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Professeur d'archéologie et de géologie au grand séminaire de Langres, membre de la Société française pour la conservation des Monuments.

BASILIQUE DE SAINT-GEOSMES.

Le premier monument religieux que nous rencontrons au sortir de Langres sur la route de Dijon, c'est l'illustre et vieille basilique de St.-Geôsmes.

La consécration des souvenirs et du sang de trois frères martyrisés, dans le premier âge du christianisme, le mystère d'une crypte dont la nuit des temps voile l'origine, la majesté de l'art gothique, à sa période primitive, environnent d'une auréole glorieuse cette église bien chère à l'artiste chrétien.

Elle se rattache à Autun par les liens d'une antique et sainte

parenté. Faustus, préteur de cette ville célèbre, ayant reçu la foi, ainsi que Symphorien son fils, des apôtres saint Bénigne et saint Andoche, se souvint de sa sœur Léonille et leur dit : « J'ai ma sœur Léonille, illustre dame qui habite la ville de Langres son fils lui a laissé trois enfants jumeaux, instruits dans les sciences et les belles-lettres, mais par suite de l'éducation paternelle, vivant encore dans les ténèbres du paganisme; leur aïeule qui leur tient lieu de mère désire les voir enrôlés sous l'étendard de Jésus-Christ. O saints prêtres, allez donc au secours de sa piété, ajoutez cette gloire nouvelle à la gloire que déjà vous avez donnée à notre noble famille » (1).

Bénigne partit seul et accomplit sa mission, aidé de sainte Léonille; ensuite il alla recueillir, à Dijon, la palme du martyre. Speusippe, Mélasippe, Eléosippe, ses disciples fidèles, confessèrent bientôt le nom de Jésus-Christ en face des bourreaux payens; ils souffrirent la dislocation et furent jetés dans une fournaise dont Dieu éteignit les ardeurs. Au milieu des flammes, on les entendit chanter ses louanges. Quand le brâsier fut éteint, ils s'agenouillèrent et leurs âmes s'envolèrent au paradis, abandonnant leurs corps entièrement préservés de l'atteinte du feu.

« Leurs corps, dit Warnahaire, furent transportés et ensevelis par les chrétiens à deux milles de la ville de Langres, dans un village appelé Urbatus, à la jonction de deux grandes voies auxquelles en aboutissent d'autres de différents côtés : de telle sorte que la facilité de s'y transporter et de satisfaire sa dévotion y amène une affluence considérable de peuples... Leur basilique devient de jour en jour plus ornée, et la dévotion des fidèles l'enrichit chaque jour de nouveaux dons.

(1) Chronique de Warnahaire. Trad. de M. Favrel, curé de SaintGeôsmes.

Jusqu'en 1731, on fit, dans le diocèse, l'office anniversaire de la dédicace de cette basilique qui eut lieu vers l'an 400. Elle n'a laissé aucune trace autre que son souvenir et celui des miracles qui s'opéraient au tombeau qu'elle posséda. Au commencement du VIII. siècle, il s'y passa un évé– nement mémorable. Saint Céolfride, abbé de Vermutheuse, se rendant à Rome avec une troupe de moines, mourut près de Langres et fut enterré à Saint-Geôsmes. C'est le vénérable Bede lui-même qui rapporte ce fait; il était du nombre des pélerins : « Obiit 7o. calendarum octobrium, die.. anno ab « inc. Dom. 716, feriâ sextâ post horam nonam in pratis « memoratæ civitatis (Langres) sepultus in crastinum ad « austrum ejusdem civitatis milliario secundo (aujourd'hui « ce serait tertio) in monasterio Geminorum adstante et psal« mas resonante non parvó exercitu tàm Anglorum qui cum « eo advenerant quàm monasterii ejusdem vel civitatis inco« larum. »

Il y avait donc déjà des religieux qui veillaient sur le dépôt des précieuses reliques. Il fut confié successivement à des chanoines réguliers, à des Bénédictins, à des Augustins.

En 830, Albéric, 35. évêque de Langres, fit rebâtir les anciens édifices qui tombaient en ruines. Mais bien que nul document historique ne parle de construction postérieure, il est évident que l'église actuelle fut élevée vers le commencement du XIII. siècle. Je l'esquisse à grands traits.

