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mense de ses écrits, on ne rencontrerait peut-être pas un mot inutile.

« Il ne dépensait d'ailleurs pas seulement son érudition par la parole ou la plume à la main. Ai-je besoin de rappeler ses exhumations ingénieuses et fécondes dont la principale a donné naissance au square archéologique de Saint-Jean, dont il avait retrouvé les éléments avant les recherches pratiquées sous sa direction, comme on l'a dit d'un astronome célèbre à propos de ses découvertes, au bout de sa plume. Je ne parle qu'en passant de la question d'Alaise qui donna naissance à tant de fouilles et de travaux, qui passionna un moment l'opinion en France, où il y eut peut-être des erreurs commises, erreurs partagées du reste par des hommes comme Quicherat et Henri Martin, mais qui provoqua dans tout le pays un véritable réveil des études archéologiques.

« Tous ces travaux, il les avait entrepris et il les publia sous les auspices de la Société d'Émulation où il était entré dès son retour dans notre ville, dont il fut bientôt le secrétaire et le guide, et dont il transforma complètement l'esprit et les traditions. Fondée en 1840, elle avait été jusque-là une société purement scientifique se consacrant à peu près exclusivement à l'étude des sciences naturelles. Il l'engagea dans la voie de l'histoire et des travaux archéologiques qui est la voie normale des sociétés savantes de province et que depuis elle n'a pas désertée, sans abandonner toutefois les autres branches des connaissances humaines.

«Sa réputation ne tarda pas à sortir de la sphère modeste et étroite où il s'était volontairement renfermé. Sans parler des distinctions que ses travaux valu

rent à la Société d'Émulation dans maint congrès de la Sorbonne, il fut fait chevalier de la Légion d'honneur en 1868, et en 1875, à peine âgé de 40 ans, il était élu correspondant de l'Institut de France, distinction éminente dont il devait rester pendant de longues années seul investi dans notre province. Peu après, il appartenait au même titre à l'Académie de Belgique où son nom figure entre ceux d'illustres hommes d'État étrangers. Il était depuis longtemps membre de l'Académie de Besançon et de celles de plusieurs grandes cités de la région de l'Est.

<<< Tous ces honneurs n'étaient pour lui qu'un encouragement à de nouveaux efforts et à un labeur plus acharné. A ses yeux comme à ceux d'un héros célèbre, rien n'était fait s'il restait quelque chose à faire. Bientôt son activité tenta des voies nouvelles. Une mission du gouvernement qu'il avait remplie en Italie lui valut comme une révélation non seulement des grands souvenirs qu'a laissés dans ce pays l'époque de la plus magnifique expansion de l'art humain, mais des très remarquables aptitudes qu'il avait pour les commenter et les apprécier. Une série de voyages où il visita méthodiquement tous les grands musées de l'Europe acheva de perfectionner son sens esthétique, et il acquit dans la critique d'art, cette branche si délicate de la littérature, une autorité incontestée. Cette autorité, il en fit comme toujours bénéficier son pays natal. De combien des principaux morceaux de nos richesses artistiques n'a-t-il pas fixé l'origine, écrit l'histoire, analysé les beautés ? A combien d'artistes locaux n'a-t-il pas, comme à l'auteur du Marmor-Bad de Cassel restitué des œuvres remarquables qui étaient ou mal appréciées ou attribuées à d'autres artistes?

« Je n'ai parlé jusqu'ici que de ses travaux originaux; mais ai-je besoin de vous rappeler ses œuvres de vulgarisation comme son histoire résumée de la Franche-Comté et du pays de Montbéliard, ou son Besançon et ses environs, ce guide si sûr et si intéressant de l'étranger dans notre ville; sa collaboration aux principales Revues françaises d'érudition telle que la Revue Historique, ou à des publications aussi considérables que la Grande Encyclopédie, dans laquelle hier encore il faisait paraître une importante notice sur notre province? Faut-il vous parler de la part si essentielle qu'il prenait à tous les événements capables d'intéresser notre région, à nos fêtes, à nos expositions locales, surtout aux congrès scientifiques qu'il savait si bien guider et organiser? Vous l'aviez vu à l'œuvre l'an dernier lors de la réunion qu'a tenue ici même la Société française d'Archéologie; vous deviez l'y voir mieux encore à ce grand congrès de la Société pour l'Avancement des Sciences qui se tiendra à Besançon l'an prochain, et pour lequel il avait déjà lié la gerbe des moissons futures.

