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19-168858

ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE

OU

ÉTUDE DES SCULPTURES, PEINTURES, ETC.,

QU'ON RENCONTRE SUR LES MONUMENTS RELIGIEUX DU MOYEN-AGE;

Par M. l'abbé CROSNIER,

Chanoine de Nevers, curé de Donzy, inspecteur des monuments de
la Nièvre, membre correspondant des comités historiques
et de plusieurs Sociétés savantes.

PRÉFACE.

Peu d'années se sont écoulées depuis le moment où l'archéologie était encore enveloppée des langes de l'enfance; quelques hommes entouraient son modeste berceau, et après avoir médité en silence, et considéré avec respect les traits de celle qu'ils regardaient comme leur pupille, ils élevèrent la voix et annoncèrent sa grandeur future (1).

Leurs prévisions se réalisèrent au-delà même de leurs espérances, les forces vitales de cette enfant se développèrent ; elle a grandi avec une incroyable rapidité. Maintenant elle siége en reine sur le trône de la science, et tous les jours

(1) En 1830, M. de Caumont disait, en faisant le résumé du Cours d'antiquités qu'il professait à Caen: «Tel est, Messieurs, l'enseigne

ment qui a fait l'objet de nos conférences, enseignement nouveau ■ que nous avons essayé de créer pour la France, et qui tôt ou tard, « je l'espère, y prendra racine, »

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nous voyons de nouveaux vassaux lui offrir leurs hommages et se ranger avec bonheur sous ses pacifiques bannières.

Comme les autres sciences, l'archéologie a ses principes rudimentaires solidement établis ; il reste encore, il est vrai, quelques doutes à dissiper, et ceux qui se sont voués à cette étude n'ont pas la prétention d'avoir résolu toutes les difficultés; ce qu'on peut appeler les principes secondaires de l'archéologie n'ont pas tous été aussi nettement définis. N'en soyons pas étonnés, toute science a ses problêmes.

Si cependant on met à part ce qui regarde l'origine de l'ogive et ses développements, sa marche plus ou moins ferme dans certaines régions, l'établissement des écoles architectoniques et leur circonscription, et peut-être quelques autres points de moindre importance, on est forcé d'avouer que l'archéologie a établi ses principes avec une précision mathématique.

Quel homme, un peu versé dans les études solides qui distinguent notre siècle, ignore les caractères particuliers propres aux trois époques de la période romano-byzantine et les types variés de l'architecture ogivale ? Notre jeunesse studieuse, en visitant nos basiliques, car c'est là la véritable école archéologique (1), ne peut-elle pas à la seule inspection des piliers, des chapiteaux, des portails, des fenêtres, des voûtes et même des simples murailles, indiquer leur âge précis et appuyer son jugement sur des raisons inébranlables ? Le clergé, eh pourquoi ne le dirions-nous pas ? le clergé a puissamment contribué à propager ce goût des études fortes et sérieuses nos illustres prélats ont compris qu'ils devaient se

(1) Les anciens châteaux ne sont plus; ils étaient naturellement dans les guerres le point de mire du canon; ils ne présentent pour la plupart que des ruines. Ceux qui sont encore debout sont rares, et un grand nombre ont changé de physionomie sous leur accoutrement moderne.

conder de tous leurs efforts ce mouvement providentiel; non contents de favoriser l'établissement de Sociétés archéologiques dans leurs diocèses et de les honorer de leur présence, ils créèrent dans leurs séminaires des chaires d'archéologie, et les conférences ecclésiastiques devinrent de petits Congrès scientifiques, dans lesquels chaque prêtre vint déposer le résultat de ses études et de ses observations. La Théologie, la Philosophie, l'Ecriture-Sainte, l'Histoire ecclésiastique, la Liturgie, l'Archéologie et les sciences naturelles, eurent leur place dans le programme des conférences.

La lampe mystérieuse du sanctuaire a déjà projeté au loin ses rayons lumineux ; et malgré certaines préventions injustes, le monde entier est enfin convaincu que la piété et la science sont deux sœurs faites pour vivre sous le même toit (1).

