Page images
PDF
EPUB

BLIOTHEQUE CANTONA

LAUSANNE
UNIVERSITAIR

DON

AVERTISSEMENT.

On paraît avoir mal à propos confondu avec les Mémoires qui ne doivent paraître qu'après ma mort ce récit du congrès de Vérone et de la guerre d'Espagne ; je ne dis aujourd'hui que ce que je puis dire de mon vivant : à la tombe le reste.

Mon ouvrage actuel porte en soi sa préface. Ma vie littéraire est assez connue; je n'ai jamais fait mention de ma vie politique; j'en parle ici pour la première et la dernière fois : elle se trouve résumée dans mon ministère.

En racontant comme homme public le plus grand événement de la Restauration, j'ai été obligé d'amener sur la scène les hommes publics qui furent en relation avec moi. Mais qu'on soit tranquille : je me suis sacrifié seul. Si j'ai laissé dans les documents les éloges qu'on me donnait et que je ne méritais pas, j'ai raconté de même, sans l'atténuer, le mal qu'on a dit de moi. J'ai usé pour ma personne, puisque j'écrivais l'histoire, de l'impartialité de l'historien. En dernier résultat, je n'attache aucun prix à quoi que ce soit.

Cet ouvrage, réussissant, amènerait une révolution dans les juge

ments portés sur une époque mémorable de nos annales. La tâche est rude. Dois-je compter sur le succès? Je me trouve en face des amours-propres : notre vanité avoue rarement qu'elle s'est trompée. Il faudra croire que le congrès de Vérone n'a jamais voulu la guerre ; que l'entreprise d'Espagne a été une entreprise commandée par les intérêts de la France; que l'ordonnance d'Andujar, toute belle qu'elle était, philosophiquement parlant, était une faute politique; en un mot, il faudra croire le contraire de ce qu'on a cru. Qu'y faire? Les preuves sont là; on ne peut nier les pièces authentiques. Je ne me défends point d'être le principal auteur de la guerre d'Espagne. Si par hasard j'ai eu une fois raison contre le grand nombre, condamnez-moi : vous condamnerez les faits.

Vaut-il la peine que je dise qu'en parlant de moi, je me suis tour à tour servi des pronoms nous et je: nous comme représentant d'une opinion, je quand il m'arrive d'être personnellement en scène, ou d'exprimer un sentiment individuel. Le moi choque par son orgueil; le nous est un peu janséniste et royal. Il suffit qu'on soit prévenu de ce mélange de pronoms : ils se corrigeront peut-être l'un par l'autre.

CONGRÈS

DE

VERONE

PRÉLIMINAIRES.

Ambassadeur à Londres en 1822, nous étions prêt à nous rendre au congrès de Vérone en qualité d'un des représentants de la France. Mais avant d'entrer dans le détail de ce congrès, des affaires qui s'y traitèrent et des événements qui le suivirent, nous sommes obligé de jeter un coup d'œil en arrière, M. de Martignac, s'occupant de la guerre d'Espagne dont nous allons parler, avait compris la nécessité d'établir les antécédents. Impartial et modéré, il admirait l'entreprise de 1823, si mal jugée; et cependant il n'en apercevait pas lui-même toute la portée. Le seul volume qu'il ait publié mérite d'être lu : ouvrage plein d'intérêt et de sagesse, le style en est correct, élégant, doux et un peu triste; l'auteur va mourir : son récit vous touche et vous attache, comme les derniers accents d'une voix qu'on n'entendra plus.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Depuis la dernière moitié du quinzième siècle jusqu'au commencement du dix-septième, l'Espagne fut la première nation de l'Europe; elle dota l'univers d'un nouveau monde; ses aventuriers furent de grands hommes; ses capitaines devinrent les premiers généraux de la terre; elle imposa ses manières et jusqu'à ses vêtements aux diverses cours; elle régnait dans les Pays-Bas par mariage, en Italie et en Portugal par conquête, en Allemagne par élection, en France par nos guerres civiles; elle menaça l'existence de l'Angleterre après avoir épousé la fille de Henri VIII. Elle vit nos rois dans ses prisons et ses soldats à Paris; sa langue et son génie nous donnèrent Corneille. Enfin elle tomba; sa fameuse infanterie mourut à Rocroi, de la main du grand Condé ; mais l'Espagne n'expira point avant qu'Anne d'Autriche n'eût mis au jour Louis XIV, qui fut l'Espagne même transportée sur le trône de France, alors que le soleil ne se couchait pas sur les terres de Charles-Quint.

Il est triste de rappeler ce que furent ces deux monarchies en présence de leurs débris. Ces paroles du grand Bossuet reviennent douloureusement à la mémoire : « Ile pacifique où se doivent terminer « les différends de deux grands empires à qui tu sers de limites; île « éternellement mémorable; auguste journée, où deux fières nations, << longtemps ennemies et alors réconciliées, s'avancent sur leurs confins, leurs rois à leur tête, non plus pour se combattre ; fêtes sacrées, mariage fortuné, voile nuptial, bénédiction, sacrifice, puis-je mêler « aujourd'hui vos cérémonies et vos pompes avec ces pompes funèabres, et le comble des grandeurs avec leurs ruines ! »

« PreviousContinue »