Page images
PDF
EPUB

d'exploiter une mine de fer à Fretigney; il verrait à l'œuvre, d'après nos chroniques, les papeteries de notre chapitre métropolitain, les nombreuses forges du pays de Jougne, les draperies d'Arinthod, les tisseranderies d'Orgelet, la façonnerie de drap de laine et la façonnerie de soie établie à Besançon (1).

Survinrent au XVIIe siècle les invasions suédoises, allemandes, françaises; la province fut ravagée en tous sens, et quand elle fut saisie par Louis XIV, elle sortait à peine d'une ère désastreuse où les campagnes étaient en friche, les villes ruinées, où les traces et les moyens du travail humain avaient à peu près disparu. Malgré les guerres nouvelles, malgré les rigueurs fiscales de leurs nouveaux maîtres, les Comtois respirèrent désormais à l'abri des invasions, et une ère de réparation s'ouvrit, qui devait durer jusqu'en 1789. Le pays se repeupla, la richesse des hommes reparut la première; la richesse agricole suivit, puis la richesse industrielle plus lentement, en dépit d'obstacles permanents, contribua à cette prospérité renaissante.

La plus importante industrie, celle des fers (car il faut mettre à part l'exploitation des salines et des forêts), avait pour centres les hauts-fourneaux où se fondait le minerai, puis les forges proprement dites, où les fontes étaient converties en fer de tout échantillon, et aussi en bombes et en boulets pour l'armée. Les martinets, de bien moindre importance, fabriquaient des outils d'usage commun, des clous et des instruments de culture. En 1698, l'intendant d'Harouys signale plus de trente établissements, la plupart de

(1) V. Dom GRAPPIN, Essai sur le commerce ancien du comté de Bourgogne (dans l'Annuaire du Jura, 1845).

date récente, où l'on s'occupe de la fabrication et de la transformation du fer. Cinquante ans plus tard, ce chiffre était quadruplé; car un état publié en 1757 en nomme 112, soit 23 dans le bailliage de Vesoul, 18 dans celui de Pontarlier, 14 dans celui de Gray, 7 dans celui de Baume, 5 dans ceux de Besançon, de Dole et d'Ornans. Les bailliages d'Arbois et de Lons-le-Saunier n'en possédaient pas. L'usine de Fraisans, la plus im-. portante de toutes, produisait 1,500 milliers de fer par an. La plupart appartenaient à des gentilshommes d'épée ou de robe, qui s'en occupaient peu et n'en tiraient qu'un profit médiocre (1).

Des établissements de ce genre supposent trois éléments essentiels, permanents, de prospérité à leur portée : le minerai, c'est-à-dire la matière première, l'eau qui met en mouvement les marteaux de forge, le bois qui alimente les feux. Or, l'exploitation des mines était irrégulière ou gênée par des droits exorbitants, comme ceux, de plus de 5 0/0, que le prince-abbé de Lure exigeait, sans bourse délier, sur les gisements dont il était propriétaire. Les cours d'eau, peu abondants, étaient trop souvent à sec. Enfin les forêts constituaient chez nous une richesse dont on tenait à ne pas amoindrir le capital. Aussi le Parlement n'autorisait-il qu'à son corps défendant l'ouverture de nouvelles forges. Le gouvernement, de son côté, redoutait un déboisement trop rapide qui eût nui au service des salines ou à celui de la marine royale, et les coupes dont l'industrie eût pu profiter demeuraient souvent

(1) GORDON S. FLOYD, L'industrie des mines et la métallurgie en Franche-Comté au XVIIIe siècle. (Bulletin de la Société d'agriculture, sciences et arts de la Haute-Saône, 1884.)

suspendues, à cause des nombreux procès de délimitation pendants entre les seigneurs, les communes et les particuliers. Nous avions jadis trop de bois et trop peu d'usines, disait-on au milieu du siècle dernier; aujourd'hui, c'est le contraire, les futaies ne sont plus que de minces taillis, et la richesse du sol s'est amoindrie au profit d'établissements languissants ou inutiles. Les cahiers de 1789 contiennent à cet égard les remontrances parlementaires; la plupart demandent la réduction du nombre des forges, et le tiers état du bailliage d'Aval va jusqu'à solliciter la fermeture de toutes celles qui ont été créées depuis quarante ans (1).

