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Vierges folles, élégamment vêtues, cheveux flottants, tête couronnée de fleurs ou d'un étroit diadême; leur physionomie respire l'effronterie et l'impudeur; elles portent leurs lampes renversées et vides. A droite, les Vierges prudentes, au maintien modeste et chaste, la tête couverte d'un ample voile, tiennent leurs lampes droites; une flamme brillante s'en élève pour éclairer le retour de l'époux, qui est Jésus-Christ. La cinquième Vierge des deux catégories est placée au troisième cordon de la voussure, l'une à gauche et l'autre à droite.

Ce troisième cordon offre en outre la personnification des Vertus théologales et morales, foulant aux pieds les Vices contraires. Toutes ces Vertus, suivant un usage invariable au Moyen-Age, sont figurées par des femmes, parce qu'elles caressent et nourrissent l'homme tout à la fois 2; elles sont vêtues d'une longue robe, d'un manteau et d'un voile; chacune porte un attribut distinct qui la caractérise; aucune n'est ornée du nimbe 3. En commençant à gauche et en bas, on trouve 1° La Prudence ou Sagesse; elle tient dans sa main gauche un livre ouvert. A ses pieds, la Folie n'a pour vêtement qu'un morceau d'étoffe; elle est accroupie; dans la main gauche elle tient une lourde massue; de sa droite elle porte à la bouche une pierre. 2° La Justice; comme

la Thémis païenne, elle est armée du glaive, et sa main gauche tient une balance dont les bassins sont horizontaux; elle foule aux pieds l'Injustice aux cheveux flottants, à la tête couronnée de fleurs, et qui tient dans chaque main l'un des bassins de la balance. 3° La Force chrétienne est une femme vêtue d'une longue robe et d'une cotte de maille, comme un guerrier; sa main droite tient un glaive et sa gauche porte un lion. La Lâcheté est à ses pieds; c'est un soldat renversé par la peur, et qui abandonne

1 Voyez le Missel romain, au commun des Vierges.

Virtutes verò, dit Durand de Mende, in mulieris specie depinguntur, quia mulcent et nutriunt. (Rationale, lib. 1. C. 3.)

8 Les Vertus théologales et cardinales sont toujours nimbées, dit M. Didron: (Iconographie chrétienne, page 61.) Cependant aucune Vertu personnifiée ne porte nimbe parmi toutes les représentations de ce genre qui existent dans la Cathédrale de Chartres.

ses armes.

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4° La Chasteté porte sur le poignet deux oiseaux qu'elle caresse. Aux pieds de cette noble vertu, on voit la Luxure sous les traits d'une courtisane qui se découvre la poitrine. 5° La cinquième Vertu tient et caresse un oiseau; c'est l'Humilité. A ses pieds est l'Orgueil figuré par un homme que le démon renverse dans la poussière. 6° La Charité vient de se dépouiller de sa dernière tunique pour la donner à un pauvre presque nu; il ne reste à cette généreuse femme qu'un simple manteau pour vêtement. Elle foule aux pieds l'Avarice assise près d'un coffre-fort rempli de pièces d'or; son sein en regorge également. — 7° L'Espérance chrétienne regarde le ciel en joignant les mains; au-dessus de sa tête, une main divine émerge des nuages et tient une couronne. Le Désespoir est une femme qui se perce le sein avec une épée. 8° La dernière Vertu est la Foi; elle tient dans sa main droite un calice dans lequel elle reçoit le sang de l'Agneau placé sur l'autel; sa main gauche tenait une croix. A ses pieds est l'Infidélité, sous l'image de la Synagogue, femme aux cheveux flottants; ses yeux, suivant la coutume du Moyen-Age, sont couverts d'un bandeau.

