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anges portent la navette et l'encensoir. Sous le socle, on voyait Joachim au milieu de ses troupeaux, et un ange lui annonçait qu'il aurait bientôt une fille : ce sujet a presque entièrement disparu.

Les parois ou latéraux de cette porte centrale sont garnis de dix statues colossales représentant les illustres personnages de l'ancien Testament qui ont figuré ou prophétisé la naissance de Jésus-Christ, sa passion, sa mort, sa résurrection, son sacerdoce éternel. Ces personnages font cortège à la très-sainte Vierge il semble que le XIIIe siècle ait voulu identifier le Fils et la Mère 1. Ces statues colossales sont placées, entre socle et dais, dans un ordre rigoureusement chronologique, et portent toutes le nimbe, quoique la plupart des personnages appartiennent à l'ancien Testament 2. On remarquera que les cinq statues qui se dressent à gauche, tiennent une image figurative du Christ, et que les cinq statues de droite portent Jésus lui-même.

Nous décrirons maintenant chacune de ces grandes figures du Messie que le lecteur veuille bien se rappeler que nous ne prétendons pas lui en offrir ici la description complète, mais seulement une légère esquisse, une dissection iconographique, s'il est permis de parler ainsi. Dans notre Monographie générale, nous nous étendrons longuement sur ces admirables statues, et nous montrerons, d'après les Pères de l'Eglise, comment ces personnages ont figuré Jésus-Christ on sait qu'au Moyen-Age, les artistes s'inspiraient toujours dans les saints Pères, et suivaient scrupuleusement les règles de la symbolique chrétienne.

1 Toutes les grandes cathédrales du XIIIe siècle offrent les mêmes personnages entourant Marie; nous citerons entre autres celles d'Amiens et de Rheims. A Rheims, les statues paraissent avoir été faites par les mêmes artistes que celles de Chartres. A Amiens, on les voit deux fois, au portail de l'ouest et au portail Saint-Honoré. La savante description de ce dernier portail, faite par MM. les abbés Duval et Jourdain, nous a fourni d'utiles renseignements. Nous avons aussi fait quelques emprunts à un autre ouvrage de ces deux habiles iconographes: Les Stalles de la cathédrale d'Amiens.

2 Les imagiers du siècle de saint Louis accordent rarement le nimbe aux saints de la Loi ancienne. (Voyez l'Iconographie chrétienne, par M. Didron, pages 45-48.)

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En commençant à gauche, on trouve :

1° Melchisedech. Le roi de Salem est vêtu d'une aube ceinte et d'une espèce de chape aux bords frangés et brodés; sa tête est couverte de la tiare papale; dans sa main droite il tient l'encensoir, et dans sa gauche il porte un calice couvert d'une patène sur laquelle est un petit pain rond; c'est la traduction de ce verset du xiv chapitre de la Genèse: Melchisedech, roi de Salem, offrit du pain et du vin, car il était prêtre du Très-Haut. D'après les saints Docteurs, Melchisédech figure le sacerdoce de JésusChrist, s'immolant chaque jour sous les apparences du pain et du vin. Sous le socle, il y a un agneau, mutilé aujourd'hui.

2o Abraham. Le père des croyants s'apprête ici à immoler son fils Isaac. Il lève le glaive sur la tête de son enfant, qui se tient debout, pieds et mains liés; mais un ange arrête la main du saint patriarche. Sous leurs pieds, on voit le bélier arrêté dans un buisson d'épines et destiné à remplacer Isaac. Tous les Pères ont vu Jésus-Christ et dans Isaac et dans le bélier 2. Abraham a pour vêtements deux robes et un manteau jeté à l'antique. Isaac porte un habit court, une sorte de jaquette; ses chaussures montent jusqu'audessus du genou, comme les bottes de nos postillons modernes.

