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Ces représentations allégoriques sont peut-être les plus curieuses et les plus belles statuettes de la Cathédrale: nous appelons sur elles l'attention de nos lecteurs.

Tel est l'exposé trop succinct sans doute, mais fidèle de tous les sujets sculptés au porche occidental de notre superbe basilique. Plus on examinera ces sculptures, plus on y trouvera de beauté, de noblesse, de sentiment; on y verra que l'imagier chrétien les a traitées avec amour, et l'on ne s'étonnera pas si des artistes du premier ordre placent ces sculptures, comme œuvre d'art, bien au-dessus des statues qui ornent les porches latéraux : pour eux, le XIIIe siècle est le commencement de la décadence de l'art chrétien; nous devons avouer que nous sommes presque de leur avis.

Avant d'en finir avec le porche occidental, nous ferons observer que le Moyen-Age en rehaussa les sculptures par la dorure et l'éclat des couleurs les plus vives, et compléta ainsi l'effet de l'expression que la forme seule de la plastique ne produisait pas assez complétement. On voit encore quelques vestiges des couleurs sur les sculptures du tympan de la porte centrale. Les statues des porches latéraux conservent aussi des restes de peinture et de dorure. La clôture restaurée de la Cathédrale d'Amiens, les apôtres de la Sainte-Chapelle de Paris, peuvent nous donner une idée de la magnificence ancienne de nos trois porches.

Entre la fenêtre centrale et les deux fenêtres latérales, s'élèvent deux pilastres qui se terminent près de la corniche placée sous la rose. Ces deux pilastres sont couronnés, le premier par un bœuf, et le second par un lion qui tient entre ses griffes une tête humaine. Durand, dans son Rationale, livre I, chapitre I, 5, dit que de son temps l'usage était de représenter le lion et le bœuf au frontispice des temples. Dans beaucoup d'églises d'Italie, on voit en effet ces deux animaux. Quelle signification nos pères y attachaientils? Ce serait trop long de le dire ici; nous discuterons ailleurs ce point obscur de la symbolique du Moyen-Age.

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GALERIE ROYALE. Le pignon du portail principal est orne d'une suite de niches connue sous le nom de galerie royale. Dans chacune de ces seize niches s'élève une statue colossale représentant un roi. Quels sont ces rois? Nous pensons, quoi qu'en dise

M. Didron', que ce sont des rois de France, et non les rois de Juda. Ce serait trop long de discuter ici cette opinion; nous réservons cette discussion pour la Monographie. Qu'il nous suffise d'appeler l'attention de nos lecteurs sur la huitième et la dixième statue ils verront qu'il est impossible de pouvoir y reconnaître deux rois de Juda.

Ces quinze rois (le seizième a été brisé) sont vêtus d'une manière à peu près uniforme et représentés dans la même attitude. Tous portent la couronne fleuronnée et rehaussée de pierreries; tous ont des gants et des chaussures unies; tous, à l'exception d'un seul, portent le sceptre surmonté d'une pomme de pin; tous ont la chevelure assez longue et bouclée; presque tous sont vêtus de la tunique et du manteau royal; quelques-uns cependant ont une espèce de dalmatique qui remplace le manteau. Nous ne décrirons pas ici chaque statue; nous nous contentons d'en décrire deux seulement : 1o La huitième statue royale est beaucoup plus petite que les autres; le roi porte dans sa main droite un large cimeterre; l'objet (une fleur peut-être) qu'il tenait dans sa main gauche, est brisé; sous ses pieds, un lion furieux; son vêtement consiste en une double robe, sans manteau: pour nous, ce roi c'est Pépinle-Bref. 2° La dixième statue représente un roi en tunique et dalmatique fendue d'un côté seulement; dans la main droite, un sceptre; dans la main gauche, une croix. C'est peut-être Philippe I", sous lequel on entreprit la première croisade. Telles sont, nous le répétons, les deux statues qu'avec la meilleure volonté du monde on ne peut regarder comme représentant des rois de Juda. Après Philippe I, on voit Louis-le-Gros, Louis-le-Jeune, Philippe

1 Manuel d'iconographie chrétienne, page 128, note. —Les iconographes anglais pensent comme nous sur ce sujet : le savant professeur Cockerell a pu nommer, d'après un manuscrit du XIIe siècle, toutes les statues historiques de la cathédrale de Wells, lesquelles représentent les rois d'Angleterre. Un autre fait vient corroborer notre interprétation, c'est que les vitraux de la cathédrale de Strasbourg, au latéral nord, représentent quinze rois ou empereurs d'Allemagne : on ne peut douter que ce ne soient des personnages historiques, car ils portent leurs noms écrits autour de leur tête couronnée. (Voyez l'Iconographie Chrétienne de M. Didron, page 52.)

Auguste, qui tient une boule dans la main gauche, Louis-le-Lion, saint Louis et Philippe-le-Hardi, sous lequel cette galerie royale a été achevée.

NICHE DU PIGNON. Au-dessus de la galerie royale, et dans une niche à arcade trilobée, se trouve la statue colossale de la Mère de Dieu tenant son Enfant sur les bras. A ses côtés sont deux anges agenouillés qui l'encensent. Ces statues datent du XIVe siècle, et sont dans un fort mauvais état. Elles seront bientôt remplacées par des statues neuves. Les deux autres pignons, aux deux extrémités du transept, offrent la même niche et les mêmes statues, mais parfaitement conservées. Elles appartiennent également au XIVe siècle.

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Enfin, au sommet de l'angle aigu du pignon, paraît la statue colossale de Jésus-Christ. Le Sauveur est vêtu de la robe et du manteau; ses pieds sont nus; les deux mains sont en fort mauvais état; cependant nous croyons pouvoir dire que la main droite bénissait la ville et le monde, et que sa gauche portait le globe de la toute-puissance.

