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NOTICE

SUR L'EGLISE ST.-JEAN-BAPTISTE DE CHAUMONT

(DIOCÈSE DE LANGRES),

Par M. l'abbé GODARD SAINT-JEAN,

Professeur d'archéologie et de géologie au grand séminaire de Langres, membre de la Société française pour la conservation des Monuments.

Les documents historiques les plus anciens que nous ayons pu recueillir sur la paroisse de Saint-Jean-Baptiste-de-Chaumont, ne remontent pas au-delà du XIII. siècle. Un titre, daté de 1212, témoigne d'une transaction passée entre le curé de Chaumont et le prieur de Buxereuilles, au sujet du partage des oblations. Un autre titre, faisant partie des archives de l'abbaye de Longuay et qui fut présenté dans une instance au baillage, vers l'an 1765, mentionnait un curédoyen de Chaumont du nom de Renaud; il portait le millésime 1242. Il est probable que le portail occidental et les nefs que nous voyons aujourd'hui existaient dès-lors; car la porte, quoiqu'amortie en arc brisé, est encore romane, et l'ogive primitive paraît dans les arcades et les fenêtres. Jusqu'en 1474, l'église fut desservie par un curé et ses vicaires, ensuite par douze chapelains; mais à cette époque,

elle prit une importance beaucoup plus grande par son érection en collégiale.

Cette insigne faveur fut obtenue par Jean de Montmirel, natif de Chaumont, évêque de Vaison, référendaire secret de Sixte quatre (1).

Le chapitre s'établit enrichi de privilèges dus à l'ascendant de notre célèbre compatriote à la cour romaine. Il était exempt de la juridiction de l'ordinaire qui toutefois parvint à l'y soumettre, non sans discussions et procès. Pour en devenir membre, il fallait, aux termes de la bulle, être natif ou originaire de Chaumont, natus vel oriundus. En 1475, un nouveau bienfait fut accordé par le souverain pontife, qui scella la bulle des indulgences connues sous le nom de Grand Pardon-Général. Quand la St.-Jean-Baptiste coïncide avec le dimanche, peine et coulpe sont remises à quiconque remplit les conditions ordinaires et visite l'église durant la fête du patron. Un simple prêtre peut absoudre de tous les crimes et cas réservés même au pape, commuer les vœux pour des œuvres pies, excepté ceux de pélerinage à Rome, outre-mer, à St.-Jacques-de-Compostelle, et ceux de religion.

Lorsque le 24 juin tombait le dimanche, ce qui arrive à des intervalles divers par suite des années bissextiles,

une

(1) L'église de Chaumont conserve deux portraits de son bienfaiteur. 11 mourut à Rome, en 1479, âgé de 70 ans, et fut inhumé dans la chapelle qu'il avait fait bâtir à l'honneur de saint Jean-Baptiste, en l'église de Ste.-Marie del Popolo. Voici son épitaphe :

Joannem de Montemirabili bic sepultum,

Intelligentia apostolicum abbreviatorem,
Fides referendarium secretum,

Probitas Sixto 4°. pontif. max. familiarem,
Religio episcopum Vasionem fecit.

Quibus perfunctus septuagenarius obiit,

3 junii anno 1479: hæc si consideres admonent.

19-168888

foule immense accourait des provinces de France et des pays lointains, pour mériter l'indulgence du Pardon-Général. Bientôt, suivant les mœurs du siècle, les mystères ou représentations à personnages se mélèrent à la solennité religieuse. Les actes de la vie de M. Saint-Jehan-Baptiste étaient joués sur des échafauds dressés dans les rues, par des acteurs prêtres et laïques. Peu à peu ces drames se transformèrent en farces grotesques, immorales, et donnèrent lieu à de véritables désordres. Depuis le dimanche des Rameaux, les diables et diablesses du théâtre d'Enfer annonçaient la fête en parcourant la banlieue, cachés sous leurs déguisements infernaux; entre autres peccadilles, ils rançonnaient sans pitié les villageois; c'est de là que vient le dicton chaumontais : « Si plaît ai Dieu, ai l'ai sainte bonne Vierge, ai l'ai Saint-Jean not homme serai diable et j'paierons nos dettes. »

Le progrès des lumières arrêta mieux ces abus que les louables, mais vains efforts des chanoines. Nous ne savons pas pourquoi l'auteur d'une petite brochure sur la diablerie de Chaumont (car on appela ainsi la fête dégénérée,) prétend que, depuis la révolution, les rues de la ville sont désertes aux jours de ce jubilé. En 1838, témoin oculaire, nous avons vu avec joie une affluence considérable de peuple et de communiants. La procession, présidée par Mgr. Parisis, était magnifique comme les reposoirs où le St.-Sacrement s'arrêtait. Nous l'espérons, en 1849, le peuple de notre cité se souviendra de sa foi, et il honorera son protecteur par une fête splendide.