Le quatrième cordon est composé de douze statuettes fort élégantes, et représentant des reines vêtues de la robe traînante et du manteau; sur la tête elles ont une couronne de pierreries; toutes sont debout et prêtes à marcher; aucune ne porte le nimbe; elles ont des lambels où probablement étaient inscrits leurs noms. La première à gauche n'a pas de manteau, mais une simple tunique; ses bras et ses pieds sont nus. Les traits de la seconde expriment une profonde tristesse. La cinquième, la sixième, la septième et la huitième portent une croix hastée; les huit autres portent un sceptre royal. Ces reines symbolisent sans doute les douze Fruits du Saint-Esprit, qui ont orné Marie et qui, d'après saint Paul, sont la Charité, la Joie, la Paix, la Patience, la Longanimité, l'Humilité, la Bonté, la Douceur, la Fidélité, la Modestie, la Continence et la Chasteté 1.

Saint

1 Voyez la Somme de saint Thomas, 2e partie, quest. LXX. Thomas nous enseigne que les Vertus se divisent en Vertus proprement dites et en choses adjointes aux Vertus, c'est-à-dire les Beatitudes et les

Entre le quatrième et le cinquième cordon, il y a un large espace rempli par de petites arcatures et deux nervures qui retombent sur des statuettes: la première nervure tombe à gauche sur un cordonnier coupant son cuir, et à droite sur un moine lisant; la seconde a perdu ses deux statuettes.

Le cinquième cordon est fort curieux; il représente à gauche les travaux manuels, à droite les occupations de l'esprit ; ou bien, si l'on veut, c'est la Vie active et la Vie contemplative': cette double vie a été constamment celle de Marie. La Vie active est représentée sous les traits d'une femme assise, vêtue d'une double robe; sa tête est couverte d'une espèce de barette, coiffure des dames au Moyen-Age. Voici ses diverses occupations: 1o Elle lave la laine dans une cuve qui reçoit l'eau jaillissante d'un rocher. 2o Elle peigne la laine; les instruments dont elle se sert, sont encore employés aujourd'hui. 3° Elle tille le lin: après avoir pris une poignée de lin, elle l'a posée sur son genou et le brise avec un petit instrument. 4° Elle peigne le lin en le passant entre les dents d'un seran ou serançoir. 5° Elle file le lin ou la laine. 6o Elle met en écheveau le lin ou la laine filée; son dévidoir est encore employé dans la Picardie. Après avoir préparé le fil, la Vie active le met en œuvre en effet, sous ce cordon, il y avait avant 1793, une statue colossale adossée au pilier : c'est une femme qui coût, dit une description manuscrite des trois portiques de la Cathédrale de Chartres 2.

A droite, comme nous l'avons déjà dit, c'est la Vie contemplative; sa statue colossale qui était adossée au pilier et qui faisait le pen

Fruits du Saint-Esprit. Voyez sur tous ces points, dans la Somme, le traité de actibus humanis in universali.

1 Voyez, sur la Vie contemplative, un traité fort curieux dans la Somme de saint Thomas, 2a 2æ quest. 179–182.

2 Cette description est due à l'abbé Brillon, chanoine de Chartres; elle a été faite vers 1720 pour servir de notes au Père Montfaucon, qui travaillait alors à son ouvrage sur les Monuments de la Monarchie française. Le P. Montfaucon fut bien mal servi par son correspondant; car le manuscrit fourmille d'erreurs grossières; il peut cependant offrir quelques renseignements utiles. On le conserve à la Bibliothèque publique de Chartres.

dant de la Vie active, représentait une femme qui lisait'. Au-dessus de cette statue, et sur toute l'étendue de la voussure on voit la Vie contemplative, sous la figure d'une femme modestement vêtue, lire, prier, méditer, etc. 1° Elle tient un livre fermé sur le genou et se frappe la poitrine. 2° Elle va ouvrir le livre. 3° Elle lit dans le livre. 4° Elle a posé son livre sur le genou et joint les mains : elle prie. 5° Elle tient son livre dans la main gauche et sa droite. est levée elle enseigne. 6° Elle a de nouveau posé son livre sur les genoux et tient les mains jointes à la hauteur de la poitrine: elle prie et médite, dans une sorte d'extase : c'est le dernier degré de la Vie contemplative.

Enfin le sixième et dernier cordon se compose de quatorze statuettes représentant quatorze reines jeunes et gracieuses 2.

