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AVANT-PROPOS.

Ce livre est principalement destiné à servir de Guide aux voyageurs instruits, aux amis de l'art national et chrétien qui viennent visiter la magnifique CATHÉDRALE de Chartres.

Il s'est trouvé des poètes pour en chanter la splendeur et la majesté, de nombreux historiens pour en dire les origines, des artistes pour en buriner les beautés. Mais, chose étonnante, il ne s'est pas encore rencontré un archéologue qui en ait fait une description exacte et complète.

Il est vrai que le Gouvernement, comprenant toute l'importance de la Cathédrale de Chartres pour la gloire de l'art national, a chargé trois hommes de talent d'en faire la MONOGRAPHIE. Mais ce magnifique ouvrage, digne du monument dont il redira l'histoire et la riche ornementation, n'avance qu'avec une lenteur désespérante. Quatre livraisons de planches seulement ont paru, et voilà dix ans qu'il est commencé! De sorte qu'à en juger par la lenteur du début, la Monographie ne sera guère terminée avant vingt-cinq ou trente ans. Du reste elle formera un ouvrage grand in-folio et de haut prix (300 fr.), qui ne pourra trouver place que dans la bibliothèque du riche et du savant.

En attendant, nous avons voulu essayer de décrire de notre mieux le superbe édifice, gloire de notre province; et, pour atteindre ce but, nous pouvons dire que nous n'avons rien

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négligé, que nous n'avons reculé devant aucune recherche, quelque longue et laborieuse qu'elle pût être. Afin d'être plus exact dans nos descriptions iconographiques, nous nous sommes hissé à toutes les hauteurs pour palper de nos yeux et de nos mains toutes les statues et statuettes : nous n'avons pas voulu nous contenter de ce que nous découvrions même au moyen d'excellentes lunettes.

Mais comme nous ne voulons que servir de guide, nous avons dû nous borner à une très-brève description, à une espèce de table analytique des matières. Nous avons laissé de côté les détails historiques, les remarques liturgiques et iconographiques, les preuves et les motifs de nos interprétations, que nous aurions pu accumuler jusqu'à en former deux gros volumes in-4°. A cause de notre brièveté, nous ne serons peut-être pas toujours compris; car aujourd'hui les traditions symboliques et légendaires du christianisme ont si complétement disparu, que pour expliquer les œuvres du Moyen-Age, il faut des dissertations archéologiques, à peu près comme pour l'inscription de Rosette et le zodiaque de Dendérah; aujourd'hui on a oublié l'enseignement ecclésiastique qui animait les artistes et les peuples du Moyen-Age; nous sommes loin du temps où les grandes dames de France parlaient le latin et lisaient les saints Pères 1, et où les gagneurs de batailles suivaient sans sourciller les thèses

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1 Nous pourrions citer un grand nombre de ces nobles dames du XIIIe siècle; mais nous nous contentons de nommer ici la princesse Isabelle de France, sœur de saint Louis, laquelle entendait moult bien le latin, et l'entendait si bien que quand les chapelains ly » avaient écrites ses lettres qu'elle faisait faire en latin, elle les amendait quand il y avait aucun faux mot.» (Voyez Thomassin, Discipline de l'Église, part. I, liv. II, ch. 87.)

théologiques de la Sorbonne. Mais si pour le moment le défaut d'espace nous empêche de donner à notre interprétation une valeur historique et tous les développements nécessaires, nous espérons toutefois le faire quelque jour. Notre dessein est de publier une Monographie générale de notre incomparable basilique; peut-être ferons-nous paraître dès l'année prochaine le premier volume qui contiendra la description complète et comparée des verrières peintes.

Pour la partie descriptive et iconographique de notre livre, nous n'avons été aidé que par quelques articles souvent inexacts de M. Didron, publiés dans ses Annales archéologiques. Mais pour la partie historique, les secours ne nous ont pas manqué; nous avons abondamment puisé dans les travaux de nos devanciers; nous citerons entre autres : 1o La Notice historique sur la sonnerie de l'église cathédrale de Chartres; 2° Les Sinistres de la Cathédrale, par M. Lejeune; 3o Les Notes insérées par M. Benoit, dans l'Annuaire du département d'Eure-etLoir, années 1844 et 1845; 4° Les savantes Recherches de MM. Rossard de Mianville et Chasles, publiées à la fin du Poème des Miracles.

La description d'une cathédrale serait bien sèche et bien aride si l'on n'y mêlait pas, comme un parfum, les souvenirs et les espérances de la religion. Nous avons donc tenté de retracer, avec réserve toutefois, les idées mystiques qui inspiraient les pieux artistes du Moyen-Age. Pour cette partie de notre travail, nous nous sommes servis des savantes et admirables publications des PP. Cahier et Martin, et des ouvrages de M. l'abbé Bourrassé, en particulier de celui intitulé: Du symbolisme dans les églises du Moyen-Age.

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Nous avons cru devoir ajouter à la fin de notre travail sur la Cathédrale, une courte notice sur chacune des trois autres églises de Chartres ces églises méritent d'être visitées par les archéologues et les curieux.

En terminant cet avant-propos, nous réclamerons l'indulgence de nos lecteurs. Malgré tous nos soins et toute notre attention, bien des erreurs déparent sans doute notre ouvrage : nous accueillerons avec reconnaissance toutes les observations critiques que l'on daignera nous faire. Il aurait fallu un langage plus pompeux, plus abondant, plus riche que le nôtre pour exprimer convenablement toutes les beautés mystérieuses, toutes les splendides merveilles qu'offre la Cathédrale. Nous reconnaissons que notre érudition est trop novice pour redire la vaste science biblique, théologique et agiographique qui a présidé à la facture de nos porches et de nos vitraux. Volontiers nous convenons, avec Monstrelet, que la matière de notre labeur requiert plus hault et subtil engin que le nôtre. Mais qu'on veuille bien ne regarder que notre bonne volonté !

Chartres, 1er mai 1850.

DE

LA CATHÉDRALE

DE CHARTRES.

CHAPITRE PREMIER.

HISTOIRE SOMMAIRE.

La Cathédrale de Chartres est un des rares édifices qui jouissent en France d'une renommée populaire. Il n'est personne qui n'ait entendu parler de sa vaste étendue, de sa belle statuaire, de sa riche clôture du chœur, de ses magnifiques vitraux, mais surtout de ses deux clochers; et qui n'ait associé son nom à ceux d'Amiens, de Reims et de Beauvais . Parmi les richesses archéologiques qui composent le trésor de l'art chrétien dans notre belle France, cette splendide Cathédrale est une des plus précieuses. On pourrait même la choisir comme l'expression la plus complète de la pensée chrétienne et artistique du Moyen-Age : cette pensée s'y montre en effet dans tous ses développements, dans toute sa majesté, dans toute sa magnificence. Il suffit de contempler ce chef-d'œuvre pour en comprendre la supériorité, et pour redire, avec le célèbre Visconti, garde du musée du Vatican Si l'on trouve ailleurs des parties plus belles, on ne trouve nulle part un si bel ensemble 2. Et

:

1 On sait que, dans le langage populaire, les clochers de Chartres, unis à la nef d'Amiens, au chœur de Beauvais et au portail de Reims, formeraient la plus belle cathédrale du monde.

2 Notice sur la sonnerie, page 1.

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