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M. Bouthors pense que l'étude et la publication des anciens Pouillés pourraient être d'un grand intérêt et d'une grande importance pour le progrès de la science archéologique. Ces documents seraient certainement d'un secours efficace pour retrouver les anciennes divisions territoriales, leurs rapports mutuels de commerce, d'industrie et de jurisprudence, les droits et juridiction des évêques, des abbés, des paroisses et des seigneurs en même temps que certains faits d'histoire locale oubliés ou dénaturés par les traditions populaires.

M. Bouthors signale, pour le diocèse d'Amiens, un pouillé de 1302 dont la Société des Antiquaires de Picardie s'est déjà occupée et qu'elle a intention de publier dans ses mémoires.

M. de Caumont en cite plusieurs autres et donne des détails sur celui de Bayeux, de la fin du XIII. siècle, et celui de Coutances, sous l'évêque Jean d'Essey.

Il en existe assurément encore beaucoup d'autres sur lesquels il ne s'agit que d'attirer l'attention des hommes de recherches et d'étude.

MM. Dermigny, pour l'arrondissement de Péronne et Guérard, pour Amiens, donnent des détails de topographie ancienne et citent des faits qui témoignent de l'utilité des Pouilles pour les éclaircir.

M. Bouthors voudrait qu'on fit des recherches simultanées dans toutes les municipalités sur leur origine et leur organisation, à des époques plus ou moins reculées.

Une étude dont on ne s'est pas encore assez sérieusement occupé, selon M. de Caumont, est celle des industries locales, de leur origine relativement à l'art, de leurs progrès et de leurs phases diverses, de l'importation et de l'exportation des procédés, inventions et perfectionnements. Le directeur de la Société française recommande en particulier les re

cherches sur les tissus, soit étrangers, soit nationaux, et surtout sur les tissus historiés.

La discussion est amenée ensuite sur le mérite relatif des vitraux peints anciens et des vitraux modernes.

M. Jourdain pense que cette question doit être considérée sous deux points de vue au point de vue iconographique et au point de vue artistique.

Personne, dit M. Jourdain, ne révoque en doute la supériorité des vitraux anciens sur les essais modernes, au premier rapport. En vitrerie, comme en sculpture et en peinture, la science de l'historiation n'a fait que décheoir à mesure que l'imprimerie lui a laissé moins d'importance comme moyen d'enseignement populaire, à mesure aussi que, peuple et artistes ont perdu de cette connaissance à la fois doctrinale et précise, simple et naïve des choses de la foi qui caractérisèrent le moyen-âge. Ajoutons cependant que cette déchéance n'est pas sans remède, pas du moins sans compensation.

L'historiation religieuse des vitraux ne sera jamais celle d'il y a quatre ou cinq cents ans; elle pourra être belle et savante encore. Nous ne citerons pour exemple, en attendant mieux, que celle de la nouvelle église de St.Vincent-de-Paul, de Paris, où nous avons aimé à voir la grande image des saints posés en pied au centre de la vitre, et, autour d'eux, leurs actes se détacher sur le reste du champ lumineux et les enfermer dans une grande et étincelante couronne.

Considérant les vitres enluminées au point de vue artistique, M. Jourdain ne se déclare pas, non plus qu'au point de vue iconographique, l'admirateur exclusif du passé. Ce qu'il a vu à Eu et à Paris et dans quelques ateliers de vitrerie l'oblige à dire qu'on fait déjà de belles choses, qu'on fait bien et qu'avec de la patience à étudier, et de

la docilité à recevoir les inspirations de l'opinion, on fera peut-être un jour aussi bien que les anciens; c'est-à-dire qu'on a fait du chemin, mais que le but n'est pas encore atteint. Le but qu'on cherche, dont on approche, c'est une bonne et vigoureuse coloration; le but, celui qu'on cherche aussi, mais dont on s'éloigne au lieu d'en approcher, c'est la disposition des teintes, surtout pour les figures. On veut les animer comme sur la toile et on en détruit tout l'effet. Le peintre verrier et le peintre sur toile ne peuvent pas être le même homme, ou bien, ce même homme doit avoir deux talents bien distincts. Les demi teintes et les dégradations de couleurs n'étaient pas connues des verriers du XIIIe siècle; si ceux d'à présent veulent tenir cas de ce progrès artistique, il faut qu'ils distinguent, plus qu'ils ne font, entre les nappes transparentes de nos vitres et les toiles opaques des galeries de tableaux; car tandis que nos vieux saints scintillent comme une lumière d'étoiles aux verrières de Chartres et de Bourges, saint Philippe et sainte Adelaïde sont comme de vraies nébuleuses dans la vitre royale de l'église d'Eu. Ces défauts tiennent aussi, je ne dis pas à l'imperfection du dessin, mais au contraire à trop de recherche dans les détails. Les anciens s'appliquaient à saisir et à rendre le caractère général de leurs personnages et l'ensemble de la physionomie des faits. La simplicité des traits, la vivacité des couleurs, le tranché de leurs nuances produisaient des effets plus nets, plus sommaires, plus solennels et plus sentis.

