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DE L'OUVRAGE DE M. KLAPROTH, INTITULÉ: Lettre à M. le

baron de Humboldt sur l'invention de la boussole (1),

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Lue à la Société de Géographie dans sa séance du 17 octobre 1834,

Par M. DE LARENAUDIÈRE.

a

Cette savanle dissertation répond à une demande de renseignemens adressée il y a quelques mois, par M. de Humboldt à M. Klaproth, sur l'époque où les Chinois ont connu la polarité de l'aimant. Sans cette question, les notes depuis long-temps recueillies par M. Klaproth, fussent peut-être restées en portefeuille, incomplètes et sans ordre. Mais en cherchant à satisfaire le desir de son illustre compatriote, il a ajouté à ces mêmes notes d'autres extraits d'auteurs chinois, et dans ces nouvelles recherches, il a été assez heureux pour rencontrer des faits qui, par leur nombre et leur importance, lui ont permis de tracer une histoire à-peu-près complète de l'invention de l'aiguille aimantée, en Chine. (1) Un vol. in-8°.

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Ce travail difficile, que M. Klaproth s'est déterminé à publier, et dont vous m'avez chargé de vous offrir l'analyse, éclaircit un des points les plus curieux de l'histoire de la civilisation humaine.

Les anciens, nos maîtres dans les arts dont le goût et l'imagination font tous les frais, poésie, éloquence, architecture, mais si loin de nous dans les sciences exactes, ignoraient complètement la polarité de l'aimant, et manquaient par conséquent de ce puissant moyen de direction et d'observation. Ont-ils su même vaguement que l'aimant a la propriété d'attirer le fer d'un côté et de le repousser de l'autre? c'est encore ce dont on peut douter, car il n'existe de ce fait aucune preuve positive, et les érudits en sont aux conjectures.

Si Claudien, dont les vers sur l’aimant sont admirables de pensées et d'images, eût connu la plus précieuse de ses propriétés, il ne l'eût certes pas oubliée, lorsqu'il fait allusion à la passion amoureuse de cette pierre pour le fer , à leur syinpathie mutuelle, à leur constant attachement. Pas une ligne échappée aux anciens ne parle de l'aiguille aimantée et de son utilité pour la naviga tion. Les marins grecs et romains ignoraient complètement l'usage du compas

de

mer, et se dirigeaient principalement dans leurs voyages, la nuit, par les étoiles, le jour, par les connaissances acquises des îles , des côtes et des dangers.

Vincent de Beauvais et Albert-le-Grand citent à la vé. rité un passage d'un livre arabe, sur les pierres, attribué à Aristote, et dans lequel il est clairement question de la polarité de l'aimant et de son usage dans la marine, mais ce passage n'est évidemment qu'une note intercalée par quelque copiste, dans le texte arabe. Il est même à peu-près certain que ce traité des pierres n'est point d'A

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ristoté. Il est rempli de tant de puérilité, qu'il faut en vouloir au précepteur d'Alexandre pour en charger sa mémoire. M. Klaproth ne s'appesantit donc pas sur cette question qui n'en est pas une pour l'homme instruit. Il a beaucoup mieux à faire en nous donnant la liste très curieuse des noms divers de l'aimant, dans les langues de l'Europe et de l'Asie.

Les anciens sont en tête de cette nomenclature. Pour eux, l'aimant c'est la pierre d'Hercule, la pierre d'Héraclée, ou de magnésie, ou la pierre de Lydie, ou vulgairement magnès. Pour Aristote, c'est la pierre sans autre désignation, la pierre par excellence (i 2005).

Au quatrième siècle de notre ère, nous voyons Marcellus Empiricus, médecin de Théodose-le-Grand, donner à l'aimant le nom d'antiphyson, et lui reconnaître la double propriété d'attirer et de repousser le fer. C'est cette dernière qui est exprimnée par ce mot d'antiphyson. Un passage de Manethon, cité par Plutarque (de Iside et Osiride), fait soupçonner que les Egyptiens avaient eu long-temps avant les mêmes notions sur l'aimant. Ils l'appelaient l'os de Horus, et le fer l'os de Typhon. En considérant la nature dans l'état d'union et de décomposition, sous le symbole de Horus et de Typhon , ils croyaient voir l'image de ces deux états dans l'action de l'aimant sur le fer, selon que la pierre attire ce métal ou qu'elle le repousse. Les Romains, qui apprirent des Grecs à connaître l'aimant, lui conservèrent son nom de magnès, et admirent la tradition de l'origine de cette dénomination, comme on le voit par ces vers de Lucrèce :

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Quem magneta vocant patrio de nomine Graii :
Magnetum, quia sit patriis in montibus ortus.

