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de visite dressé par un homme de guerre compétent, Simon de Quingey (1), Dole était en état de défense. On avait pu rétablir le mur d'enceinte sur ses anciennes fondations, redresser les tours, les portes et les barrières, au moins sommairement; une nouvelle tour ronde, en bosselage, commencée par les Français, au dire de Gollut, flanquait le pont en amont et couvrait les moulins.

De 1496 à 1521, les travaux continuent, les tours sont couvertes d'une charpente et de tuiles, des corps de garde sont aménagés, le vieux château avec son donjon, grande tour carrée dont les murs mesuraient. quatre mètres d'épaisseur, et sa tour du Colombier, surveillant l'escarpement du côté de la rivière, est restauré en 1515 aux frais du Trésor.

Telles étaient les fortifications de Dole, au moment où la mort de Marguerite d'Autriche fit passer aux mains de son neveu Charles-Quint le libre comté de Bourgogne.

Bien qu'un traité de neutralité eût été conclu avec la France par la prévoyance de l'Archiduchesse, son voisinage restait menaçant et les États de la province s'inquiétaient, dès la rupture du traité de Madrid, d'élever contre une invasion possible une barrière imprenable. En 1531, sur leurs démarches pressantes et sur l'avis formel de Claude de La Baume, seigneur de Mont-Saint-Sorlin et maréchal de Bourgogne (2),

(1) Simon de Quingey et sa captivité dans une cage de fer, par Jules GAUTHIER, 1872, br. in-8° de 31 pages.

(2) Mandement de Charles-Quint déclarant que voulant « fortifier et réparer les places frontières pour en cas de guerre pouvoir resyster et tenir contre ceux qui le vouldroient invahir », il a choisi sur l'avis de M. de Mont-Saint-Sorlin, maré

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l'Empereur décida qu'on fortifierait immédiatement la frontière de la Saône, en entourant de solides remparts à la moderne Dole et Gray, clés du pays pour une invasion venant de Bourgogne ou de Champagne. Ce fut par Dole que l'on commença, en prélevant les ressources nécessaires sur les revenus ordinaires du comté. Immédiatement, sous la haute direction de Claude de La Baume, les travaux commencent, un personnel administratif s'organise soit pour la recette et la distribution des subsides, soit pour la direction des équipes d'ouvriers maçons ou terrassiers employés aux constructions et aux mouvements de terre dont le vieux maréchal arrêtera lui-même les grandes lignes. De 1531 à 1540 (1) tout l'effort de Claude de La Baume et de ses auxiliaires, le bailli de Dole, Jean Faulquier, et le greffier du Parlement, Philippe Vaulchier, porta sur l'ouest de la place, du côté de France, où l'on entreprit de tranformer en boulevard, c'est-à-dire en bastion, l'ancienne tour d'Arans ou des Arènes, flanquant la porte de ce nom, en lui donnant en plan la forme caractéristique d'un as de pique.

Malgré les travailleurs fournis en corvée par les villages du ressort bailliager de Dole, malgré les charrois gratuits, malgré la gratuité des bois pris dans les forêts du domaine, les 2,000 francs annuels prélevés sur les ressources de la province ne montaient guère. René de Nassau, nommé gouverneur

chal de Bourgogne, la ville de Dole pour commencer, et ordonné à son trésorier général du comté de verser 2000 francs par an, pour la fortifier, 1531 (Arch. du Doubs, B. 1878). Voir aussi Éd. Clerc, Hist. des États généraux, I, 288.

(1) V. aux Archives du Doubs, les comptes et acquits des fortifications de Dole de 1533 à 1540 (B. 1877-1887).

du pays, s'en plaignit à l'Empereur, qui, dès 1533, promit d'augmenter les subsides (1) sans néanmoins tenir parole avant 1537. Après l'achèvement presque complet du boulevard d'Arans, la réparation de la porte du même nom, de la courtine contiguë à la tour d'Angoule-Bise, les maçons, conduits par un maître italien, Fernand Serrato, commencèrent, en 1537, sous les ordres du bailli de Dole, Jean Faulquier, à côté de la tour des Bénits, vers l'est de la place, un second boulevard que 1540 vit achever (2).