La plus difficile à remplir de ces conditions des anciens vitraux n'est pas la composition des couleurs. On a certainement retrouvé les éléments qui doivent faire de belles pâtes. Ce qu'on n'a pas encore retrouvé, le vrai secret, c'est le sens chrétien, c'est l'inspiration en vertu desquels Dieu, la Vierge, les Saints, un sujet religieux, sont compris, dessinés,

peints comme ils le sont dans la bible et dans la légende et non comme nous les voyons dans les romans et au théâtre. Cette condition essentielle, fondamentale, tient aux mœurs publiques, à l'éducation artistique de notre époque; l'éducation artistique ne se rattachant à la religion que par l'étude imparfaite et superficielle des formes et non par la méditation profonde et l'amour sincère des sentiments et des pensées de nos pères croyants, ne peut produir que de vaines imitations et des efforts inefficaces. En attendant toutefois que ces efforts obtiennent quelque succès en devenant plus sérieux, et qu'i s nous ramènent le vrai, il est bon et louable de les encourager. Rien n'empêche que l'on ne continue à s'essayer, que l'on ne fasse quelques vitres là où il n'y en a pas dans les édifices du second ordre; mais nous ne saurions trop nous élever contre la pensée de restaurer les anciennes. Vouloir toucher à des monuments aussi fragiles, c'est aggraver leur état de caducité. Le seul et le meilleur service qu'on doive leur rendre est de les soutenir pour les empêcher de tomber et pour leur donner le temps d'attendre le retour de la science et du goût.

A propos de restauration de vitraux, M. Jourdain s'engage dans des réflexions de même nature sur les restaurations de maçonnerie et de sculptures qui s'exécutent depuis plusieurs années dans les grandes églises gothiques. Il a visité presque toutes les belles cathédrales de France, il revient de Bourges, il habite Amiens, il a suivi et étudié longuement, avec attention et avec sang-froid la question sur laquelle il demande la permission de dire son avis, mais son avis tout personnel et très-réfragable.

Parlant d'abord de la maçonnerie, l'honorable membre pense qu'il est du devoir de tous les siècles héritiers des siècles antérieurs, de lutter par un sage et continuel entretien contre l'action infatigable du temps qui s'attache aux

plus puissantes œuvres des hommes pour les ruiner incessamment. Mais, ajoute-t-il, à la suite de commotions politiques et religieuses qui ont ébranlé tout ce qu'elles n'ont pas ruiné de fond-en-comble et après cinquante ans d'abandon et d'incurie qui n'ont fait que mettre de plus en plus en péril l'existence des édifices anciens, ce n'est plus seulement d'entretien, mais encore de véritables réparations qu'il s'agit de s'occuper si l'on ne veut pas voir disparaître les derniers débris de la gloire monumentale de la France.

Et par réparations, il ne faut pas seulement entendre ici les travaux de pure consolidation.

Quand il est question de remettre une pierre, mille pierres aux flancs d'une tour, aux reins d'un contrefort, aux nervures et aux tiercerons d'une voûte, il ne faut pas beaucoup plus de temps, d'argent ni d'étude, pour donner à ces matériaux les formes architecturales de l'édifice dans lequel ils doivent entrer.

Pas beaucoup plus de temps ni d'argent, cela va sans dire, et, dans tous les cas, cela se trouve toujours sous un gouvernement qui a aussi bonne volonté que le nôtre. Mais, pas beaucoup plus d'étude, ce n'est pas l'avis de tout le monde: c'est celui de M. Jourdain. Il ne voit pas que l'architecte le plus ordinaire ne puisse raccorder une corniche ou un parement de muraille, voire même les grandes frises à simples feuilles entablées et les clochetons hérissés de crochets et de choux. Copier, pour les parties à reproduire, les parties anciennes et demeurées intactes, tout se réduit là dans l'étude et le travail de l'architecte.

Un simple maçon d'Amiens a fait tout cela et très-bien. Il a fait plus que tout cela, il a reconstruit en entier des contreforts déjà reconstruits il y a trente ans, mais rétablis alors dans le style le plus bizarre et le plus monstrueux qu'il soit possible d'imaginer. Pour réparer ces hideuses restaurations,

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