Cependant ce ne serait pas assez d'être initié aux secrets de l'archéologie proprement dite, et de connaître en détail tout ce qui constitue la structure de nos monuments. Nous ne devons pas ignorer que les animaux dispersés dans cet autre paradis terrestre, ont un nom en rapport avec leurs mœurs et tiré de leur nature même, et que les fleurs variées qui y croissent mêlent leurs suaves parfums à ceux de l'encens qui brûle dans le sanctuaire. Nos magnifiques vitraux avec leurs myriades d'Anges et de saints personnages ne sont pas seulement des voiles diaphanes, qui laissent parvenir dans le lieu de la prière la lumière céleste adoucie par la pourpre et l'azur, nous devons y reconnaître les images de nos protecteurs et de nos modèles. Ces figurines accolées aux voussures des portails, ces basreliefs qui ornent les tympans, ces médaillons accrochés aux soubassements, ces sentinelles de pierre qui veillent jour et nuit autour du Temple saint, les unes aux portes, les autres

(4) Les noms de MM. les abbés Bourassé, Devoucoux, Tridon, Greppo, Texier, etc., sont connus dans le monde savant.

sur les murailles, ne doivent pas être pour nous autant de sphinx dont nous ne saurions expliquer les énigmes.

Hâtons-nous donc de le dire, l'archéologie sans l'iconographie est un corps sans âme, une lampe d'or dont la lumière est éteinte. Elle peut bien nous montrer des pierres rangées avec ordre et symétrie, mais de ces pierres elle ne saurait en faire des enfants d'Abraham (1).

Nos temples saints nous rappellent en tout temps le silence respectueux qui régnait autour du sépulcre du Sauveur; mais l'iconographie seule nous les montre comme cette nouvelle Jérusalem descendue du ciel, et dont les places et les rues retentissent sans cesse de l'éternel alleluia (2). Les pierres sont animées (3), et lorsque les enfants de la grande famille des chrétiens cessent leurs pieux concerts, elles continuent à répéter avec une indicible harmonie: gloire au Fils de David, hosanna Filio David. Leur langage serait-il donc pour nous une langue étrangère qui ne produirait que d'inintelligibles sons, et notre âme, après avoir considéré dans les plans et les ornements de nos églises, des lignes plus ou moins régulières, des détails plus ou moins parfaits, n'aurait-elle pas le pouvoir de dissiper le nuage mystérieux qui remplit l'édifice? L'étude de l'iconographie nous investira de ce pouvoir; non seulement nous verrons la ville sainte, non seulement nous contemplerons la nouvelle Jérusalem parée comme une épouse qui veut plaire à son époux, mais encore nous entendrons d'une manière plus distincte la grande voix qui sort du trône de Dieu (4).

(1) Potens est Deus de lapidibus istis suscitare filios Abrahæ, Luc 3-8.

(2) Per vicos ejus alleluia cantabitur. Tob. 13-22.

(3) Lapides clamabunt. Luc 19-40.

(4) Vidi sanctam civitatem, Jerusalem novam, descendentem de cœlo, à Deo paratam, sicut sponsam ornatam viro suo, et audivi vocem magnam de throno. Apocal. cap. 21.

Déjà les intéressants ouvrages publiés par M. Didron et les précieux mémoires imprimés dans le Bulletin monumental, nous avaient fait comprendre tout ce que les études iconographiques ont d'attrayant, quand nous eûmes le bonheur d'accompagner Mgr. Dufêtre, évêque de Nevers, dans le midi de la France, et de visiter une partie des plus riches monuments de cette contrée, dès-lors nous avons conçu le projet de composer un manuel d'iconographie chrétienne.

Nous regardons comme un devoir de témoigner ici hautement à notre honorable et savant ami, M. l'abbé Bourassé, toute notre reconnaissance; plus d'une fois nous avons été heureux de pouvoir mettre à profit les judicieuses observations qu'il a bien voulu nous adresser.

Présenter sur l'iconographie un ensemble aussi complet que pouvait le comporter un manuel, aplanir les difficultés de cette science en posant des principes généraux faciles à appliquer et appuyés d'ailleurs sur des exemples nombreux, tel a été le but que nous nous sommes proposé. Notre plan était tout tracé; en étudiant nos monuments religieux et en nous pénétrant des pensées de foi qui guidaient nos artistes dans l'ornementation de nos vieilles basiliques, nous crûmes y reconnaître un vaste livre continuellement ouvert sous les yeux des savants et des ignorants. Ce livre présentait à tous des notions claires et précises, sur les vérités qu'ils devaient croire, sur les devoirs qu'ils avaient à remplir et sur les récompenses qui leur étaient promises; quoique le temps et les révolutions aient déchiré des pages bien précieuses de ce livre, il en reste encore assez pour que nous puissions à notre tour en faire l'objet de nos méditations. Nous y rencontrons tout ce qui peut nous intéresser le plus ; notre origine, la nature de notre âme, notre fin, les moyens de parvenir à cette fin, les sacrifices que l'Homme-Dieu s'est imposés pour nous y conduire, l'établissement de son église, les nombreux héros

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