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autres moyens d'occuper les loisirs de la paix et les esprits; en même temps s'inventait ou se renouvelait des Grecs le secret d'un ciment qualifié de toutes manières, excepté de celle qui lui convenait seule. Ce mortier, puisqu'il faut l'appeler par son nom, fut appliqué au raccommodage des figures en pierre. Or, il n'a pas tenu à Bourges. Toute la série de tableaux en miniature qui se déroule en courant comme un ruban le long de la grande façade et dans l'intérieur des baies des cinq porches, a été restaurée au ciment rouge, ou vert ou brun, il n'y a pas dix ans. Déjà tout se détache et tombe. Cette ruine si précoce ne serait néanmoins qu'un petit inconvénient, même un bien, si elle n'amenait d'autre résultat que le rétablissement de la sculpture dans l'état où l'a prise l'ouvrier restaurateur. Mais le dernier état de cette sublime porte de la maison de Dieu est vraiment pire que le premier.

Pour remettre des nez, des oreilles, des morceaux de tête, de vêtements ou d'attributs façon-ciment, il a bien fallu chercher des points d'appui plus solides que n'en présentaient les parties frustes et vermoulues, il a fallu creuser des cavités pour encaisser et retenir ce limon destiné à devenir une figure d'homme, de poisson, d'oiseau ou de quadrupède, il a fallu perforer plus avant encore pour sceller des tenons aux endroits qui manquaient d'un bras, d'un doigt ou d'une autre partie de forme allongée et rendue plus casuelle par son isolement. Eh bien! il est arrivé, qu'en se détachant, ce ciment, mastic ou mortier, a laissé à découvert toutes ces déchirures et ces plaies élargies et approfondies pour les recevoir; il a trahi et accru la misère de ces rois et de ces saints auxquels on voit maintenant au lieu de sceptre, de crosse et de membres, les longs fers galvanisés ou les fils de laiton qu'on leur avait donnés pour ossature et qui sortent en haut et au bas de leurs corps comme des broches de cuisine.

Les fers galvanisés ! oh! c'était encore une bien belle invention! Oui. Ils se sont cependant oxidés, parce que sans

doute ils n'étaient pas galvanisés suffisamment. L'expérience profitera. C'est justice. Mais n'aurait-il pas été sage de s'essayer sur un autre monument que la cathédrale de Bourges qui n'est pas, j'espère, animal vile?

Je ne nomme que Bourges; et Bourges n'est pas la seule victime du fer galvanisé. D'autres restaurations du même genre se commettaient en même temps ailleurs. Amiens aussi commençait à être atteint par le fléau lorsqu'on a reconnu ses ravages. Le cuivre l'a remplacé; mais soit que sa surface trop polie n'ait pas toujours été bien appréhendée par le ciment, soit par une cause encore inconnue, il s'est encore quelquefois dégagé, et nous avons à Amiens aussi des cas de fractures nouvelles analogues à celles de Bourges.

Le mieux était d'abandonner définitivement le ciment pour ne se servir que de la pierre. Ce système est facile pour les pièces de grande réparation. Il a été appliqué à Amiens, et nous devons en grande partie à notre architecte de n'avoir pas chez nous comme à Bourges des statues et des groupes hauts de plus d'un mètre, refaits tout entiers en terre fragile et de teinte disparate.

Dans les restaurations de menus détails et bas-reliefs où la pierre ne saurait entrer, parce qu'on ne peut la débiter ni la fixer en assez petites portions, le ciment a continué d'être employé, en concurrence toutefois avec la pierre.

Or, nous pensons qu'il serait plus sage encore de ne toucher nullement aux menus détails. Les dégradations qu'ils ont subies sont toujours légères, en raison même de leur peu d'importance matérielle, et ne nuisent pas à l'effet général, tandis qu'au contraire la nécessité de sonder les plaies et de les mettre au vif pour les panser et les guérir achève trop souvent de faire tomber en poussière des restes extrêmement précieux. L'expérience nous a déjà appris que la révélation de plus d'un mystère iconographique peut dépendre de faits très-insignifiants, en apparence, et très-minutieux.

Dans tous les cas, que vous vous serviez de ciment ou de pierre pour ces bas-reliefs et ces parties déliées de la sculpture, vous n'obtiendrez jamais de solidité; et puis quel air auront ces petits morceaux de pierre de 3 ou 4°. cubes ou ces emplâtres de ciment tels que nous les avons vu ajuster souvent pour un doigt de pied ou une ébréchure de robe? C'est le ridicule joint aux inconvénients qui sont exposés ici.

Je résume et je conclus. La restauration des anciens édifices religieux est désirable en principe; on doit se garder de la blâmer absolument et toujours. Cependant, telle qu'on la pratique maintenant à l'égard de plusieurs monuments du premier ordre, elle est souvent imparfaite et désastreuse.

