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tâchait d'obtenir du seigneur dominant la permission de s'enclore de murs et de fossés. Celui-ci, partagé entre le désir de ne point amoindrir l'importance de son château, et celui d'augmenter les points de défense du pays, n'accordait cette permission que dans d'étroites limites pour ne pas laisser prendre trop d'importance à la nouvelle construction, qui d'ailleurs devait lui être jurable et rendable. C'est-à-dire que le propriétaire devait jurer que, dans aucun cas, il n'emploierait sa maison fortifiée contre les intérêts de son seigneur, et qu'en cas de guerre, il la tiendrait à sa disposition à grande et à petite force, ce qui signifiait qu'il la lui remettrait, soit qu'il se présentât lui-même à la tête de ses vassaux, soit qu'il l'en fit simplement semondre par un sergent.

Nombreux sont les textes et les faits qu'il faudrait citer pour traiter cette question. On n'en trouvera ici que trois qui suffisent à donner une idée de cette réglementation féodale.

Et d'abord ce sont les droits du duc de Normandie constatés dans les actes du concile de Lillebonne en 1080. On y dit que nul, sans la permission du duc, ne peut construire un château dans une île ou sur des rochers. En plaine, on ne peut donner au fossé qui l'entoure plus d'un jet de terre de profondeur (2m 50 environ). L'ouvrier doit jeter la terre du fond du fossé sur les bords sans se servir de banquettes de relais. La palissade qui surmontait le fossé ne devait avoir ni bretèches ni redans.

Nulli licuit in Normannia fossatum facere in planam terram nisi tale quod de fundo terram potuisset jactare superius sine scabello; et ibi nulli licuit facere palicium nisi in una regula et id sine pro

pugnaculis et alatoriis; et in rupe et in insula nulli licuit in Normannia castellum facere (Martène, Thes. anecd., IV, p. 117).

En 1162, Robert comte de Dreux, avait entrepris de fortifier sa maison de Savigny près Beauvais. qu'il tenait de l'évêque de cette ville. Il avait commencé un fossé de deux jets de terre. Le comte de Champagne s'y opposa comme seigneur dominant. Le comte de Dreux dut diminuer l'importance de sa fortification et s'engager à ne creuser qu'un fossé d'un jet de terre, sans palissades et sans bretèche.

Nous tirerons notre dernier exemple du comté de Montfort-l'Amaury. Vers 1230, il fut fait un relevé de tous les fiefs et arrière-fiefs répartis dans les cinq châtellenies autour des cinq châteaux de Montfort, Épernon, Rochefort, Gambais et Houdan. Sur environ deux cents habitations mentionnées, trois seulement : Maintenon, la Ferté-Choisel et la Villeneuve, près Fyrernon, sont qualifiées de forteresses; les autres sont des maisons, domus, quoique quelques unes dussent être assez bien fortifiées. Parmi les propriétaires, les uns étaient hommes liges du comte de Montfort, les autres ne tenaient de lui qu'une partie de leurs terres, d'autres enfin ne lui étaient liés féodalement que par l'assurement de leurs maisons. Ces derniers étaient à l'origine des propriétaires libres dans la châtellenie, mais que le progrès envahissant de la féodalité avait forcés à se donner un seigneur et à reconnaître tenir de lui leurs habitations. Ils n'étaient pas tenus aux autres services féodaux et leur nom est suivi de cette simple mention assecuravit domum suam domino comiti.

Brussel (Usage des fiefs) nous a conservé, d'après le Cartulaire de Béatrix de Montfort, un de ces con

trats d'assurement qui est le meilleur exemple que l'on puisse en donner. En voici la traduction :

"A tous ceux qui ces lettres verront, Pierre de Richeville, chevalier, je fais savoir que j'ai assuré au comte de Montfort ma maison du Chesnay contre tous, sauf la fidélité au roi de France, tellement que je ne pourrai y faire ni archière, ni meurtrière pour l'arbalète, ni créneau, ni merlon. Je ne pourrai creuser autour de mon pourpris qu'un fossé de douze pieds de large; ni moi, ni mes héritiers n'y pourrons rien ajouter sans la permission du comte ou de ses héritiers. Je suis tenu de rendre cette maison au comte à grande et à petite force dans l'état où elle se trouvera, et il devra me la rendre dans le même état. Nos héritiers auront la même obligation au comte ou à ses héritiers. En témoin de ce, j'ai donné cet acte muni de mon sceau. Fait en 1237, au mois de novembre. »

Le 9 mars 1283, Béatrix de Montfort, devenue veuve de Robert, comte de Dreux, reprit la possession viagère du comté et reçut l'hommage de ses vassaux. Quarantedeux d'entr'eux rendent l'hommage lige pour la châtellenie de Montfort, puis quatorze autres assurent à la comtesse leurs maisons situées dans la même châtellenie.

D'autre part, si le comte de Montfort avait dans la paroisse de Sonchamp des champarts, un prévôt pour les percevoir et une grange pour les serrer, comme c'était l'abbé de Saint-Benoit-sur-Loire qui en avait la seigneurie, il dut lui promettre en 1202 de ne fortifier cette grange en aucune manière. L'article Manoir du Dictionnaire de Viollet-le-Duc renferme d'autres exemples de cette règlementation, et présente des exemples variés d'habitations fortifiées. Cette réglementation a

dû beaucoup varier selon les siècles et selon les provinces. A la fin du XVIe siècle, nous voyons encore le baron de Chevreuse défendre au sieur Habert de Montmort de terminer les fossés commencés autour de sa maison du Mesnil Saint-Denis.

De la maison forte d'Orchamps, on pourrait, ce me semble. rapprocher le bâtiment d'Avenches en Suisse, visité par le Congrès archéologique, et qui renferme le musée. Il consiste en un bâtiment massif et rectangulaire dont les dimensions sont à peu près pareilles. Il est probable qu'il existe d'autres spécimens de maisons fortes; mais celui qui s'élevait il y a peu d'années sur les bords du Doubs me paraît pouvoir être présenté comme un type dont il est utile de conserver le souvenir.

XII.

NOTE

SUR

L'INDUSTRIE DU PAPIER

En Franche-Comté

ET LES

FILIGRANES EMPLOYÉS PAR LES PAPETERIES COMTOISES

Du XVe au XVIIIe siècle

Par M. Jules GAUTHIER,

Archiviste du Doubs.

Jusqu'au milieu du XVe siècle, la Franche-Comté, ou comme on disait alors la comté de Bourgogne, fut approvisionné de papiers italiens, allemands ou flamands par le commerce d'importation; ce ne fut qu'à cette date que les premières papeteries ou moulins à papier apparurent sur les claires rivières qui coulent des flancs des Vosges ou du Jura. Cette création devenait nécessaire pour alimenter les justices inférieures, les tabellionnés qui pullulaient autour du parlement de Dole et des bailliages, pour suffire à la consommation

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