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l'on ajoutera volontiers avec Rouillard, qu'au seul aspect d'icelle, tous les Polyclètes du jadis jetteraient là leur cizeau, et tous les Vitruves du passé vouldraient prendre ce chef-d'œuvre, pour le modelle de leur architecture 1.

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« Quand on voit pour la première fois la Cathédrale de Chartres,

dit M. l'abbé Bourrassé, on ressent une émotion indéfinissable, produite par la réunion de pensées de tout genre et de sensations étranges, qui vous ébranlent jusque dans les plus intimes pro» fondeurs de l'âme. Il y a tant de majesté, tant de grandeur dans >> ce glorieux édifice, un caractère religieux si imposant, un cortége de souvenirs pieux et illustres si distingué, une expression » si saisissante dans toutes les parties qui le composent, que » l'esprit en est transporté hors de lui-même. On reconnaît là, » sans nulle difficulté, la maison de Dieu, et l'œil y est ébloui, » comme par une apparition des merveilles célestes. Nous trouvons » dans cette enceinte noircie par les siècles, si jeune encore néan» moins de grâce, de jeunesse, de poésie, un concours de beautés » éminentes qu'il est impossible à la parole humaine de rendre >> convenablement. Le langage humain est obligé de procéder en décomposant, pour peindre les pensées de l'esprit; il agit en » cela comme l'anatomiste qui scrute, le scalpel à la main, les prodiges de l'organisation humaine; il arrivera sans doute à dé>> crire exactement, minutieusement toutes les formes qui passeront » successivement à son examen; mais qui pourra reproduire cet >> ensemble palpitant, cette harmonie générale, ce tout animé, cette >> admirable union des membres, qui chez l'homme constitue la vie, et qui, dans un monument, exprime, aux yeux du chrétien, » le mens divinior qui y réside, comme dans son tabernacle? Nous » pouvons seulement prononcer ces paroles: La Cathédrale de » Chartres est un des plus prodigieux chefs-d'œuvre de l'architecture catholique. 2 »

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Une réflexion, dit encore M. Bourrassé, se présente naturellement à l'esprit, en contemplant Notre-Dame de Chartres; c'est que presque toutes les grandes cathédrales du xi et du xi siècle sont dédiées à la Bienheureuse Vierge. Citons seulement les

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cathédrales d'Amiens, de Reims, de Paris, de Rouen, de Strasbourg, de Séez, de Fréjus, de Bayonne, de Bayeux, de Coutances et de Tournay. Il y avait à cette époque un amour inépuisable dans tous les cœurs pour la glorieuse Mère de Dieu, la divine Patronne des âmes pures, la Consolatrice des affligés, la Reine des élus! Les sentiments des populations catholiques se traduisaient alors en monuments élevés à sa gloire, comme témoignage de reconnaissance pour des bienfaits nombreux, comme prières afin d'en obtenir de nouveaux. Nous avons une vive joie à consigner ici les marques de la profonde vénération et de l'entière confiance que les chrétiens ont toujours manifestées envers la très-douce et immaculée Vierge Marie. Les hommages que nous lui rendons de nos jours, sont donc une tradition de famille, que les âmes bien nées se font un devoir et un bonheur de continuer.

La Cathédrale de Chartres est bâtie sur le sommet d'une petite colline, dont les flancs sont couverts par les habitations particulières, groupées et échelonnées autour du temple de Marie comme des enfants autour de leur mère. Le noble édifice domine majestueusement l'antique cité, sur laquelle il semble projeter son ombre tutélaire, et il apparaît seul et tout entier aux regards du voyageur éloigné encore de plusieurs lieues. Les deux clochers surtout qui se perdent dans les nues, communiquent à la perspective un mouvement plein de noblesse : ils forment le trait caractéristique du point de vue, et s'élèvent en portant le signe de la croix au-dessus de la ville, comme pour détourner les effets de la justice céleste et implorer la miséricorde de Dieu.

Mais retraçons rapidement les principaux points de son histoire.

