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M. Vast Le Furme a démoli les piliers jusqu'à la racine, et c'est sur les assises inférieures et primitives qu'il a eu l'idée d'aller chercher et qu'il a reconnu, aux empreintes d'ancien ciment, la forme vraie et originale de la construction avec ses moulures et tous ses éléments d'ornementation qui vont courant de la base au sommet.

Donc on peut reproduire, en fait de maçonnerie, le style général des monuments en réparation. Il est vrai que pour cela il faut un peu d'intelligence et d'étude, il est vrai que M. Vast a de l'intelligence et qu'il s'applique, il est vrai que M. Vast, ce maçon ignoré de Picardie, mérite le titre d'architecte; mais M. Jourdain pense que les architectes doivent être au moins..... des architectes. Du reste, continue M. Jourdain, il est bien entendu qu'aux architectes qui ne sont que des maçons, si ce n'est moins encore, qu'aux architectes qui ne daignent ou ne savent pas étudier et saisir le tempérament, la physionomie et la forme des édifices gothiques, à ces maçons il faut donner à bâtir des maisons bourgeoises, des celliers et des granges pour qu'ils vivent, et nos églises gothiques aussi.

Ce n'est pas tout cependant de reconnaître que les réparations partielles ne sont pas impossibles et qu'on peut refaire des membres en harmonie avec le corps. La forme ne suffit pas sans le fond, l'apparence sans la réalité, le style sans la solidité. Or, si, dans certains cas, dans celui du moins que je viens de citer, on a heureusement et habilement reproduit le vrai style, il faut avouer que dans beaucoup d'autres les réparations sont attaquables sous le rapport de la solidité. Voici ce qui arrive; il y aurait conscience à ne pas le dé

noncer.

Les lésions plus ou moins graves, plus ou moins profondes qu'ont subies les vieux édifices dans le cours de leur longue et orageuse existence demanderaient aussi une réparation sé

rieuse, radicale et qui, participât par sa nature des conditions de longévité qu'il importe tant de conserver à l'édifice. Le bon sens suffit pour juger s'il en est ainsi. Un pan de mur, un pilier buttant, une corniche sont-ils malades? s'ils s'écroulent en entier entre les mains du maçon, il les refera en entier; rien de mieux pourvu qu'il les refasse bien, c'est-àdire avec une pierre du même grain, du même calibre, de la même coupe que par tout le reste de l'édifice. Mais si le mal n'est qu'à la surface, comme la chose arrive le plus souvent, parce que c'est la surface qui reçoit plus directement les coups des hommes et l'action de l'atmosphère, que fait-on alors? On enlève cette surface, mais seulement cette surface, on creuse, mais le moins possible, à savoir, à vingt, trente ou quarante centimètres, ce qui constitue à peine l'épiderme d'une muraille qui porte 2". et 2". et demi d'épaisseur, d'un pilier buttant dont la masse est plus énorme encore, d'une corniche et d'une frise dont la racine profonde ou les queues ne sont rien moins que les supports des galeries de plomb et des tombées des charpentes sous lesquelles elles plongent jusque dans l'intérieur du vaisseau. Ces vides tout-à-fait superficiels sont remplis à peu de frais. Comme ils ont en étendue ce qu'ils devraient avoir en profondeur, le monument n'en paraît ni plus ni moins réparé et consolidé. De fait il n'en est que plus affaibli, parce que la pierre ne traversant plus de part en part le massif de la maçonnerie, parce que le ciment neuf et frais ne se reliant qu'imparfaitement, sur un plan vertical, à un ciment ancien et desséché, la force de cohésion est rompue sans être remplacée, la maçonnerie neuve est disposée à se souffler bientôt, et des travaux auxquels on doit garantir mille ans d'existence, tomberont peut-être dans cinquante, dans vingt-cinq. L'expérience, au reste, est déjà là pour justifier cette prévision, Je connais telle cathédrale où l'on refait maintenant des réparations exécutées il y a seulement

vingt et trente ans; et je suis sûr qu'à y regarder de près et à consulter les archives et les anciens livres aux comptes, c'est presque toujours à l'œuvre des réparateurs de ces derniers temps plutôt qu'à l'œuvre primitive qu'il faut retoucher. Il en sera toujours ainsi tant que les retouches et les réparations ne seront pas radicales. Et pour qu'elles le soient, qu'y a-t-il à faire ? nous le dirons peut-être tout-à-l'heure; mais avant, ajoutons un mot sur les travaux préliminaires aux réparations elles-mêmes, les échafaudages.