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Le moyen âge, dans sa barbare latinité, lui donna le nom de adamas, nom qui désignait originairement le diamant, et qui paraît à M. Klaproth, d'origine orientale. Il est plus difficile d'expliquer l'origine du nom de calamita , que les Italiens, comme les Grecs modernes, donnent à l'aimant. Nous croyons, avec M. Klaproth, que la seule explication raisonnable de ce mot a été donnée par le P. Fournier qui dit, en parlant de cette pierre : « Les marins français la nomment calamite qui, * proprement en français, signifie une grenouille verte, parce qu'avant qu'on ait trouvé l'invention de sus

pendre et de balancer sur un pivot l'aiguille aimantée, « nos ancêtres l'enfermaient dans une fiole de verre de« mi remplie d'eau, et la faisaient flotter sur l'eau comme « une grenouille. Hugo Berlius, qui vivait du temps de « saint Louis, en même temps ou à peu-près que Guyot « de Provins dit que tel était l'artifice duquel les matelots, en ce temps-là, se servaient pour connaître la nuit, où était le nord. »

M. Klaproth est d'accord avec le savant jésuite pour le fond , mais le mot calamite , pour désigner la petite grenouille verte, lui paraît grec. Ce mot calamita est aussi usité dans d'autres idiomes européens, on le trouve dans le dialecte de la langue romane de Surset, chez les Bosniaques, chez les Croates, et dans le dialecte slavon des Windes ou Wendes de la Styrie.

Il faut lire dans la dissertation de M. Klaproth, tout ce qui concerne la dénomination de l'aimant dans les autres langues. Nous devons nous borner à faire remarquer ici, que, pour le bas-breton, c'est la pierre de touche ; pour le Hollandais, le Suédois et le Danois, c'est la pierre à faire voile ; pour l’Islandais et l'Anglais, la pierre conductrice; pour l'Irlandais et le Welch, la pierre

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qui attire. Un fait très remarquable , c'est que presque toutes les dénominations de l'aimant, en Europe, se retrouvent aussi, quant à leur signification, dans les langues

de l'Asie. Dans celles des. Indiens, des Singhalais, des Chinois; pour ces derniers, c'est la pierre aimée du fer , la pierre qui s'unit au fer par un tendre baiser, la pierre qui aime. Le mut thsu chy en chinois, nom le plus vulgaire de l'aimant, ne signifie pas autre chose. Un auteur de cette nation écrivait vers l'an 750 de J.-C. : l'aimant attire le fer comme une tendre mère qui fait venir ses enfans à elle, et c'est pour cela qu'il a reçu son nom.

Venons maintenant aux dénominations de la boussole ou de l'aiguille aimantée. L'un des plus anciens noms qu'elle ait porté en Europe, et qu'on rencontre pour la première fois dans la satire de Guyot de Provins, est celui d'amaniere, et non pas marinette , comme on la souvent imprimé par erreur. Les Italiens lui donnent aujourd'hui le nom de bussola qui paraît dériver d'un des mots employés par les Arabes, pour désigner la boussole ; savoir : mouassala , le dard qu'on prononce vulgairement moussala. Pour découvrir cette identité, il ne faut pas oublier que dans le moyen âge, I'M initiale des mots arabes a souvent été changée en B, et qu'il y a des tribus arabes dans le dialecte desquelles ce changement est encore très fréquent. Après le mot boussole , le terme de compas pour désigner la boîte qui contient l'aiguille aimantée, est le plus répandu en Europe.

Après avoir passé en revue tous les noms de l'aiguille aimantée, soit en Europe, soit en Asie, M. Klaproth arrive aux données historiques sur l'époque ou les diverses nations de ces deux parties du monde ont eu la

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