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le zèle appelé à les combattre, au nom de la religion, de la patrie et de l'art, ne peut trop multiplier ses moyens de défense. Le cours de la civilisation moderne a amené des habitudes nouvelles, partout, et jusque dans les antiques monuments consacrés à la prière publique, auxquels il demande, dans l'intérêt même de leur sainte destination, plus de clarté. Le premier régulateur de l'art chrétien, c'est la piété des fidèles, et cet art ne doit rien négliger de ce qu'elle lui demande, afin de s'élever plus spontanément jusqu'à Dieu. Je ne crains pas, à cette occasion, d'appeler de votre part, messieurs, un regard attentif sur une importante modification, apportée dans une belle et ancienne église de l'arrondissement, celle de Jort, où le grand autel a été déplacé, et refait sur un dessin approprié à sa nouvelle position; le tout, avec un avantage pour la célébration des offices et l'édification de la paroisse.

« L'effet religieux, l'unité dans l'ensemble et dans les détails, telles sont les deux conditions principales pour tous les travaux à faire dans les monuments sacrés; nous devons tous, selon le degré de notre intervention directe ou officieuse, concourir à l'accomplissement de ce devoir compris aujourd'hui par la conscience publique, facilité par la haute direction gouvernementale, et éclairé par l'enseignement que les plus éminents prélais de France ont eux-mêmes donné ou fondé. Dans cette vaste et délicate combinaison de l'ornementation des églises, il faut satisfaire à tant d'exigeances du culte, de la science et de l'art, que, pour tout homme de cœur et de sens engagé là par une part quelconque de responsabilité, la Société française doit être un précieux guide et un auxiliaire bien venu.

Toute cette question nous rattache et nous ramène, par une marche naturelle, à une sérieuse étude, et à une intelligente appréciation du moyen-âge, et je ne crains pas

d'ajouter, à une sympathie reconnaissante pour cette grande époque de notre histoire, sympathie qui s'accorde très-bien avec un sentiment de prédilection et de faveur pour notre moderne et bienfaisante civilisation. Le moyen-âge, comme toutes les époques historiques sillonnées par de fortes passions, a commis de grandes ou coupables fautes qu'il a expiées, non-seulement par des châtiments communs à la vie de l'humanité, mais, et c'est là ce qui le distingue, par de magnifiques fondations léguées à l'avenir. Quand il faisait du mal, il en souffrait, en souffrait seul, et offrait à nous, sa postérité, des biens, en compensation devant Dieu.

« Messieurs, les temples et les palais qui, dans notre capitale de la Basse-Normandie, forment autour du Collége royal et de l'Hôtel-Dieu, les plus belles fondations peut-être que la France entière ait pu consacrer à l'éducation publique et à la charité municipale: Eh bien ! ils proviennent d'œuvres d'expiation, fondées au moyen-âge par nos princes normands, et qui nous font profit et gloire.

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Quand un monument, plus noble et plus utile encore, fut élevé sous le dernier de leurs successeurs, et bien moins par lui que malgré lui, sous la dictée des Normands, guerriers et clercs, quand la grande charte fut donnée au pays qu'ils avaient conquis, il fut solennellement reconnu et déclaré que ce code de franchises et de libertés, était, comme l'avaient été les églises, les monastères, fondé et légué aux siècles futurs comme un moyen de pardon et de sanctification.

« Le caractère spécial qui dictait ces manifestations du moyen-âge, c'était le spiritualisme; c'est ce caractère, fidèle inspiration du christianisme, qui forme le cachet spécial et distinctif imprimé à des monuments où nous ne devons pas aller l'effacer de nos propres mains; or, c'est précisément le méfait que nous, chrétiens du XIX. siècle, nous voyons et

laissons commettre, depuis quelque temps, dans nos paroisses de Bayeux et de Séez, par la rénovation infligée aux clochers.

« Messieurs, si cette expression : l'amour du clocher est commune et répandue partout, elle peut révéler un sentiment plus naturel et plus intime là où les clochers sont par leur forme plus dignes d'admiration et d'amour; et il est assez simple que celui d'entre vous qui a pu voir le plus d'autres constructions analogues, qui a pu examiner les tours massives du Nord, les campaniles bariolés de l'Italie, les pinacles tronqués de l'Espagne, et les grêles minarets de l'Orient, ait toujours tourné un regard d'orgueil et de prédilection vers les clochers, absents alors pour lui, des plaines de Falaise et de Caen, vers ces légères pyramides qui, d'un simple pied-droit ou du toit même de l'édifice, s'élancent vers le ciel, pures de dessin, nettes de coupe, droites de forme, et dont la tendance aérienne semble une émanation simultanée de l'art et de la foi. Quand ces flèches qui décorent si bien notre ciel, s'en détachent avec ce caractère grandiose et majestueux que nous admirons à Rouvres, ne semblent-elles pas s'élever pour porter à Dieu la prière des fidèles réunis à leurs pieds, ne semblentelles pas, pour ainsi dire, avoir stéréotypé cette prière sur leurs caractères découpés à jour, ne semblent-elles pas nous convier tous à répéter ces paroles de notre sainte lithurgie Sursum corda?