Imparfaite pour la maçonnerie, désastreuse pour l'historiation. Imparfaite pour ce qui regarde la maçonnerie, parce qu'elle se fait sur les surfaces et en étendue, au lieu de pénétrer la profondeur des masses et de les relier radicalement et fortement; parce que les échafaudages volants que l'on emploie par économie altèrent et déparent l'architecture en même temps qu'ils servent à la restaurer.

La raison de cette imperfection de travail et de cette insuffisance de moyens n'est pas toujours dans l'inhabileté des architectes et des entrepreneurs, mais dans l'exiguité des sommes dont ils peuvent disposer et dans le désir qui leur est naturel de se faire bien venir les uns des autres et du gouvernement, en montrant plus de travaux apparents qu'il n'y en a au fond.

Si les architectes et les entrepreneurs n'ont pas assez d'argent pour leurs travaux, ils feraient mieux d'en demander et de demander en même temps le contrôle d'une commission désintéressée dont le rapport mettrait leur responsabilité à sauf, en constatant que les travaux sont quelquefois d'autant meilleurs qu'ils paraissent moins, parce qu'ils vont en travers des murailles et du corps de l'édifice au lieu de n'en effleurer que le parement extérieur et pour ainsi dire l'épiderme.

Restaurations désastreuses pour ce qui concerne l'historiation en sculpture, peinture et vitrerie, parce que pour restaurer un livre lacéré et mangé par les vers, il faut savoir la langue de ce livre, et qu'on n'a pas encore réappris la langue parlée par les artistes chrétiens du moyen-âge; parce que, lorsqu'on touche à leurs œuvres, on diminue les moyens de les étudier en les altérant encore davantage; parce que, matériellement parlant, on n'emploie que des procédés défectueux; parce que, en un mot, on ne fait rien selon la science, rien dans des conditions de solidité.

Si l'on veut un avis pratique, le voici se contenter, pour le moment, de consolider ce qui périt incessamment ; ne faire de restaurations d'historiation que celles dont le succès est assuré, et par la connaissance certaine que l'on a du sujet et par la simplicité et facilité du travail à exécuter. Ces travaux, ne les laisser faire que sous les yeux et la surveillance officielle et obligée d'hommes experts en iconographie; pour le reste, pour tout ce qui est matériellement de menu détail, ou, légendairement, non expliqué, ou, artistement étranger aux connaissances de notre temps, pour la majeure partie, la presque totalité des réparations d'historiation, ce qu'il y a à faire, c'est de ne rien faire, c'est d'attendre que des sculpteurs sur pierre et sur bois, que des peintres sur mur et sur verre aient fait leurs preuves.

A ces conditions seulement, à condition d'être essentiellement et avant tout conservatrice, la sollicitude des archéologues et de la nation pour les monuments religieux pourra leur être utile. En soutenant leur vieillesse, sans porter atteinte au caractère général de leur architecture, moins encore au sens mystérieux et sacré de leur historiation, elle gardera pour le pays une richesse véritable, parce qu'elle lui gardera une richesse authentique.

La séance est levée à 9 heures et demie.

JOURDAIN, secrétaire.

CHRONIQUE.

Congrès scientifique de France, XV. session. - La Société française vient d'adresser plusieurs questions archéologiques pour le programme de la session du Congrès scientifique qui s'ouvrira à Tours le 1er. septembre 1847. Les deux questions suivantes, dont on comprendra l'intérêt, seront traitées par M. de Caumont et probablement par plusieurs autres antiquaires.

Quelle influence Foulques Nerra, comte d'Anjou, grand constructeur de châteaux, a-t-il exercée sur l'archi«tecture militaire du moyen-âge dans l'ouest de la France, particulièrement dans le voisinage de la Loire ?

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Quels sont les caractères qui différencient au XII. siècle l'architecture religieuse de l'Anjou de celle du Poitou? Quelles limites géographiques doit-on reconnaître entre les deux régions monumentales que nous venons d'indiquer ? La Société française a délégué pour la représenter au Congrès scientifique MM. C. de BEAUREPAIRE, de Falaise, membre de son conseil-général administratif; B. de SALLEN, de Pierrepont; Raymond BORDEAUX, d'Evreux.

L'Association Normande a choisi pour délégués MM. RENAULT, inspecteur divisionnaire à Coutances; MORIÈRE, professeur au collége royal de Caen, membres du conseil administratif de la Société ; A. CAMPION, Secrétaire de la Société d'émulation de Lisieux. -La Société académique de Falaise vient de déléguer M. le B"". de LA FRENAYE, son président, savant naturaliste, qui se propose de lire plusieurs mémoires au Congrès.

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