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La Russie a démasqué ses projets. Elle approuve les violences du prince de Menschikoff; ses armées se mettent en marche. Le Gouvernement français, continuant à faire preuve de la plus grande modération, fait savoir à son ambassadeur, M. de Lacour, qu'il veut laisser à la Russie toute la responsabilité d'une première agression.

N° 10.

A M. de Lacour.

Paris, le 3 juin 1853.

Monsieur, la dépêche télégraphique que j'ai eu l'honneur de vous écrire par la voie de Vienne vous a annoncé sommairement

l'approbation donnée par le cabinet de Saint-Péterbourg à l'attitude de M. le prince Menschikoff, ainsi que la mise en marche du quatrième corps de l'armée active cantonnée en Pologne, avec ordre de se trouver, pour le 10 de ce mois, sur les frontières de Moldavie. Ces nouvelles ont gravement ému le Gouvernement de Sa Majesté Britannique, et, ne se bornant plus à placer l'escadre à la disposition de lord Stratford, il a décidé hier que M. l'amiral Dundas se rapprocherait, sans plus de délai, des' Dardanelles. Un courrier porte aujourd'hui à cet officier général les instructions de l'amirauté, et doit continuer sa route jusqu'à Constantinople pour informer lord Stratford des résolutions de son Gouvernement.

M. l'ambassadeur d'Angleterre, si l'indépendance de la Turquie est menacée, devra tout faire pour la protéger. Les nouvelles instructions de lord Stratford sont, comme vous le voyez, absolument analogues à celles que vous avez reçues vous-même au moment de votre départ, et il pourra s'établir entre vous une identité de vues et d'action qui, si vos efforts communs ne parvenaient pas à empêcher les affaires de s'aggraver davantage, servirait à couvrir Constantinople contre un danger immédiat, et à fournir à la France et à l'Angleterre des gages à opposer à ceux dont la Russie se serait emparée.

Je n'ai pas besoin de vous dire, Monsieur, qu'il est essentiel au plus haut point, dans de si graves conjonctures, de laisser au cabinet de Saint-Pétersbourg toute la responsabilité d'une première agression. Ce n'est que dans ce cas que l'appui que nous sommes résolus à prêter à la Porte sera légitime et efficace. En effet, nous nous présenterons alors comme les défenseurs du traité de 1841, violé dans son esprit, et comme les soutiens de l'équilibre de l'Europe, menacé par la puissance qui semblait plus que les autres avoir la prétention de s'en constituer ia gar

dienne. La cause pour laquelle nous nous serons armés sera la cause de tout le monde; l'opinion publique et les cabinets seront de notre côté.

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L'Angleterre met la flotte de l'amiral Dundas à la disposition de son ambassadeur, lord Stratford; la flotte française est aux ordres de M. de Lacour. Les deux puissances puisent leur droit dans le traité de 1841; elles ne franchiront les Dardanelles que lorsque la Russie aura commencé les hostilités contre la Turquie. Elles ne cesseront pas d'ailleurs de faire tous leurs efforts, jusqu'au dernier moment, pour concilier les prétentions de la Russie avec les droits de souveraineté de la Porte.

No 11.

A M. le comte Walewski.

Paris, le 5 juin 1853.

Monsieur le Comte, j'ai placé sous les yeux de l'Empereur la dépêche où vous m'annoncez que l'escadre commandée par

M. l'amiral Dundas est mise à l'entière disposition de lord Strafford. Sa Majesté Impériale se félicite de la complète harmonie qui existe entre son propre Gouvernement et celui de S. M. Britannique, et elle espère que son effet sera d'empêcher les complications qui pourraient surgir en Orient et menacer sérieusement la paix générale.

Dès le début de la mission de M. le prince Menschikoff, nous avions conçu des inquiétudes sur son résultat; mais nous étions certains que, du moment où le Gouvernement de S. M. Britannique partagerait nos appréhensions, des intérêts communs et un désir égal de maintenir l'intégrité et l'indépendance de l'Empire Ottoman dans leurs conditions actuelles devaient réunir vers le même but les efforts de la France et de l'Angleterre. C'est dans cette confiance, si pleinement justifiée, que j'avais. d'après les ordres de l'Empereur, rédigé les instructions de M. de Lacour, et qu'en lui donnant, à la date du 22 mars, l'autorisation d'appeler l'escadre française aux Dardanelles, je lui recommandais, si cette grande mesure lui paraissait nécessaire, de s'entendre avec lord Stratford pour combiner, autant que possible, les mouvements de nos forces navales avec ceux de la flotte anglaise.

L'ambassadeur de Sa Majesté Impériale, Monsieur le Comte, se trouve donc déjà muni de toutes les directions dont il a besoin pour prendre une attitude absolument semblable à celle de l'ambassadeur de Sa Majesté Britannique, et M. l'amiral de la Susse recevra en même temps que M. l'amiral Dundas l'ordre d'appareiller pour les Dardanelles et de mouiller dans la baie de Besika. Le Chaptal, qui lui porte cet ordre, a quitté Toulon hier, et, de cette façon, les deux escadres arriveront ensemble à leur destination. Nous ne pouvions mieux constater l'accord des deux Gouvernements, et nous espérons fermement qu'une telle démonstration, autorisée par les armements de la Russie ellemême, suffira pour donner à la diplomatie le temps de préve

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