont leur principale richesse; ces peuples y trouvent leur nourriture et leurs vêtemens; ils ont de communs usages qui tiennent à la similitude de leur situation dans l'ordre social; mais leurs langues sont différentes; et Lesseps nous a donné un vocabulaire comparatif d'une partie des mots de leurs idiomes.

A son arrivée à Okostk, il vit construire les deux navires que l'on destinait à l'expédition du capitaine Billings, et il rencontra, quelque temps après, à Yakoutsk cel officier qui avait accompagné Cook dans son troisième voyage et que la Russie avait ensuite attaché à son service.

Le port d'Okotsk était alors destiné aux principales relations qui s'établissaient avec la côte nord-ouest d'Amérique, pour la traite des fourrures, commerce important qui prenait de jour en jour une nouvelle extension. L'origine et les accroissemens de ce négoce attirèrent l'attention de Lesseps, et il a répandu sur ce sujet d'intéressantes notions dans son ouvrage: il y rap. pelle les progrès successifs des Russes dans les différentes parties de la Sibérie, situées à l'orient de la Léna, Les conquérans n'y trouvaient pas de fertiles campagnes à cultiver ; mais la découverte des mines de la Sibérie occidentale les excitait à étendre plus loin leurs recherches : ils étaient d'ailleurs attirés par l'abondance et la

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finesse des pelleteries : on commença des échanges, on construisit des forts, on s'avança de proche en proche jusqu'à la mer d'Okotsk et jusqu'au cours de l'Anadir. L'acquisition du Kamtchatka vint augmenter ce commerce. Des îles inconnues furent occupées; c'étaient an midi les îles Kuriles qui se prolongeaient vers celles du Japon, et à l'orient les îles Aleutiennes qui s'étendaient vers la presqu'île d'Alatska. Un ancien plan manuscrit des îles Kuriles se trouvait dans les archives d'Okotsk : il fut communiqué à Lesseps, comme un témoignage authentique des relations établies depuis long-temps entre cet archipel et la côte d'Asie.

Le commerce de la Russie avec la Chine, dont Lesseps s'est occupé également, remonte vers l'année 1670: il ne pouvait se faire que par caravanes, et il fut régularisé en 168y par un premier traité. Les caravanes russes pénétraient d'abord jusqu'à Pékin, elles se sont depuis arrêtées sur les frontières. Pour donner au commerce des deux états plus d'importance, Lesseps jugeait qu'il serait utile à la Russie de faire partir d'Okotsk ou du Kamtchtka des navires qui allassent directement faire leurs échanges à Canton ou à Macao.

Les observations que Lesseps recueillit à Irkoustk sur les communications des deux empires sont les derniers développemens auxquels il se soit arrêté dans sa relation. En partant de cette ville il ne chercha plus qu'à poursuivre son voyage avec rapidité: un service de poste était établi; on en avait remis la charge à des éxilés, qui étaient tenus de pourvoir chaque station du nombre de chevaux nécessaires; et Lesseps remarqua plusieurs fois la sévérité avec laquelle on punissait les moindres infractions de ces bannis. Il en rencontra plusieurs détachemens, conduits par des escortes mili- .

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