ORIGINE DE LA CATHÉDRALE. S'il faut en croire une tradition, qui du reste paraît bien authentique, l'emplacement actuel de la Cathédrale était, cent ans avant l'ère chrétienne, un lieu consacré au culte de Marie; là se trouvait un bocage sacré et une grotte où les Druides élevèrent à la Mère de Dieu une statue en bois avec cette célèbre inscription: VIRGINI PARITVRÆ, à la Vierge qui doit enfanter. Éclairés par une lumière surnaturelle ou par les

1 Chartres n'est pas le seul endroit qui ait vu s'élever une statue à la Vierge-Mère. Un savant du XVIIe siècle, qui s'est beaucoup attaché à

prophéties d'Isaïe', ces prêtres des anciens Gaulois attendaient. de cette Vierge - Mère le salut moral et intellectuel du genre humain.

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Nous devons retracer ici le cérémonial que le bon Rouillard imagine avoir été observé pour l'érection de cette statue prophétique : << Estans donc les Druides arrivez à ce dernier centenaire qui debvoit immédiatement précéder la naissance de ce fils de » la Vierge, par eux tant attendu; centenaire expressément désigné >> par sept ou huict livres tirez des archives de l'église de Chartres... >> Lors en l'assemblée d'iceux tous revêtus de leurs chappes blan>>ches à leur manière accoutumée, en la présence de Priscus, pour » lors roi de Chartres, des princes, seigneurs et Estats de la pro» vince Chartraine : leur souverain Pontife parla, roulant un fleuve » de pleurs sur sa barbe vénérable........... Adonc fut élevé l'autel de la grotte désignée, et l'Image de la Vierge tenant un enfant entre >> ses bras, colloquée dessus, avec grands applaudissements. Lors >> le souverain Pontife des Druides, reprenant la parole, et tenant >> le pousteau ou corne de l'autel, Je le dédie, dit-il, en l'honneur » de la VIERGE QUI ENFANTERA, et ordonne que désormais y soient faictes prières solemnelles. O Vierge ja née au ciel, si le zèle de » notre piété, l'avance cet honneur, ains que tu ne sois engendrée » sur terre, anticipe aussi sur nous l'effet du salut, que nous

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l'étude des antiquités druidiques, nous apprend que les Druides élevaient, dans le secret de leurs sanctuaires, des statues à Isis, c'est-àdire à la Vierge de laquelle un fils était attendu, savoir le Libérateur du genre humain; Hinc Druidæ statuas in intimis penetralibus erexerunt Isidi seu Virgini ex quâ filius illic proditurus erat nempè generis humani Redemptor. (Elias Schedius, De diis germanicis, cap. XIII, pag. 346.)En 1833, on a trouvé à Châlons-sur-Marne, sur l'emplacement d'un temple païen, une pierre avec cette inscription : VIRGINI PARITVRÆ DRVIDES. (Annales de philosophie chrétienne, tome vii, page 328.) — Du reste, la croyance d'une Vierge-Mère a été connue des Indiens, des Thibétains, des Chinois, des Japonais, des Egyptiens, des Grecs, des Mexicains, des Péruviens, des Siamois, etc. Voyez sur ce sujet la troisième lettre de M. Drach, rabbin converti, à ses co-religionnaires, publiée en 1833.

1 Six siècles auparavant Isaïe avait dit: VIRGO concipiet et PARIET filium; Une Vierge concevra et enfantera un fils. (Isaïe, vII, 14.)

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1

» attendons de ton heureux et sainct enfantement. Toute l'assis>> tance correspondait à ce vœu et à l'instant finit l'assemblée. » On ne peut douter, ajoute un autre historien de la cathédrale, » que cet autel consacré à la Vierge ne fût à saint Savinien et à » saint Potentien 2, premiers missionnaires du pays, un argument très-puissant pour persuader aux Chartrains les vérités de la » Foi. En effet ils prêchèrent avec tant de succès, qu'ils acquirent en peu de temps à Jésus-Christ un grand nombre d'habitants » de la ville les Druides voyant l'accomplissement de leurs pré>> dictions, quittèrent les ombres pour suivre la vérité 3. »

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Cependant la grotte druidique servit d'abord de temple aux premiers chrétiens convertis par saint Savinien et saint Potentien. Mais le nombre des fidèles ayant singulièrement augmenté, ils construisirent au-dessus de la grotte une modeste église épiscopale. Il est à présumer, dit encore le bon Rouillard, que le premier bastiment de ladicte église supérieure faicte du temps des Apostres, ait esté plus simple que celui de présent, comme insigne à merveilles. Saint Savinien et saint Potentien dédièrent leur cathédrale à la très-sainte Vierge 5; et avant de retourner à Sens, ils y