Ces différentes institutions devaient amener un changement dans le matériel de l'église; effectivement, nous la voyons s'agrandir par la construction, en style flamboyant, du chœur, du déambulatoire, du transept et des dix-huit cha

pelles dont elle rayonne. Une seule, placée sous le vocable de saint Pierre, appartient à la primitive construction. On le voit, le commencement et la fin du moyen-âge se touchent dans ce monument remarquable.

La nef sévère, aux grêles colonnettes engagées dans le pilier, aux arcades aiguës, sous lesquelles l'œil pénètre dans les bas côtés de même caractère, annonce l'œuvre du XIIIa. siècle. Sept fenêtres ogivales, simples lancettes sans meneaux, ont été percées au-dessus de baies plus anciennes. Deux arceaux en diagonales recroisés d'une nervure en arc doubleau, partagent la voûte de chaque travée en six compartiments; les clefs sont sculptées en fleurons, et les chapiteaux carrés ou hexagones se décorent de moulures, de crochets et de feuillages divers. Un cordon dissimule le retrait des murailles.

Quelle distance de la nef au chœur! Ce ne sont plus ici les lignes ascensionnelles et austères; les nervures prismatiques se promènent en riches et lourds faisceaux sous les voûtes qu'elles semblent entraîner plutôt que soutenir. Elles naissent du corps même des piliers ronds où les colonnes sont remplacées par des flexions sinueuses. Les arceaux se mêlent à l'intrados de la voûte dans un dédale inextricable, et à chaque point d'intersection du réseau, retombent en longs culs-de-lampe. Si l'on ajoute à ces pendentifs, à ces stalactites ciselés, les galeries ornées de dentelles de pierre, les corniches chargées de rinceaux, de rubans, de clous, de coquillages qui se développent dans le chœur et les bras de la croix; cet escalier en spirale du croisillon gauche, qui monte aux combles avec tant de vitesse et d'originalité; on comprendra qu'un art pareil ait été pris pour une aurore, quoiqu'il ne fût qu'un crépuscule. Le déambulatoire a des voûtes compliquées de tiercerets, de formerets et de liernes,

avec des clefs superbes. Les fenêtres des chapelles qui l'éclairent, sont d'un flamboyant bâtard, qui ne flamboie pas ou qui s'éteint.

Au rond-point, l'autel de la Vierge possède un rétable corinthien d'un bon travail; il voile en partie une verrière peinte de M. L....., posée depuis deux ans. Nous ne savons s'il y a grand mal. Certaines personnes trouvent du dessin dans les médaillons qui la composent et qui représentent des mystères de la vie de la sainte Vierge; mais on ne peut se dissimuler que sous d'autres rapports cette composition est faible les couleurs sont pâles et d'un ton de lavis; les règles iconographiques sont oubliées spécialement dans l'institution du rosaire. Enfin la belle et riche fenêtre où M. Maréchal de Metz vient de placer deux des évangélistes éclipse suffisamment celle-ci pour qu'on ne trouve pas notre manière de voir trop sévère.

Le vitrail de M. Maréchal, comme toutes les œuvres de cet artiste, se distingue par la noblesse et la grandeur du dessin, par la beauté des couleurs. Mais il y a peut-être quelque chose de plus digne d'éloges que le talent des peintresverriers, c'est le zèle des vénérables prêtres et des pieux fidèles de la paroisse qui, par leurs aumônes, ont ainsi décoré la maison du Seigneur, et la chapelle bien-aimée de sa divine mère. Ainsi proteste une foi vive contre l'indifférence inqualifiable de cette municipalité pour laquelle nos monuments religieux semblent être moins que rien.

On remarque dans la chapelle St. -Nicolas un arbre généa– logique. Dix personnages en pierre, assis sur ses branches, représentent les ancêtres de Marie, suivant l'évangile de saint Mathieu. Jessé est assis au pied et endormi. ‘A sa droite, on voit la tête monstrueuse de Goliath, et à sa gauche Isaïe tenant un cartel. Un saint François-d'Assise en bois, d'un certain mérite, orne la chapelle dédiée à saint Michel

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