A ce moment, Claude de La Baume, usé par l'âge et fatigué par de glorieuses blessures, se fit suppléer dans la direction des travaux de Dole par Aimé Basan, seigneur de Balay et de Longwy, et par Antoine Barangier, seigneur d'Aubigney (3), mais avant de leur résigner les fonctions de surintendant des fortifications, il avait fait dresser par l'Italien Onofrio Trapanteli, attaché à l'équipe volante amenée par Serrato, deux dessins ou « portraits » du bastion d'Arans pour les soumettre à l'Empereur (4). L'examen de ces plans

(1) Nostred. cousin [le comte de Nassau] nous a aussi dit comme il a veu et fait visiter aucunes des villes et places de nostred. conté que sont necessaires de fortiffier et réparer, mesmes nostre ville de Dole, et que les deniers par nous advisez pour lesd. fortification ne suffiroient. Sur quoy sommes délibérés dy pourvoir... » (Lettre de Charles-Quint au Parlement de Dole, datée de Tolède, le 27 février 1533. Archives du Doubs. correspondance du Parlement).

(2) Archives du Doubs, B 1881-1886.

(3) Par procuration donnée le 31 mai 1539, Arch. du Doubs, B 1887.

(4) Arch. du Doubs, B 1887; Ibidem. Compte des États de 154250 f. à Arnophle l'imageur pour plusieurs pourtraits envoyés à l'Empereur touchant la fortification du pays. »

ne dut point satisfaire le Conseil impérial, car il fut décidé peu après qu'un ingénieur militaire serait d'urgence envoyé à Dole, et cette mission fut confiée à un Gênois, Ambroise Precipiano, originaire de Gavia. C'était un officier intelligent, expert dans l'attaque ou la défense des places, versé dans l'étude de la géométrie et de ses applications, et dans la construction de ces redoutables fronts bastionnés dont l'enceinte de Vérone, et celles de Florence, de Peschiera et de Mantoue venaient d'être récemment garnies. Precipiano, que les généalogistes du dernier siècle ont voulu doter d'ancêtres imaginaires, arriva à Dole en 1541; peu de jours lui suffirent pour reconnaître la place, juger ses côtés faibles, et tracer à vue des accidents de terrain le plan d'ensemble qui avait fait jusqu'alors défaut aux travailleurs dolois. Inscrivant la ville et ses anciens remparts sans solidité et sans relief dans un polygone régulier, il dessina sur ses contours sept bastions et autant de courtines, outre deux demi-lunes imaginées pour garantir du côté du Doubs, servant de fossé au sud de l'enceinte, les deux portes principales d'Arans et de Besançon. Précipiano calcula le relief à donner aux glacis et aux remparts, les dimensions considérables des fossés à élargir et à creuser, les revêtements en blocs de maçonnerie bosselée nécessaires aux épaulements de terre et de gravois entassés par les pionniers. En somme, il fit jaillir de son cerveau et bientôt du sol tout un groupe de défenses habilement conçu, qui devait protéger avec succès, durant cent trente années, et la tranquillité des Dolois et les libertés de toute une province.

Dès l'abord, l'ingénieur avait déclaré mal construits et insuffisamment protégés les deux bastions si labo

rieusement élevés de 1531 à 1540, aux Bénits et à la porte d'Arans, et affirmé qu'ils devraient être ultérieurement remaniés et renforcés, donnant ainsi raison à certains gentilshommes du comté qui voulaient porter au Conseil de l'Empereur une plainte (en malfaçon et malversations) contre le bailli Jean Faulquier et le greffier Philippe Vaulchier, leurs constructeurs. Fort de l'autorité impériale, au nom de laquelle il parlait avec la brusquerie d'un soldat, Precipiano heurta à maintes reprises et le magistrat ou conseil de la ville de Dole et le Parlement habitué à une prépondérance absolue, même en matière de fortifications, et toujours il sut briser leurs résistances. Dès son arrivée à Dole, il demande les clefs du Vieux-Château, le conseil essaie de les lui disputer en jetant assez méchamment une suspicion sournoise sur « l'ingénieur étranger »> (1). En 1542, il veut ouvrir une poterne près du « monniet » de la tour Landon; les bourgeois s'inquiètent et le dénoncent au gouverneur, M. de Thoraise (2). En 1543, il fait prendre et tuer un mouton pour nourrir ses ouvriers au domicile d'un bourgeois dont on enfonce la porte, fait suspendre à la grue du boulevard des Bénits la servante d'un conseiller au Parlement, emprisonne le guet, etc. (3); furieux, les gens du Parlement et du corps de ville accusent l'ingénieur de diriger ses fortifications plutôt contre la place et ses bourgeois que contre l'ennemi du dehors. Precipiano n'a cure de ces dénonciations et de ces attaques, la noblesse est pour lui contre les robins de la cour et les bourgeois de

(1) Arch. municip. de Dôle, délibération du 21 octobre 1541. (2) Ibid., 3 octobre 1542.

(3) Ibid., no 1184.

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