1 Parthénie, 1re partie, pages 88 et 89.

* Suivant nos anciens livres liturgiques et nos vieilles archives, saint Savinien et saint Potentien étaient disciples de l'apôtre saint Pierre qui les envoya dans les Gaules, vers l'an 48 de l'ère chrétienne. D'après les historiens modernes, nos deux apôtres n'auraient vécu que vers la fin du IIIe siècle. Le savant Souchet soutient avec force et talent la première opinion. (Voyez son Histoire de la ville et de l'église de Chartres; manuscrit de la bibliothèque de la ville, Nous discupages 62-87.) terons ailleurs ce point de chronologie, qui du reste est intimement lié avec la question de savoir à quelle époque le Christianisme fut apporté dans les Gaules; on peut voir cette question discutée avec un savoir immense, une colossale érudition, dans les Monuments inédits sur l'apostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence, par M. l'abbé Faillon, 2 vol in-4°, 1848.

3 Histoire de l'Église de Chartres, par V. Sablon, 1697, page 10. Voyez les anciens Bréviaires de Chartres, au 19 octobre.

5 Jusqu'au XVIIIe siècle, on a cru que cette dédicace avait eu lieu du vivant même de la glorieuse Vierge Marie. Dans le Poème des Miracles

établirent, comme premier évêque, un de leurs disciples, saint Aventin, qui fut sacré en l'an 69, dit Souchet 1.

La persécution ne tarda pas à sévir à Chartres, comme dans toutes les provinces de l'empire romain. « Quirinus, gouverneur » de la province chartraine pour l'empereur Claudius, ayant espié » l'heure que les chrétiens de Chartres faisaient leurs prières ac>> coutumées dans la grotte, se vint furieusement jetter dans icelle, >> avec ses satellites; fit emprisonner saint Potentien, saint Altin, » saint Edoald, comme chefs de la prétendue faction; fit aussi >> cruellement serrer dans les autres cachots, ceux qui se récla» mèrent chrétiens. La rage fut grande, puisqu'il n'espargna sa » propre fille, convertie à leur foi, et appelée Modeste. Si la rage fut grande, si l'impétuosité véhémente, le procez fut aussi court, » et l'exécution n'en fut moins prompte et précipitée. Car il fit. massacrer sa fille, avec beaucoup d'autres; et furent leurs corps jettez dans le puits, attenant à l'autel de la Vierge, qui tousjours » du depuis en a esté nommé le Puits des Saints-Forts; il est >> comblé maintenant et treillissé de baslustres 2. >> En même temps l'église épiscopale fut saccagée et détruite de fond en comble.

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Bien longtemps après, lorsque la paix fut enfin donnée à l'Église par l'empereur Constantin, les chrétiens de Chartres rele

de Jehan le Marchant, à la page 211, on lit: Ycelle eglise de Chartres qui est la propre et espécial chambre de la dite Vierge Marie en terre, et ellemesmes en son vivant fut présentement et la vint veoir.- Dans une ordonnance du roi Jean, sous la date de 1359, on lit : Quod ecclesia prædicta (Carnotensis) fuerit ab antiquissimo tempore fundata, videlicet vivente beata Maria Virgine gloriosa, sicut scriptum est in libris antiquis ecclesiæ prælibatæ. Dans une ordonnance de Charles VII, donnée en 1432, on lit: L'Église de Chartres est la plus ancienne du royaume, fondée en prophétie en l'honneur de la glorieuse Vierge Marie, avant l'incarnation de N. S. J. C., et en laquelle icelle glorieuse Vierge Marie fut adorée. Benoit XIV fait aussi mention de cette dédicace faite du vivant de la très-sainte Vierge; voyez De canoniz, lib. I, cap. 14, no 11. - Voyez aussi tous les Bréviaires de Chartres qui ont précédé celui de M. de Lubersac.

1 Histoire de Chartres, page 85.

2 Parthénie, 1re partie, page 118.

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