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A quoi donc attribuer le peu de popularité que les arts du moyen âge ont obtenu parmi nous? On peut, je crois, en indiquer comme causes principales, l'ignorance des mœurs, des habitudes, des goûts, des besoins qui existaient alors; la sécheresse et la rareté des documents historiques sur les procédés des artistes; le préjugé que le moyen âge étant signalé comme une époque de barbarie, tout ce qui s'y rattachait devait être barbare; enfin l'admiration trop exclusive pour l'antiquité, qui, depuis la renaissance des lettres jusque vers la fin du siècle dernier, régna généralement en Europe, et qui trouvant dans les monuments classiques des chefs-d'œuvre en tout genre, enveloppa dans une même indifférence ou plutôt dans un égal mépris tout ce qui s'écartait de ces modèles.

Rien de plus déraisonnable ni de plus injuste que cette aversion de personnes d'ailleurs éclairées, pour les arts du moyen âge, dont elles ne comprennent point le génie. Un tel aveuglement ne saurait plus long-temps subsister; les préventions commencent à s'affaiblir; elles tomberont tout-à-fait devant les progrès du goût et de la raison.

Les hommes du monde, aussi bien que les artistes vraiment dignes de ce nom, conviennent

d'ailleurs que non seulement notre architecture nationale est pleine de grandeur et de beautés, mais qu'elle est en rapport, plus qu'aucune autre, avec nos sites, nos paysages, notre ciel et nos croyances.

Pour nous nous étudierons le moyen âge comme les autres époques de l'histoire de l'art, sans prévention aucune, avec la plus stricte impartialité.

Libres des préjugés classiques qui ont souvent égaré les esprits les plus droits, en leur inspirant une sorte d'idolâtrie pour les productions de l'antiquité grecque ou romaine, nous tâcherons d'apprécier justement le mérite de l'architecture du moyen âge, dont les défauts sont rachetés par tant de richesse et de majesté; nous exprimerons hardiment, notre admiration pour ces magnifiques basiliques dont la piété. de nos ancêtres orna la terre que nous habitons; nous serons toujours pénétrés de ce principe: que les défauts sont les taches du temps, mais que les beautés forment le patrimoine de tous les âges.

Deux méthodes se présentent pour décrire et classer chronologiquement les monuments qui vont nous occuper. L'une consisterait à examiner, siècle par siècle, l'état de l'archi

tecture religieuse et de la peinture sur verre, et les formes caractéristiques des tombeaux et des fonts baptismaux.

L'autre, à traiter successivement et isolément chaque chose dans son entier, c'est-àdire, à épuiser tout ce qui concerne l'architecture religieuse, avant de passer aux vitraux et aux autres monuments accessoires des églises.

La première méthode offre, je crois, plusieurs inconvénients dont le plus grave serait de porter continuellement l'attention sur des sujets différents, de donner ainsi un plus grand travail de mémoire, et peut-être de laisser dans l'esprit quelque confusion.

La seconde me paraît plus naturelle et moins fatigante; on saisit mieux l'ensemble des faits, lorsqu'on étudie séparément chaque objet de manière à s'en former une idée claire et distincte.

CHAPITRE II.

De la classification des styles architectoniques du moyen âge. - Nécessité d'adopter pour les désigner une nomenclature plus rationnelle que celle dont on se sert ordinairement - Exposé d'une non velle nomenclature et des motifs qui doivent la faire préférer aux autres. - Tableau indicatif de la durée des principaux genres d'architecture qui ont régné depuis le Ve. siècle jusqu'au XVIe.

Les Francs, les Saxons et les autres barbares n'avaient qu'une industrie très bornée, qui ne dut exercer aucune influence sur les arts de la Gaule au V. siècle. La masse de la population demeura romaine pour ainsi dire, et les envahisseurs eux-mêmes subirent bientôt l'empire de la civilisation. Mais la décadence qui avait déjà fait tant de progrès s'accrut encore par leur présence et par l'isolement et le découragement où les populations furent plongées dans ces temps de désastres et de destruction.

L'architecture des premiers siècles du moyen âge offrait donc tous les caractères de l'architecture romaine, dans un état avancé de dégénérescence; nous la désignerons sous le nom d'ar

chitecture romane. Cette dénomination que j'ai adoptée en 1823 dans mon essai sur l'architecture religieuse du moyen âge, me paraît préférable à celles de lombarde, saxonne, normande, gothique ancienne, et à plusieurs autres dont on s'est servi pour désigner l'architecture postérieure à la domination romaine et antérieure au XII. siècle.

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Ces noms impliquent en effet une idée fausse, car ils peuvent faire croire que l'architecture dont nous parlons est venue des Goths, dest Saxons, des Normands, des Lombards; il faut absolument les remplacer par un nom unique, puisque l'architecture qu'ils désignent est partout la même, sauf quelques différences dans les accessoires: celui que j'adopte, réunit, je crois, toutes les conditions qui peuvent le faire préférer; il a le mérite d'indiquer l'origine du style d'architecture auquel je l'applique, et il n'est pas nouveau, puisqu'on s'en sert déjà pour désigner la langue du même temps. Tout le monde sait que la langue romane cst la› langue latine dégénérée, il est donc naturel de désigner aussi l'architecture romaine abâtardie, sous le nom d'architecture romane.

Quoi qu'il en soit, je divise cette période de six siècles (du Vi. au XII.) à laquelle je donne

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