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emplacements qui les harmonisent un peu avec le sanctuaire des âges de foi et leur y donne droit de cité; et qu'on ne détermine les artistes modernes, si ce n'est à devenir chrétiens, au moins à consulter le caractère particulier des monuments pour lesquels ils ont des commandes.

En attendant, nous n'avons pas à nous occuper de la restauration des toiles peintes; notre devoir se borne à voter leur bannissement à presque toutes.

Nous n'ajouterons rien non plus à ce que nous avons dit plus haut des vitraux peints. Qu'on s'essaie à en faire de neufs, c'est bien, fit fabricando faber; mais qu'on n'entreprenne pas dès maintenant sur une très-grande échelle ni pour les monuments de première classe; ce serait trop d'argent perdu, qu'encore moins on s'avise de restaurer les anciens ; ce serait plus que de l'argent perdu. Il paraît que décidément les verrières de Chartres l'ont échappé belle. Nous félicitons les réclamants et ceux qui ont exaucé les réclamations. Les uns et les autres ont eu du bon sens; car, sans eux, nous allions tout-à-l'heure trouver semés sur je ne sais quelles grandes routes, les débris de ces belles nappes émaillées que nous avons passé huit jours à admirer sur place il y a deux ans. Dieu veuille sauver du même péril celles de la Ste.-Chapelle qui n'ont déjà que trop souffert de la nécessité où l'on a été de les démonter pour réparer les fenêtres !

Nous avons également dit notre avis sur la restauration des peintures sur mur plat et sur sculptures dans un rapport fait sur la demande de M. le Préfet de la Somme à la Société des antiquaires de Picardie, à l'occasion des bas-reliefs du pourtour du chœur de la cathédrale. Ces sortes de restaurations sont quelquefois réclamées par la nature même de la destination et de l'usage auxquels sont appliqués certains monuments. Il ne convient pas qu'une église, un hôtel-de-ville, palais princier aient indéfiniment l'aspect du délabrement et

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de la ruine. I importe d'un autre côté que, dans ces restaurations, les parties anciennes et monumentales ne soient pas perdues pour l'histoire de l'art et comme richesse nationale; et cette perte est assurée, soit matériellement, soit mora'ement, lorsque, pour raccorder le neuf avec le vieux, on retouche celui-ci, ou qu'on réussit à l'imiter si parfaitement dans le travail nouveau qu'il y ait similitude et presqu'assimilation complète. Dans ce cas le talent de l'artiste est un mal, ou du moins il a cet inconvénient d'empêcher qu'on puisse dire désormais avec certitude en montrant une peinture murale ou un bas-relief enluminé : cette portion est l'œuvre antique, celle-ci est la contemporaine. En présence de cette difficulté, que faut-il faire? Renoncer à la restauration et laisser les peintures lacérées comme des guenilles? non. Nous avons reconnu que la réparation est convenable à plusieurs titres et qu'elle doit consister dans un habile raccord du neuf au ton de l'ancien sans toucher le moins du monde à celui-ci ; mais il nous semble qu'avant de commencer les travaux, le moyen de concilier tous les intérêts, des intérêts de l'art et ceux du service auquel sont affectés les monuments, serait de faire tirer un dessin exact représentant le monument dans son état littéral de mutilation; à défaut de ce dessin ou fac-simile, il faudrait exiger au moins une description qui soit comme un minutieux inventaire des parties conservées, des parties altérées et des parties totalement détruites. Bien entendu qu'employer simu tanément ces deux moyens vaudrait mieux encore puisqu'à l'aide de cette sorte de carte topographique accompagnée de sa légende explicative, on aurait le double avantage de pouvoir conserver le monument de l'art à l'admiration et à l'étude de l'antiquaire et de l'historien, et de sauver les convenances à l'égard du culte chrétien qui se sert des églises, et des administrations et assemblées politiques qui se servent des hôtels-de-ville et des palais.

Cette manière de procéder en fait de restauration de peintures, nous demandons qu'elle soit appliquée à toute restauration en général, soit d'historiation, soit même de décoration ancienne; c'est le seul moyen d'empêcher que ceux qui viendront après nous ne fassent fausse route en écrivant l'histoire monumentale. C'est ce qui a été fait à Bourges pour la sculpture elle-même à l'époque des grands travaux entrepris sur toute la façade de cette magnifique cathédrale, c'est ce qu'a fait, nous devons l'avouer au détriment de l'honneur qui revient, du reste, à des titres assez nombreux encore à l'administration supérieure dans ces travaux, c'est ce qu'a fait spontanément un jeune artiste du pays qu'on a peut-être eu le tort de trop laisser de côté dans cette circonstance solennelle. La belle et intéressante graphie des cinq portails occidentaux, exécutée par M. Dumontel, avant qu'on ne dressât les échafaudages, est une œuvre vraiment historique que l'avenir sera heureux de posséder pour distinguer ce qu'a refait le sculpteur Caudron d'avec ce qui restait du passé dans ces sculptures.