Eh bien, Messieurs, plus d'une ancienne église de nos environs se trouve avoir été, dans ces derniers temps, flanquée d'une tour conçue dans un style tout-à-fait opposé, dans un style non plus pyramidal ou conique, et à tendance aérienne, mais dans un style horizontal, et à compartiments parallèlement superposés, en écrasant ainsi le temple de Dieu sous le poids de la forme matérielle et matérialiste du paganisme.

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direction sublime. Le service qu'ainsi nous lui rendrons, il saura nous en récompenser: notre fidélité à faire prévaloir son esprit nous assurera en lui un précieux auxiliaire pour fortifier la position sociale qui convient à des représentants et amis de la civilisation chrétienne; ils doivent tenir à rester élevés au-dessus du niveau d'un siècle que les observateurs moralistes signalent comme s'affaissant, par une attraction égale, vers les soins matériels et les délassements frivoles.

« Pour régulariser l'action salutaire que cherche à nous imprimer la Société française, nous avons tous à mesurer la portée qu'elle doit avoir parmi nous, et à énumérer les monuments sur lesquels elle appelle plus particulièrement nos soins; ici encore nous avons un avantage local d'un véritable prix; nous possédons une Statistique, monument modeste et utile, malheureusement inachevé ; la plume habile et chaleureuse (1) à laquelle nous le devons s'est séchée avant le temps, mais non sans avoir fait naître, pour ses travaux d'archéologie et de nationalité normandes, ces honorables sympathies qu'il est doux de ressentir, et flatteur d'inspirer, aux époques de dissentiments civils.

Messieurs, l'autorité centrale donne à notre œuvre commune le meilleur exemple possible, par son active sollicitude pour le plus beau de nos monuments civils, pour celui qui domine notre cité grâces à la majesté réunie du site, des constructions et des souvenirs. Elle honore le berceau du Prince dont la mémoire rayonne sur Falaise et l'entoure d'une auréole brillante entre toutes les cités normandes et européennes. Guillaume résume son siècle, parce qu'il en était l'homme, et qu'il en avait le génie. Son mot familier par la splendeur de Dieu, révèle à quelle hauteur se tenait son âme; le monument que vous lui destinez, ne

(1) Feu M. Galeron.

sera point un anachronisme, ne sera point du moyen-âge paganisé. Il sera digne de personnifier en Guillaume l'époque à laquelle le nôtre vient demander aujourd'hui des modèles et des inspirations que les deux ou trois siècles précédents allaient emprunter aux Grecs ou aux Romains. »

Cet éloquent discours, rempli des plus belles pensées et de cette poésie chrétienne, dont M. de Beaurepaire sait parfumer tous ses écrits, excite au plus haut point l'intérêt et la sympathie de l'assemblée.

M. de Caumont, prenant ensuite la parole, trace rapidement l'histoire de la Société française. Il rappelle que ce fut en 1830, et sous ses auspices, qu'elle prit naissance et qu'elle s'accrut, avec le secours de quelques archéologues de Normandie, de la Saintonge et du Poitou. Bientôt les comités historiques vinrent seconder ses efforts; le clergé accourut à son aide, et aujourd'hui trente-deux cours d'archéologie se professent dans la France. Ce résultat obtenu en peu d'années et sous l'influence de la Société, mérite d'être enregistré dans ses Annales. Après avoir accordé un éloge bien mérité aux importants travaux de la Société académique, agricole et industrielle de la ville de Falaise, il rappelle, en terminant, que l'usage de la Société française est d'accorder, partout où elle tient ses séances, quelques fonds destinés à la réparation des monuments qui, par leur mérite architectonique et leur mauvais état de conservation, doivent plus particulièrement attirer sa sollicitude. Mais il observe en même temps que la modique somme dont peut disposer la Société étant insuffisante pour être employée avec fruit à la consolidation de vastes monuments, ne sera applicable qu'à ceux qui se trouveraient en-dehors de Falaise, proposant de présenter au ministère une pétition, signée par les membres présents, dans le but d'obtenir des secours plus

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