Page images
PDF
EPUB

a-t-il saint Constantin, saint Charlemagne, saint Henri, ou David, Salomon, Ezéchias? Y a-t-il Esther, Judith, Bethsabée, la reine de Saba, ou sainte Hélène, sainte Pulchérie, sainte Clotilde, sainte Radegonde, etc.? Le lecteur peut choisir 1.

Ces dix-neuf 2 statues offrent un grand intérêt pour l'histoire de l'art. Toutes ont de longs bustes, des corsages élevés, une certaine immobilité dans la pose, les pieds et les genoux sans perspective, peu de mouvements dans les draperies; mais en compensation, elles présentent une délicatesse et une habileté inimitables dans les détails, une naïveté charmante, une expression chrétienne admirable; on dirait que l'artiste a voulu nous montrer des corps spiritualisés, glorifiés dans le ciel. Ici l'idéal, le mysticisme seul domine; l'abnégation et l'amour s'y touchent au doigt l'une est rendue sensible par la maigreur des corps; l'autre se manifeste par le recueillement et la modestie de ces saints et saintes, dont le visage respire une douceur enchanteresse, et par ce regard demi-voilé, dont la piété, la profondeur, l'oraison intime échappent au langage sans avoir pu se dérober à la puissance du sculpteur chrétien.

1 Des archéologues pensent que ces statues pourraient représenter les rois et reines, les princes et princesses qui ont été les bienfaiteurs et les bienfaitrices de la Cathédrale; pour cette interprétation, ils s'appuient sur les quinze rois peints sur verre dans le latéral nord de la cathédrale de Strasbourg: tous ces rois portent le nimbe comme nos statues, quoique, parmi eux, il n'y en ait que deux qui soient canonisés. L'opinion de ces archéologues ne nous paraît pas improbable.

ont

2 Il y en avait jadis vingt-quatre; les cinq statues qui manquent, été détruites par l'action du temps; elles avaient disparu antérieurement au XVIIIe siècle. Celles qui nous restent encore, sont dans un état désolant de décomposition; la pierre en est devenue excessivement friable. Aussi le gouvernement, sur la proposition de M. Lassus, architecte de la Sainte-Chapelle de Paris et de la Cathédrale de Chartres, fait-il mouler en plâtre ces précieuses statues; tous ces plâtres, déposés dans une des salles de l'évêché, formeront un musée du XIIe siècle, fort curieux pour les artistes chrétiens. - Montfaucon pensait que ces statues datent du VIe siècle. (Monuments de la Monarchie française, tome I, page 57.) M. Pottier parle longuement de ces statues. (Texte des Monuments français de Willemin, tome I, page 49.)

Il est à remarquer que les statues qui ornent le grand portail d'Angers, celui du Mans, les porches latéraux de Bourges et de Saint-Denis, sont identiques à celles de notre porche royal; et cette identité se retrouve dans tous les monuments du XIIe siècle. C'est qu'alors on sculptait d'après un type hiératique déterminé, de manière à n'introduire que de légères variantes dans la forme des traits, dans la pose générale et même jusque dans le costume et l'agencement des draperies. Ces types partout admis, partout reproduits avec le scrupule religieux qui tenait à un sentiment de dévotion, étaient partout exécutés au moyen de procédés semblables. Les sculpteurs ou imagiers de cette époque devaient avoir pour guide, dans leurs travaux, un code qui leur indiquait, non-seulement les sujets, les personnages, que l'on représentait dans telles ou telles parties d'une église, mais encore la manière de représenter les personnages, leur pose, leurs vêtements, leurs attributs, etc. Ce code était dans le genre du Guide de la peinture, que MM. Paul Durand et Didron ont rapporté de la Grèce, et que suivent invariablement tous les peintres grecs.

Nos dix-neuf statues colossales sont appliquées à des colonnes; presque toutes ont le nimbe; toutes sont vêtues de costumes riches et empruntés à l'empire de Constantinople; ce vêtement se compose d'une longue robe et d'un manteau à plis pressés; quelques statues ont de plus une espèce de dalmatique qui recouvre la robe et qui descend jusqu'aux genoux. On remarquera avec la plus grande attention l'agencement des ceintures, le tissu gaufré et brodé des robes, des corsages et des manteaux, l'orfèvrerie des couronnes d'une forme si riche et si variée, la disposition des manches et des voiles, la forme des chaussures. Les cheveux des femmes sont nattés et tressés avec des rubans, de la manière la plus élégante. Ici nous devrions décrire chacune de ces statues colossales; nous réservons cette description pour la Monographie générale.