<< Tout cela, Messieurs, ne pouvait se faire ni sans démarches, et surtout sans une correspondance active et étendue. A la vérité, la sienne était énorme, et il se trouvait en relations suivies avec la plupart des savants historiens, érudits, critiques d'art non seulement de la France, mais de l'étranger. Il les consultait souvent, et il en était consulté plus encore, surtout en ce qui touchait le riche dépôt dont il avait la garde. Il collabora ainsi de loin à la publication de la correspondance du cardinal Granvelle, d'abord entreprise en France, poursuivie ensuite par la Belgique, et dont les éléments forment notre principale richesse manuscrite.

<< Il inspirait de la sorte à l'étranger et encore plus au monde de la haute érudition française une estime des plus vives, et nous en voyions les marques chaque fois que nous entreprenions avec lui, comme nous le faisions il y a quelques jours à peine, le voyage de la capitale. Les princes de la science, comme M. Léopold Delisle, le traitaient en ami et en confrère, et faisaient bénéficier des marques de leur bienveillance tous ceux qu'ils savaient avoir part à ses sympathies.

<< I recevait de ces illustres amitiés des preuves sensibles et même matérielles dont il ne songea d'ailleurs jamais à profiter lui-même. Que de livres, que de publications de grande valeur pécuniaire lui étaient adressés personnellement en témoignage d'estime ou d'affection! Il ne gardait rien de ces richesses; j'en parle savamment comme membre de la commission d'administration de la bibliothèque; tout rentrait au dépôt dont il était le gardien, sans parler des nombreux présents que l'on faisait à la bibliothèque en considération du bibliothécaire. Il ne faut pas s'y tromper en effet; au milieu de tous ses travaux et de toutes ses préoccupations, jamais notre ami ne perdit de vue ou ne négligea le plus humble de ses devoirs professionnels. Il avait la passion des livres qu'il conservait, classait, et dont il se plaisait chaque jour à accroître le nombre. Ceux qui le voyaient de près craignent bien que, si son heure dernière a été précipitée, ce ne soit à la suite du labeur énorme qu'il s'était imposé pour mener à bien le catalogue des Incunables de notre bibliothèque, œuvre à laquelle concouraient l'État, la ville et le département, et qui, comme me l'écrivait M. Léopold Delisle, un juge compétent en la matière, devait marquer

parmi les publications bibliographiques de notre temps.

<< Que dire maintenant, Messieurs, de l'homme privé, de ses admirables qualités de désintéressement, de droiture, de dévouement à ses amis? J'en appelle à tous ceux qui l'ont connu dans l'intimité; fut-il jamais un homme meilleur? Ah! sans doute un esprit aussi alerte devait avoir et avait en effet des vivacités qu'explique suffisamment la conscience que possède tout homme supérieur de sa valeur qu'il n'aime pas à voir trop audacieusement méconnue. Mais quel n'était pas le charme de ses relations, de sa conversation si riche d'enseignements, si vive, si animée, si pétillante, traduisant si bien cette finesse native qu'exprimaient déjà chez lui l'éclat du regard et la ligne si pure du profil! Quels n'étaient pas surtout les trésors d'affection et même de tendresse qu'il réservait à ceux qui lui avaient gagné le cœur!

« Ils le savent bien, les membres de cette famille si cruellement frappée qui nous entoure; elle le sait bien en particulier la noble femme qui lui a prodigué les marques d'une tendresse vigilante, qui, en dehors des jouissances élevées de la science, lui a si largement ménagé les joies plus intimes du foyer domestique et qui ne peut trouver d'apaisement à son inconsolable douleur que dans le souvenir des hautes qualités de celui qu'elle a perdu et dans la pensée de la sympathie générale qui entoure sa mémoire.

« Nous le savons aussi, nous ses amis, ses collègues, ses collaborateurs modestes mais dévoués, nous savons qu'il n'a connu que les passions grandes et généreuses, l'amour du pays natal, l'amour du vrai et du beau se manifestant sous les formes multiples et variées de

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