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La façade septentrionale est celle qui termine le transept du côté de l'évêché. Elle est composée d'un large perron à neuf marches, d'un porche s'avançant en saillie, d'une balustrade avec trottoir, d'une galerie vitrée, d'une magnifique rose avec huit niches ornées de statues, d'une galerie couverte, d'une balustrade découpée en quatre-feuilles avec trottoir, et enfin d'un pignon orné d'une niche semblable à celle du pignon occidental. Nous l'avons déjà dit, la partie supérieure de cette façade, à commencer de la galerie couverte, a été bâtie au XIVe siècle; tout le reste date du siècle de saint Louis. Entrons dans les détails.

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PORCHE. Le porche septentrional se projette en avant-corps par une forte saillie. Ces espèces de porches détachés du fond, laissent en retraite tout le reste de la façade et leur donnent plus de légèreté. Il est percé de trois baies principales qui correspon

dent aux trois portes du portail; ces portes s'ouvrent elles-mêmes sur les trois nefs, c'est-à-dire sur la nef centrale et les bas-côtés de cette église transversale que l'on appelle croisée ou transept. Toutes les parties de ce porche sont couvertes de statues et de statuettes, au nombre d'environ sept cents 1.

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Ce porche est magnifique; écoutons comment en parle un de nos archéologues les plus distingués: « Le Moyen-Age ne nous a rien laissé de plus merveilleux en ce genre que le ravissant por>> tail septentrional de la cathédrale de Chartres. Il est impossible » de donner, par des descriptions, quelque pittoresque qu'on les » suppose, une idée exacte de ce bijou de la sculpture gothique. » Il faut l'avoir contemplé, avoir passé plusieurs heures à ad>> mirer ces incroyables magnificences, pour connaître à quelle » hauteur put s'élever le génie chrétien, dans ces beaux siècles >> d'enthousiasme et de foi 2! >> Quant à nous, nous trouvons encore plus beau le porche du midi, à l'autre extrémité du transept.

Le porche septentrional est dédié à la divine Marie, si tendrement honorée pendant tout le Moyen-Age. Il raconte en pierre la généalogie charnelle et spirituelle de cette auguste Vierge, ses prérogatives, ses vertus, ses occupations, sa vie, sa mort, son assomption, son couronnement dans le ciel, etc. Il nous montre aussi les personnages figuratifs de l'ancienne loi, précurseurs du Messie 3.

1 On dit que le porche septentrional est dans un fort mauvais état, et que par suite de la rupture des linteaux, il menace ruine : nous pensons que l'on s'exagère un peu le danger. Quoi qu'il en soit, l'architecte de la Cathédrale, M. Lassus, a fait solidement étayer le porche, et l'année prochaine, il doit en faire démonter, pierre par pierre, les trois voussures, remplacer les linteaux brisés et remettre ensuite le tout dans son état primitif. C'est une opération fort délicate et que nous redoutons souverainement pour les sculptures du porche.

2 Archéologie chrétienne, par M. l'abbé Bourrassé, page 233.

3 M. Didron imagine qu'en sculptant les nombreuses statues qui peuplent l'extérieur de la Cathédrale de Chartres, le pieux artiste du XIIIe siècle a pris pour programme l'admirable livre de Vincent de Beauvais, intitulé SPECULUM UNIVERSALE, le Miroir universel. En conséquence de

Au Moyen-Age le portail septentrional était toujours consacré à la très-sainte Vierge. Le R. P. Cahier nous en donne la raison mystérieuse : « Le Nord, dit le savant iconographe, est la région » des frimas et des orages, c'est-à-dire des passions et de l'en» durcissement dans le péché : c'est ainsi que saint Augustin voit » revenir du septentrion l'enfant prodigue quand il reprend la >> route du toit paternel. Les commentateurs d'Ezéchiel ne par>> lent pas autrement; et c'est aussi pourquoi les vieux architectes >> consacraient le portail septentrional à celle qui est le Refuge >> des Pécheurs et la Mère de la Miséricorde. C'est le fanal du >> retour signalant les plages funestes où le navigateur imprudent >> court se briser; c'est un cri de rappel qu'on lui adresse et une » invitation à se jeter dans le port '. »

Nous allons successivement décrire avec brièveté toutes les parties du porche; nous suivrons autant que possible l'ordre chronologique, ce qui nous forcera de nous déplacer fréquemment et de courir souvent d'une baie à l'autre ; c'est un inconvénient; mais de cette manière on saisira mieux la pensée du pieux et savant sculpteur du XIIIe siècle.

Sur le trumeau de la porte centrale, s'élève la statue colossale de sainte Anne tenant la petite Marie dans ses bras; c'est là en effet que, suivant la coutume presque invariable du XIIIe siècle, doit se trouver le personnage principal et titulaire de tout le portail. Sainte Anne est vêtue d'une longue robe, et sa tête est couverte d'un ample voile qui lui retombe fort bas et qui lui sert comme de manteau; sur son bras gauche est la petite Marie en longue robe et tenant le livre de la sagesse. On admirera la noble attitude de l'aïeule de Jésus-Christ. Sur le dais, deux petits

ce système, que du reste M. Didron expose avec infiniment d'esprit, il voit, dans le porche septentrional, non un hommage à la très-sainte Vierge, mais la représentation, la traduction en pierre du Miroir naturel, du Miroir scientifique, du Miroir moral et d'une portion du Miroir historique, les quatre divisions du Speculum universale. Ce système est ingénieux, mais il est évidemment erroné. (Voyez l'introduction à l'Iconographie chrétienne, pages X-XVIII.)

1 Mélanges d'archéologie, par les R. P. Cahier et Martin, tome I, pages 82 et 83.

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