Enfin le cortége de Jésus triomphant est complété par les saints personnages qui sont sculptés en statuettes sur les chambranles des trois portes; parmi ces saints, on distingue des anges, apôtres, des prophètes, des martyrs, des vierges; un seul porte son nom écrit; c'est Jérémie: GEREMIAS. PHA.

Il nous reste encore à parler des douze statuettes ornant les

deux pilastres qui séparent les grandes statues de la porte royale d'avec celles des portes latérales. Nous pensons que ces statuettes représentent les donateurs du porche, soit dans la personne de leur saint patron, soit dans l'exercice de leur art. Sur le pilastre de gauche, on trouve en commençant en bas : 1° saint Paul, debout et tenant un livre; 2° saint Jacques-le-Mineur, avec une longue massue; 3° un charcutier assis devant une marmite, et tenant une cuiller; un chien met les pattes sur la marmite; 4° un personnage assis, aux pieds nus, tenant une banderolle; 5° un personnage fort mutilé; 6° un musicien jouant de la viole. Sur le pilastre de droite, il y a 1° un personnage assis, tenant en main une banderolle; 2o un roi assis et portant le sceptre; 3° un armurier: sous ses pieds on voit un moule; un sabre et son fourreau sont suspendus contre le mur de l'atelier; 4° un marchand portant dans sa main gauche un paquet circulaire et ficelé; sa bourse est pendue par un cordon sous son manteau; derrière lui, un petit industriel coupe avec un couteau les cordons de la bourse et s'en empare; 5o un personnage debout, vêtu d'un haut-de-chausse et d'une robe ouverte; 6° un boucher nommé Roger, assommant un bœuf lié avec une corde qui va s'enlacer autour d'une colonnette; un grand couteau pend au côté gauche du boucher; au-dessus de sa tête brisée, on lit: ROGERVS.

Nous ne dirons rien ici sur les dais si variés qui abritent les statues, ni des socles et des curieuses consoles qui les portent, ni de ces inimitables colonnettes qui les séparent l'une de l'autre ; le travail de ces colonnettes ne peut se comparer qu'à une œuvre d'orfèvrerie: c'est le même fini, la même exactitude, la même délicatesse.

L'artiste chrétien du XIIe siècle, en sculptant le porche du seigneur Jésus, n'a pas oublié la très-sainte Vierge Marie. C'était l'époque où la parole si puissante et si douce de saint Bernard venait d'embrâser tous les cœurs d'un amour inépuisable pour la glorieuse reine des Anges. Le sculpteur a donc consacré à la souriante et immaculée Mère de Dieu et des hommes, le tympan et la voussure de la porte latérale de droite. - Le tympan offre dans sa partie supérieure la bienheureuse Marie, couronnée comme une reine, assise sur un trône, et tenant son divin Fils sur son giron : Jésus bénit de sa main droite, et sa gauche repose sur la boule du monde

appuyée sur son genou. A côté de Marie, il y a deux anges qui l'encensent. Ce groupe est dans le plus désolant état de décomposition. Dans les deux zônes inférieures du tympan, l'artiste a reproduit quelques-uns des principaux épisodes de la vie de la très-sainte Vierge: 1° L'archange Gabriel est descendu des cieux, et il annonce à Marie qu'elle sera Mère du Fils de Dieu. 2o Marie visite sa cousine Elisabeth, qui la reçoit affectueusement dans ses bras; on remarquera qu'ici la très-sainte Vierge porte la couronne royale. 3o Le Sauveur du monde est né; il repose emmailloté dans un élégant berceau placé au-dessus du lit où sa douce Mère est couchée; saint Joseph est debout près du lit; l'âne et le bœuf sont brisés; on ne voit plus que les vestiges de leurs pieds. 4° Un ange annonce à trois bergers la bonne et joyeuse nouvelle; il leur montre du doigt l'étable de Bethléem. Auprès des bergers, on voit un chien accroupi et des brebis qui paissent. 5° Enfin, dans la zône intermédiaire, se déploie la Présentation de Jésus au temple de Jérusalem Jésus est debout sur l'autel; Siméon et sa sainte Mère l'y soutiennent; de chaque côté de l'autel on voit des hommes et des femmes portant des tourterelles sur des nappes.