C'est une vaste nef avec deux petits croisillons. L'abside décrit un hémicycle à sept pans coupés. Les fenêtres se forment de longues lancettes géminées et encadrées dans une ogive; à l'extérieur elles ont un tore en archivolte cintrée. Les piliers sont dissimulés par des colonnettes légères dont les chapiteaux se décorent de crochets terminés en fleurons ou en têtes qui tirent la langue, ricanent et grincent des dents. Les clefs de voûte sont sculptées, spécialement celles de la travée

du transept qui montrent une branche de vigne et une tête d'homme. Les arceaux sont faits d'une simple nervure prismatique. Plusieurs ont fléchi; on les a rétablis en bois ; le mur du midi perd son aplomb par la poussée des voûtes dont on a difficilement conjuré la chute.

La nef spacieuse, grandiôse même, a perdu, dit-on, le tiers de sa longueur qui n'est plus que de 39m., elle en a plus de 10 en largeur. L'ancien portail a donc été détruit. Le sieur du Molinet, seigneur du Rosoy, à la fin du XVII. siècle, n'hésite pas à proclamer que sa tour et son aiguille était d'une maçonnerie incomparable et la plus belle de toute la France; nous croyons du moins qu'il ne faut pas leur préférer le portail froid et lourd du XVIII". siècle.

Descendons maintenant dans la crypte ténébreuse qui saisit l'âme d'un saint respect et d'une émotion qu'on ne peut ni vaincre ni définir. 16 colonnes monocylindriques en calcaire grossier portent les voûtes d'arêtes de trois nefs, y compris base et chapiteau: elles sont hautes de 2. 7. ; la hauteur sous clef du caveau est de 2o. 53, et la largeur totale de 6". 27o. Mais il s'en faut qu'on le voie dans sa longueur. Des remblais en cachent une partie et même, en les écartant, on aperçoit la ligne des colonnes qui se poursuit dans la direction du chœur. Peut-être s'étend-elle jusqu'à lui; elle comprendrait alors la moitié de l'église. On se souvient dans le village que pendant la révolution, alors que suivant le langage brutal des impies, la ci-devant église était devenue l'hôpital Geôsmes, il y avait là des latrines !

Quant à l'âge de la crypte, nous n'osons pas avoir une opinion, toutefois en considérant le travail incorrect des chapiteaux dont la corbeille presque cubique se garnit de mauvaises moulures en volute, de feuilles ébauchées à peine, de têtes d'animaux mal sculptées, nous sommes persuadés qu'elle remonte à un temps plus reculé que la basilique. Elle est

exactement dans le lieu assigné par Warnahaire comme celui de la sépulture des saints Jumeaux, à la bifurcation de la voie romaine de Langres, vers Lyon et vers Autun.

Si l'on voulait entrer dans quelques détails sur l'intérieur de l'église, on noterait une belle piscine à gauche du maîtreautel. Les deux cuvettes sont abritées par trois ogives aiguës délicatement travaillées. Le fond est tapissé de sculptures en relief où les lignes d'un dessin capricieux se mêlent, se croisent et égarent les yeux qui veulent les suivre.

Dans le pavé de la sacristie sont deux pierres tombales du XIVe siècle où l'on voit gravés deux religieux, la tête rasée, en habit monacal, au milieu de l'encadrement bien connu de cette époque; voici les inscriptions:

CI GIT AMIATE DE CHASOYQ¦ TRÉPAS¦ A¦ LA·: DE GCE M CCC XXXII... JOUR DE HOST PRIEZ:

POUR LI.

(Ci gît Amiate de Chasoy qui trépassa en l'an de grâce 1332... jour d'août priez pour lui).

FOR

HIC JACET DNS HUGO DE FONTEROMANO POR: SANT : TERGEMINOR QI: OBIIT II YDUS: FEBRUARII: ANNO DNI: M CCC LX XI REQUIESCAT: IN PACE : AME-.

(Hic Jacet dominus Hugo de Fonteromano, prior sanctorum Tergeminorum qui obiit secundo idus, etc.. 1371).

Le cloître dont on voit l'empreinte au côté méridional de l'église a été détruit vers l'an 1233, Guillaume étant prieur du monastère de Saint-Symphorien à Autun, et Renaud de celui de Saint-Geôsmes, il s'établit entre les deux maisons une union vraiment remarquable et fondée sur les relations primitives des deux pays. Saint Geôsmes éleva un autel à saint Symphorien et l'on fit de part et d'autre les conventions sui

vantes :

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