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rables, j'ai conçu la pensée de les étudier au point de vue de cette mort illustre dont elles furent le théâtre, et de discuter les traditions qui s'y rattachent. Il m'a semblé que c'était une des occasions où l'archéologie pouvait être le plus directement utile à l'histoire.

Je prendrai, pour point de départ dans mes recherches, non le récit de Roger de Hoveden ou de Rigord, mais celui qui se trouve dans la bibliothèque des manuscrits, à la suite de la chronique de Geoffroy du Vigeois, ignorée ou négligée de la plupart des historiens; cette dernière version porte cependant en soi bien des garanties d'authenticité auxquelles, peut-être, nous en ajouterons de nouvelles.

Ce n'est qu'une note, il est vrai, et une note anonyme, mais la place qu'elle occupe dans le recueil du Père Labbe, permet de penser qu'elle provient de l'abbaye du Vigeois, située non loin de Châlus. Il est de plus évident par l'exacte orthographe des noms d'hommes et de lieux, par l'extrême précision des détails, qu'elle a été écrite par un contemporain ou peu s'en faut, par un habitant du Limousin et par un homme parfaitement renseigné. En voici le texte :

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« Anno ab incarnatione Domini 1199 Richardus Anglorum rex fortissimus ictu sagittæ ad humerum percussus <«< cum obsedisset turrem quandam in quodam castro Lemo« vicencis pagi quod appellatur Châlus-Chabrol. In prædictâ turri erant duo milites cum aliis circiter 38 hominibus «<et feminis. Unus ex militibus vocabatur Petrus Bru, alter « Petrus Basilii, de quo dicitur quod sagittam cum arbalista << tractam emisit qua percussus Rex intra duodecim diem « vitam finivit videlicet feria tertia ante diem dominicam qua « celebratur ab ecclesia processio in ramis palmarum octavo «<idus aprilis decima hora noctis. Jpse interim dum ægro«taret præceperat suis ut obsiderent castellum vicecomitis quod appellatur Nuntrum et quoddam aliud municipium

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quod appellatur Montagut, quod effecerunt, sed morte regis audita confusi recesserunt. Proposuerat ipse rex in « corde suo omnia castra et municipia prædicti Ademari vice<«< comitis destruere. Bibl. mss. libr. P. Labbæi, t. 2, p. << 302 et suivantes. >>

« L'an de l'incarnation de Notre Seigneur, 1199, Richard, l'intrépide roi des Anglais, fut frappé d'un trait à l'épaule, pendant qu'il assiégeait une certaine tour dans un certain château du Limousin qui se nomme Châlus-Chabrol. Dans la susdite tour, il se trouvait deux chevaliers avec environ 38 autres personnes, hommes et femmes ; l'un des chevaliers se nommait Pierre Bru, l'autre Pierre de Basile. On dit de ce dernier qu'il lança le coup d'arbalète dont le Roi mourut douze jours après la troisième fête avant le dimanche où l'église célèbre la procession des Rameaux, le huit des ides d'avril, à la dixième heure de la nuit. Pendant sa dernière maladie il avait ordonné aux siens d'assiéger le château du vicomte appelé Nontron ainsi qu'un autre fort qu'on nomme Montagut ou Piégut, ce qu'ils firent, mais à la nouvelle de la mort du Roi, ils se retirèrent en désordre. Richard avait résolu dans son cœur de détruire tous les châteaux et tous les forts du susdit vicomte Aymar. »

On nous dit ici que le roi Richard assiégeait, lorsqu'il fut atteint mortellement, non point l'ensemble du château, mais une certaine tour dans le château, et comme on ajoute qu'on y trouva, lorsqu'elle fut prise, deux chevaliers seulement et trente-huit personnes de condition inférieure, hommes et femmes, il faut chercher, à Châlus, une tour qui ait pu être privée de communications avec le reste de la place et former l'objet d'un siége séparé. Nous en trouvons une, en effet, et c'est justement celle que la tradition nomme la tour du roi Richard. On pourrait croire à présent qu'elle faisait partie des fortifications du bourg, non de celles du châ