J'ai admiré ceux que l'on construit quelquefois pour les grands édifices civils, j'ai admiré comment ces ingénieuses charpentes forment une sorte de cage posée à terre et montant indéfiniment pour enfermer, sans le toucher en aucun endroit, le vieux bâtiment auquel on veut porter secours, ou bien, laissant entre ses ais assemblés une juste enceinte dans laquelle doit s'élever isolé et intact un bâtiment nouveau. C'est ainsi que la chose se pratique même pour les cheminées à vapeur, ainsi qu'on la pratiquait jadis pour construire et réparer les cathédrales, et nous trouvons dans nos manuscrits et registres aux comptes les noms des chapelles absidales d'Amiens dont les voûtes endommagées ont été rétablies sans que les poutres d'échafauds aient été aucunement appuyées sur les parois, colonnes ou contreforts.

On n'y regarde plus de si près aujourd'hui. Les échafaudages volants sont plus économiques. Au jour fixé pour commencer les travaux, une escouade de manœuvres est là, portant quelques perches, quelques soliveaux, quelques planches. Les voici qui, pour accrocher et suspendre en l'air ce frèle et parcimonieux appareil, se prennent à entailler à grands coups de maillets et à grands efforts d'instruments de fer les flancs de l'édifice, à le cribler d'autant de trous qu'il y a de pièces de bois à y engager pour établir un plancher. Nous avons vu attaquer de la sorte et briser les plus belles mou

lures, lacérer les parements de murailles les plus apparents, déshonorer par de hideuses et inutiles trouées des pierres de plus d'un mètre cube et jusques-là inviolées ; des contreforts vierges aussi ont été traversés de part en part et par conséquent affaiblis et défigurés pour recevoir les énormes poutres destinées elles-mêmes à porter, pour quelques semaines seulement, les échafaudages. Le travail terminé et cette partie du monument recrépie tellement qu'ellement, on passe à une autre, et puis à une autre, et puis partout, prenant soin de reboucher les trous avec de petits morceaux de pierre qui ne prennent jamais la nuance de la pierre principale et dont le joint se creuse et se dessine bientôt à la pluie, de manière que le passage des maçons est marqué sur le monument par ces sortes de piqûres tout-à-fait comme celui des vers sur un beau meuble.

Cette inconcevable manière de procéder ne date pas, il est vrai, d'aujourd'hui, mais elle ne remonte pas bien haut non plus dans le passé. Il faut, je crois, lui assigner pour origine, à Amiens, la faute qui fut commise entre beaucoup d'autres au siècle dernier, de supprimer l'échafaudage en assemblage, qui demeurait constamment remisé, pour être monté à volonté, selon les besoins du monument.

Ce tort indique de lui-même la manière dont on aurait dû, dont on doit le réparer. Quand un édifice doit coûter un million ou un million et demi de travaux de consolidation, quand, par sa nature et par son âge, il doit exiger des travaux d'entretien continuel, quoique de moindre importance, les premiers frais à faire sont ceux d'un appareil d'échafaudage permanent et d'un lieu pour en serrer les différentes pièces, lorsqu'on ne s'en sert pas. Cette dépense, si elle avait été faite il y a quinze ans, lorsqu'on commença les travaux de la cathédrale, n'aurait pas certainement approché de celles qu'ont occasionnées tous les échafaudages

volants qu'on a faits, défaits, refaits, brisés, usés depuis cette époque. Cette dépense, si on la faisait maintenant, économiserait encore, sur l'avenir des travaux à exécuter, et épargnerait les déshonorantes mutilations que je viens de signaler.

Passons aux restaurations de sculpture.

Si les fautes ont des conséquences graves lorsqu'elles portent sur la partie architecturale des monuments, elles en entraînent de plus irréparables encore en ce qui concerne l'historiation. L'architecture est le corps da monument, l'historiation en est la vie et la parole.

L'historiation dans nos édifices sacrés se produit en peinture sur murs et sur vitres et en sculpture sur pierre, sur bois et sur métaux. Cette dernière manière a été souvent réhaussée elle-même par l'éclat de l'or et de vives enluminures. Tout parlait, tout enseignait jadis dans la maison sainte; pas une de ses parties, au dehors comme au dedans, qui ne fût l'écho de la voix des prêtres, des docteurs, des apôtres, de Jésus-Christ, de Dieu.

Plus tard le pinceau a fait parler aussi la toile. La peinture sur toile eût été un moyen d'historiation aussi bon, meilleur peut-être que d'autres, s'il eut été bien employé. Il arrivait en même-temps que le perfectionnement d'un art qui pouvait ajouter à la vie de nos églises. Malheureusement la décadence du goût religieux arrivait avec lui. Les tableaux introduits au XVI. siècle furent en désaccord de conception, de composition et de style avec tout ce qui les entourait; et toute restauration de monument gothique devrait commencer aujourd'hui par la suppression de la plupart des peintures sur toile. Celles qu'on y conserverait aussi bien que celles qu'on essaie d'y inaugurer encore en considération de leur mérite intrinsèque y jueront toujours avec le reste, à moins que l'on ne se décide à chercher, pour les anciennes, des cadres et des

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