3o Moïse. Le législateur des Hébreux est vêtu d'une double robe et d'un manteau fort simples; dans sa main gauche il tient la table de la loi et la longue colonne sur laquelle est arboré le serpent d'airain, image de Jésus-Christ élevé sur l'arbre de la croix. Ce serpent mystique est une espèce de dragon à la tête informe, et dont la queue s'enlace autour de la colonne. Il est à remarquer que Moïse est ici sans cornes; dans nos verrières on le verra toujours pourvu de cornes de bouc ou de bœuf. On sait que Moïse, en descendant du Sinaï avait le front orné de rayons divins; or la vulgate traduit par cornutus, ayant des cornes, le mot dont l'hébreux se sert pour expliquer la gloire du visage du prophète. La métaphore de

1 Voyez saint Paul, Epitre aux Hébreux, VIII, et tous les Pères cités par Bellarmin dans son Traité de la Messe, lib. II, cap. 8.

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Voyez saint Augustin, de Civitate Dei, lib. XVI, cap. 32; saint Ambroise, de Abraham, lib. I, cap. 8, no 77; · saint Jean Chrysostôme, Homel. in Genes., XLVII, n° 3.

saint Jérôme rend-elle plus complètement le texte original qui renferme la double idée de proéminence et d'irradiation? Nous ne le décidons pas; mais nous devons constater ici que presque tous les imagiers du Moyen-Age ont transporté dans l'iconographie l'expression figurée du savant docteur de Bethleem. Sous le socle, il y a le veau d'or.

4 Samuel. Le prophète, noble vieillard, a la barbe longue et pointue; il est vêtu d'une double robe et d'un ample voile qui couvre et enveloppe à la fois la tête et le corps. Il tient un agneau qu'il va égorger avec le couteau sacré. Sous le socle, on voit le jeune David, vêtu d'une petite robe ceinte et tête nue; dans la main qui est brisée, il tenait une coupe pour recevoir le sang de l'agneau. Plusieurs traits de la vie de Samuel sont sculptés sur les bases des colonnes qui ornent les piliers de la baie centrale: nous les décrirons plus bas.

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5° David. Il est en tunique ceinte et manteau royal; une riche couronne sur la tête; dans la main droite, il porte la lance, et dans sa gauche, en partie brisée, il tenait la couronne d'épines et les clous, instruments de la passion de Jésus-Christ. Le socle est un lion furieux, fort mutilé aujourd'hui. - Nous verrons plus loin six épisodes de la jeunesse de David: ils sont figurés sur les bases des piliers de cette baie centrale.

6o Isaïe. Cette statue est la plus rapprochée de la porte, sur la paroi de droite. Isaïe est vêtu de la longue robe et du manteau. On voit, sous le socle, le vieux Jessé endormi; sur son genou l'on voit la racine d'une tige passant sous la banderolle et dont l'extrémité s'épanouit en élégante corolle, au milieu de laquelle s'élève Jésus bénissant; la tige est brisée ainsi que la tête et les bras du Sauveur. De sa main droite, le prophète montre la fleur et il semble dire Un rejeton sortira de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine. « Dans la tige de la racine de Jessé, dit saint Jérome, nous voyons » la sainte Vierge Maric, et dans la fleur, nous voyons le divin >> Sauveur, qui dit dans le Cantique des Cantiques : Je suis la fleur » des champs et le lys des vallées 1. » — Sur la banderolle il y a une inscription presque effacée : IS.. PROFETA.

1 De expositione in Isaiam prop., lib. IV, in cap. 11. Isaiæ.

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7° Jérémie. En tunique et en manteau, il porte dans sa main gauche la croix, instrument de la mort du Fils de Marie. De sa droite, il indique la croix et il semble dire: O vous qui passez, voyez s'il est une douleur semblable à ma douleur. 1 La croix est fort remarquable; elle a un nimbe très-riche et très-curieux. Sous le socle, un individu en jaquette, c'est probablement un des bourreaux de Jérémie, qui, d'après le martyrologe romain, fut lapidé à Raphnas, en Egypte.