Nous supposons, poliment, et nous aimons à croire, sans nous en faire juge pour le moment, que le mérite des parties restaurées égalera le mérite des parties conservées.

Ce n'est pas toutefois à cette précaution préliminaire, qu'un autre a prise pour lui, que doit se borner la sollicitude du gouvernement dans la tâche qu'il s'est imposée de remettre en honneur nos monuments du moyen-âge. Les artistes qu'il s'est choisi pour réparer les sculptures de Bourges et d'Amiens, et qu'il choisira sans doute encore pour celles de Paris, sont habiles à manier leur ciseau, je le veux; ils commencent à saisir la manière de faire poser et draper leurs personnages, je l'accorde encore, quoiqu'en faisant largement mes réserves; mais ont-ils également l'intelligence et la science des textes sacrés de doctrine et de morale mises en action

sur toutes ces murailles? Je connais et je pourrais nommer de ces artistes qui ne savent pas un mot d'histoire sainte, pas un mot de catéchisme, qui savent à peine faire le signe de la croix, à peine lire; et c'est à eux qu'il est dit: mon ami, voici une cathédrale, voici deux cathédrales, voici les plus belles cathédrales de France et du monde, voici leurs porches, leurs façades, leurs parois du dehors et du dedans, voici des légions de mystérieuses figures que rendent plus mystérieuses encore les blessures qu'elles ont reçues et les vides que le temps et les hommes ont faits dans leurs rangs. Allez, reconstruisez tout cela. Ce sont peut-être bien des évêques ou des personnages civils, des prophètes ou des moines, des rois de France ou des rois de Juda, des saints ou des réprouvés. Ils retracent des faits bibliques et des légendes locales, ou ne sont que des mythes; allez et refaites des bras, des jambes, des têtes, des hommes, des femmes, Dieu et les diables. Il ne convient pas de laisser aux églises cet air de misère. Nous protégeons la religion, il faut qu'on le voie aux pierres blanches incrustées dans les pierres noires de nos vénérables basiliques. Là dessus et pleins d'ardeur à gagner leur argent, le sculpteur et ses aides sont venus armés du fer et du marteau; et voulez-vous savoir ce qu'ils ont fait, un peu seulement de ce qu'ils ont fait? je vais vous le dire.

A Amiens, heureusement qu'à Amiens quelques amis de l'archéologie religieuse ont pris sur eux de relever la monographie des portails avant l'invasion des restaurateurs; car, à Amiens, on a bouleversé, à ne plus la reconnaître dans certains endroits, l'histoire de saint Salve formant une série de jolis médaillons au pourtour méridional du chœur. A Amiens, on a commis d'autres bévues au portail St.-Honoré et aux portails principaux, et on en aurait commis un bien plus grand nombre encore, si M. le Préfet et M. l'architecte n'avaient invité officieusement deux ecclésiastiques à inter

venir par des conseils qu'on a été toutefois libre encore d'accueillir ou de négliger.

A Bourges, je ne sache pas que personne ait été consulté; et c'est pour cela, sans doute, qu'on a été mettre un saint Etienne sur la pointe du pinacle principa', le mêlant ainsi à l'épisode du jugement dernier qui est le thême de toute cette partie centrale depuis la base jusqu'au sommet; c'est la moindre faute, le Sauveur bénissant manquait au trumeau du grand porche. Que devait-on faire? Le rapporter du portail méridional, où, à parier cent contre un, il a été transporté, je ne sais quand, où il contraste par son style du XIII. siècle avec le style roman de tout ce qui l'environne. En supposant qu'on eût quelque raison pour ne pas faire cette restitution, il fallait en faire un autre, soit pareil, soit de création nouvelle et dans le style du porche qui le réclamait. L'un et l'autre de ces partis semblent naturels. On en a pris un terne qui est plus naturel encore, on a fait un plagiat et un plagiat maladroit. C'est le sauveur de la cathédrale d'Amiens qui a été copié, modelé et installé à Bourges. Malheureusement le symbolisme de l'historiation qui le complète n'ayant pas été soupçonné par le sculpteur qui n'est pas fort en exégèse, il n'en a repris qu'un lambeau, le lion et le dragon qui tiennent aux pieds même de la statue, selon le sens du conculcabis, et il a laissé l'aspic et le basilic placés un peu plus bas comme le prescrit le super..... ambulabis.

Ces faits suffisent pour exemple. Vouloir citer tous ceux qui sont à notre connaissance, ce serait entreprendre un inventaire aussi long que désolant. Il nous reste d'ailleurs une autre dénonciation à faire. Elle a pour objet le procédé même dont on a usé dans la restauration de la sculpture et dont nous doutons qu'on soit déjà entièrement corrigé.

En même temps que la pensée de restaurer les sculptures religieuses monumentales prenait naissance parmi tous les

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