Si telles étaient les conditions de la fabrication du fer, les industries qui en dérivent devaient nécessairement trouver peu de faveur. L'ingénieur Robelin eut beau établir, avec privilège du roi, une manufacture de fer-blanc, où l'on toléra, faute de pouvoir recruter des indigènes, des ouvriers protestants: plus tard, en 1736, l'intendant de Vanolles eut beau monter à Courtefontaine une fabrique d'acier qui tomba, dit-on, faute d'une administration honnête; pendant de longues années encore il fallut rester, pour une foule d'objets d'usage commun, tels que les faux, les limest et autres outils, tributaires de l'Allemagne. Il paraissait convenu que la qualité inférieure de nos fers empêchait leur transformation en acier par les procédés alors connus. Constatons seulement l'établissement d'une première tréfilerie à Neuchâtel en 1746, suivie de plu

(1) Cahiers du bailliage d'Aval, noblesse (Administration, art. 20), tiers état, ch. IX, art. 2. Cabiers du bailliage de Dole, noblesse, art. 73, tiers état (Des intérêts particuliers de la province, art. 7).

sieurs autres à Saint-Loup, Lods, Châtillon, Baumotte et Montarlot. A Besançon, ville militaire et parlementaire, les armuriers, jadis célèbres, avaient disparu, et l'horlogerie était encore à naître.

Les industries textiles n'étaient guère plus prospères que les industries métallurgiques. Les Comtois se laissaient enlever leurs matières premières par leurs voisins, les peaux et les laines par les gantiers du Dauphiné ou les chapeliers du Lyonnais, et jusqu'à leurs chiffons par les papetiers de l'Auvergne. La fabrication des étoffes, au début du XVIIIe siècle, ne consistait qu'en droguets à l'usage des paysans; à ces grossiers tissus on joignit depuis des couvertures dites kalmouks, des toiles et des draps de qualité inférieure; on avait renoncé à la draperie fine, à cause de l'insuffisance et de la mauvaise qualité des laines.

Les moulins à papier étaient nombreux, plus nombreux que dans toute autre province, soit vingt-quatre distribués en trois arrondissements, celui de Baume, celui d'Orgelet, celui de Salins (1). Une ordonnance de l'intendant de Beaumont (20 octobre 1752) avait appliqué à la province les arrêts du Conseil de 1739 et de 1741, qui réglementaient cette industrie pour tout le royaume. Ici encore une législation tracassière se joignait au manque d'habiles ouvriers pour rendre la fabrication languissante et sans profit pour le pays.

Si l'on veut trouver l'activité, je n'ose dire la richesse industrielle, il faut gagner le haut Jura, et le bailliage qui portait le nom spécial de grande judicature de Saint-Claude. Sur ce sol ingrat, les grands

(1) V. la dissertation du président de Courbouzon (1759) dans les Ouvrages mss. des académiciens, t. II, p. 319 et suiv.

pâturages eux-mêmes ne pouvaient nourrir que de maigres troupeaux, et ses habitants, que Voltaire dénonçait comme en proie aux chimères de la sorcellerie et aux tristes réalités de la mainmorte, demandaient à un travail spécial, sédentaire, les ressources que l'on tirait autour d'eux du travail agricole. La pittoresque et étroite vallée de la Bienne offrait à chaque pas les traces du labeur ingénieux de ses habitants. Voici d'abord Morez, un des rares centres de population qui aient chez nous une origine purement industrielle. Autour d'une clouterie, d'un martinet et d'un moulin, un village avait peu à peu tapissé de ses habitations la combe dit Morel, et la tréfilerie qu'y monta Dolard, en 1726, ne tarda pas à acquérir une grande réputation. La petite-fille de Dolard épousa Louis-François de Lamartine, l'aïeul du grand poète. En nommant dans ses mémoires les belles usines de Morez, qui avaient fait la fortune de sa famille, l'auteur des Méditations s'est reconnu, à un titre tout spécial, Franc-Comtois d'origine, et il l'est certes plus que son illustre émule, celui qui,

Jeté comme la graine au gré de l'air qui vole,

est venu naître, entre deux étapes de son père, dans la « vieille ville espagnole » de Besançon.

C'est par Morez et les villages environnants que l'industrie horlogère est entrée dans la province (1). Dès la fin du XVIIe siècle, les horloges qu'on nommait, à cause du principal lieu de fabrication, les Foncines, étaient connues au loin, et les noms de leurs fabricants,

(1) Ernest Girod, L'industrie morézienne pendant la Révolution (Mémoires de la Société d'Émulation du Jura, 1881).

« PreviousContinue »