La voussure est décorée d'un double cordon de statuettes décernant leurs hommages à la Reine des Cieux. Le premier cordon offre en haut six anges qui portent la navette et l'encensoir; leurs ailes sont fort curieuses. A gauche et en bas de ce cordon, il ya, comme hors-d'œuvre, deux signes du zodiaque, les Poissons et les Gémeaux. Le reste de la voussure est occupée par les représentations allégoriques des arts et des sciences. Chaque science ou chaque art est figuré par deux personnages placés dans deux niches l'un représente une femme assise, modestement vêtue et portant les attributs de la science ; l'autre est un homme, sans

1 Une rose de la cathédrale d'Auxerre représente les Sciences comme notre porche; voyez la 17e étude de Monographie des Vitraux de Bourges, par les R. P. Cahier et Martin. Une miniature du célèbre manuscrit de l'abbesse Herrade, Hortus deliciarum, représente aussi les mêmes sciences et arts avec les mêmes attributs qu'à notre porche; sous la Philosophie, on voit Socrate et Platon assis et écrivant, comme à Chartres. (Voyez une copie de cette miniature dans le tome XIX des Annales de Philosophie chrétienne, pages 54 et 55.)

doute l'inventeur de la science, ou un écrivain qui s'y est distingué cet homme est assis; il a un pupitre ou écritoire, scriptionale, sur les genoux; en main il a la plume et le canif ou grattoir. Le pupitre ou écritoire est en général fort élégant et contient un encrier ayant la forme d'une petite corne engagée dans le bois; une éponge, une règle et des plumes sont accrochés au mur près de l'écrivain. Je nommerai, avec hésitation toutefois, chacun de ces personnages, en me fondant sur des représentations du même genre, faites au XIII, au XIV et au XVe siècle 1. A la droite du premier cordon, on voit la Musique; elle frappe d'un marteau trois clochettes, et sur ses genoux elle a une espèce de harpe à dix-huit cordes; des violes sont suspendues au mur. Sous la Musique, Pythagore, inventeur de la musique, écrit sur son art; il efface un mot avec son grattoir.

Le second cordon offre, en commençant à gauche et en bas : 1° L'Arithmétique, qui porte dans sa main droite un dragon ailé, et dans sa gauche une plante bulbeuse, ou une espèce de sceptre. Sous cette science, Gerbert trempe sa plume dans son écritoire. 2o La Rhétorique a une pose oratoire. Quintilien taille sa plume. 3° La Géométrie est assise devant une table; elle tenait une équerre ou un compas. Archimède écrit. 4° La Philosophie a pour attribut un livre entr'ouvert. Socrate ou Platon semble donner des leçons. 5o L'Astronomie regarde le ciel, et porte un boisseau pour indiquer qu'elle préside aux travaux agricoles; le boisseau est brisé en partie. Ptolémée tient dans chaque main un objet arrondi2. 6° La Grammaire a dans sa main droite un paquet de verges 3, et dans sa gauche un livre ouvert; à ses pieds deux écoliers. Chilon écrit.

1 Iconographie chrétienne, par M. Didron, page 160; et les Annales archéologiques, tome IX. Annales de Philosophie chrétienne, tome XII, pages 23 et 54.

2 Dans un manuscrit du XIIIe siècle, l'Astronomie est accompagnée de Ptolémée qui examine les astres au moyen d'un tube ou d'une lunette à quatre coulants. (Annales de Philosophie chrétienne, tome XIX, page 54.)

3 La verge est l'attribut officiel de la Grammaire durant tout le MoyenAge; alors l'éducation n'y était nullement doucereuse, même dans les abbayes, et la verge y intervenait assez fréquemment.

« PreviousContinue »