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teau proprement dit, car elle occupe avec ses dépendances l'angle rentrant d'une enceinte murale dont les deux branches envelopperaient les maisons du bourg actuel ; mais il paraît qu'à Châlus, de même que dans les localités voisines de Pierre-Buffière (1), on avait bâti un château double, de manière à contraindre les assaillants, de diviser leurs forces et de faire deux siéges au lieu d'un. Il y avait donc le château principal, qui s'élève aujourd'hui sur le sommet d'une colline isolée de toutes parts, et le château bas, situé de l'autre côté d'un petit vallon et dans une position beaucoup moins avantageuse en apparence; le premier est de style Roman, sauf quelques fenêtres évidemment percées après coup; le second appartient plutôt au style ogival de transition, autant qu'on en peut juger par ce qui subsiste aujourd'hui. Le croquis suivant les reproduit l'un et l'autre.

On voit d'abord, au premier plan, tout ce qui reste du château bas. C'était la partie qui se rapprochait le plus du château supérieur ; un intervalle d'environ deux cents mètres l'en séparait. A l'opposé se trouvaient, dit-on, d'autres tours plus considérables qui constituaient le corps principal du château bas, mais des maisons particulières ont envahi leur emplacement et fait disparaître leurs dernières traces depuis un demi-siècle. · Ces dernières fortifications, fussentelles prises, et la grande cour envahie par l'ennemi, la garnison de celles qui figurent dans le dessin, pouvait continuer à se défendre. C'est même dans cette prévision que la tour de Richard avait été placée, non du côté de la campagne, mais à l'angle intérieur de ce petit bâtiment carré que nous appellerons un châtelet. De sa plate-forme on n'en dominait pas moins les dehors de la place et de ses nombreuses meur

(1) Henri-le-Vieux, père de Richard, assiégea successivement deux châteaux de Pierre Buflière.

trières en croix ; les arbalétriers prenaient en flanc les assaillants qui auraient voulu enfoncer la porte ou escalader les fenêtres. Je ne sais si l'on était isolé de la cour par un fossé intérieur: je ne le suppose pas. En tout cas, la porte n'était point précédée d'un pont-levis, ce qui est d'autant moins extraordinaire qu'on n'en trouve guère en Limousin avant le XIV. siècle ; à défaut de cette invention et de celle des herses, qui paraît avoir été connue plutôt, on se contentait de doubler de fer les vantaux des portes et de les consolider par une poutre qui glissait horizontalement dans des coulisses ménagées dans l'intérieur de la muraille. Puis, la porte forcée, on s'attachait à ménager des surprises aux assiégeants. Ils se trouvaient le plus souvent, non dans les logements de la garnison, mais dans une cour étroite entourée de hautes murailles, sorte de puits où ils risquaient fort d'être assommés avant d'avoir renversé les derniers abris des assiégés. Malgré l'exiguité du châtelet de Châlus, c'est ainsi qu'il est disposé: de la porte, dont l'ogive, à double rangs de voussoirs, est fortifiée d'un arc de décharge en plein-cintre, on débouche dans une cour, et de là, on entre dans un corps de logis à deux étages, qui sert aujourd'hui de prison; la tour attenante offre dans son intérieur trois chambres octogones en forme de coupoles. On monte de l'une à l'autre, non par une vis, mais par une rampe qui tourne en spirale dans l'épaisseur du mur. La plus élevée est la plus commode; elle a une fenêtre géminée en plein-cintre et une cheminée. Ses autres ouvertures sont généralement en ogive, et particulièrement celle qui est percée dans le haut de la façade. Le chapiteau en pierre calcaire de la colonnette, qui divise les ogives secondaires, est finement sculpté de feuilles de lierre et la base n'a déjà plus de scotic. Si cette fenêtre n'a pas été refaite, le style qui domine dans cette construction est décidément le style ogival. En l'absence de tout document historique,

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