1 Voyez le Ms de l'abbé Brillon.

2 Ces Reines ont été honorées de deux mémoires fort intéressants, l'un écrit par M. Didron, l'autre par Mme Félicie d'Ayzac. M. Didron voit à tort dans ces reines la représentation allégorique des Vertus publiques ou sociales. Dans la description, il a commis plusieurs erreurs assez graves, il les fera disparaître, quand il réimprimera son premier travail dans la Monographie de la Cathédrale de Chartres, publiée par les ordres du gouvernement. Mme d'Ayzac a prouvé, sans réplique, en s'appuyant sur saint Anselme et les théologiens du moyen âge, que ces reines sont les Beatitudes célestes. Saint Anselme a consacré 24 chapitres de son Traité des similitudes, à décrire les quatorze Béatitudes et les quatorze Peines opposées: Voici le tableau indiquant le nom et l'ordre des Béatitudes et des Peines, d'après ce saint docteur. On peut voir aussi sur les Béatitudes le Miroir moral de Vincent de Beauvais, lib. II, p. iv, dist. 3 et 4.

CORPORIS.

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Beatitudines.

Pulchritudo.

Agilitas ou Velo

Miseriæ.
Turpitudo.
Ponderositas.

Beatitudines.
Sapientia.

ANIME.

Miseria.
Insipientia.

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toutes portent la robe et le manteau largement drapés, les cheveux flottants sur les épaules, la couronne et le nimbe; toutes ont la croix ou l'étendard; toutes s'appuient sur un bouclier où sont figurés les emblêmes qui caractérisent chacune d'elles. Toutes avaient leurs noms gravés dans la pierre; cinq noms sont aujourd'hui effacés. « Ces reines, dit madame d'Ayzac, ces reines au » front doux et fier, au port gracieux et noble, ne sont point les Vertus publiques, mais les Béatitudes célestes, c'est-à-dire les joies spirituelles et corporelles dont les Justes seront comblés, >> enivrés dans la vie future », et dont Marie, la titulaire du porche, est déjà pleinement en possession. Décrivons-les en peu de mots, en commençant par l'extrémité inférieure du côté gauche, reinontant au sommet de l'ogive, et descendant du côté droit jusqu'à l'autre extrémité du cordon. 1° La première Béatitude a perdu son nom; c'est sans doute la Beauté, Pulchritudo; sa main droite est brisée et tenait un étendard; sa gauche s'appuie sur un bouclier chargé de quatre roses épanouies. La console est ornée d'un rosier qui la tapisse de ses fleurs, de ses boutons et de ses feuilles. 2o La Liberté, LIBERTAS; sa main droite brisée portait un étendard; sa gauche est appuyée sur un bouclier armé en relief de deux couronnes royales. 3° L'Honneur, HONOR, porte deux mitres sur son bouclier; un étendard flottait à la main droite brisée. 4° La quatrième Béatitude a perdu son nom; l'emblême du bouclier est un ange sortant des nuages et portant un livre; elle tient une croix à la main droite. C'est sans doute la Joie céleste, Gaudium. 5° La cinquième statue peut s'appeler la sainte Volupté, Voluptas; sur son bouclier est un ange debout dans un nuage et portant l'encensoir; la tête est brisée avec une portion de l'étendard qu'elle tenait dans sa main droite. 6o Après la Volupté céleste, s'élance la Vélocité ou Agilité, VELOCITAS; sur son bouclier, trois flèches sifflent en abîme, comme disent les héraldistes; elle portait une croix hastée. 7° La Force, FORTITUDO, tenait une croix dans sa main droite brisée; sur son bouclier grimpe et rugit un lion. 8° Vient ensuite la Concorde, CONCORDIA, appuyant sa main droite sur un bouclier orné de deux couples de colombes adossées et se regardant avec douceur; dans sa gauche, elle tient la hampe d'une croix brisée aujourd'hui. 9° L'Amitié, AMICITIA, a un voile sous sa couronne et s'appuie sur un bouclier qui porte aussi quatre oiseaux affrontés; elle avait jadis

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