8° Siméon. Le saint vieillard, qui est vêtu comme les autres prophètes, tient l'Enfant Jésus sur le bras gauche; il le montre du doigt en s'écriant: Cet enfant sera pour la ruine et la résurrection de plusieurs en Israël 2. Jésus a déjà la figure d'un homme ; il est vêtu d'une simple robe, pieds nus, nimbe crucifère, les deux mains brisées. Sous le socle, un bourreau presque semblable au socle de Jérémie.

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9° Jean-Baptiste. Le Précurseur est vêtu d'une tunique de poils de chameau et d'un manteau; longue barbe et pieds nus, comme les apôtres. Dans sa main gauche, il porte l'Agneau divin, qu'il indique du doigt en disant: Voici l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. L'Agneau n'a pas de nimbe, mais il est inscrit dans une auréole et porte l'étendard de la croix. Cette statue de saint Jean est fort belle; ses formes amaigries nous font sentir les incroyables austérités du saint Précurseur; sa tunique de peau est admirablement sculptée. Sous le socle, un dragon aîlé pour figurer le Vice terrassé, vaincu par saint Jean. A Chartres, le peuple regarde ce dragon comme sauterelle !

10 Saint Pierre. Le prince des apôtres est ici, comme dans un des vitraux du chœur, vêtu en pape: aube, manipule, étole, tunique, dalmatique et chasuble; le pallium est attaché avec

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3 Au Moyen-Age, il est d'un usage général de représenter l'Enfant Jésus avec la figure d'un homme; il nous semble que cet usage repose sur ce texte : Jésus leur dit : Ne me regardez pas comme un enfant, je suis déjà un homme parfait. Voyez les Évangiles apocryphes, page 203.

deux grosses épingles; sa tête est couverte de la tiare pointue; sur la poitrine, il porte le rational aux quatre rangs de pierres précieuses1; ses mains sont garanties par des gants, et ses pieds sont chaussés de sandales. Au bras droit pendent les clefs, symboles de son pouvoir spirituel; dans sa main droite il tenait, comme Melchisédech, un calice, dont le pied seul existe encore; dans sa main gauche, il a la croix hastée, bâton pastoral des Souverains-Pontifes au moyen-âge. Pour socle, un rocher; c'est une allusion à ces paroles de Jésus-Christ: Tu es pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise.

A la gauche de saint Pierre, dans le coin du passage, il y a une statue colossale représentant Elie; le prophète, en longue barbe, porte la tunique ceinte et le manteau; sous ses pieds, on voit les roues enflammées du char qui l'enleva au ciel; son disciple, Elisée, s'attache au manteau de son maître. Elie, enlevé au ciel sur un char de feu, est une image du Christ remontant au ciel, à l'Ascension. Le pendant de cette statue se trouve à la droite de Melchisedech; c'est Elisée : il a la barbe et les cheveux excessivement longs; pour vêtements, il porte une ample tunique ceinte ; une banderolle dans les mains. Sous ses pieds se voit la Sunamite, dont le prophète a ressuscité le fils unique. Elisée ressuscitant cet enfant est, d'après les saints Docteurs, le type de Jésus sortant de son tombeau.

Les personnages figuratifs de Jésus ne finissent pas à cette porte centrale; ils se dressent encore sur les parois, le tympan et la voussure de la porte latérale de droite; allons donc à cette porte poursuivre l'étude des figures; nous reviendrons ensuite à la baie centrale.

Les parois de la porte latérale de droite sont ornées de six magnifiques statues colossales, trois de chaque côté; en commençant à gauche on trouve:

1° Samson. Il est vêtu d'une double robe ceinte et d'un manteau attaché sur l'épaule droite avec une agraffe; sa tête qui est inclinée, est couverte d'une calotte pointue; barbe forte, cheveux très-longs; dans sa main droite un bâton, dans sa gauche un

Voyez la description du Rational dans l'EXODE, chap. 28.

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