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Sur la face méridionale de la base de cette magnifique pyramide, il y a trois statues. La première représente un ange, aux ailes déployées, et tenant un cadran solaire; il est vêtu d'une longue tunique et d'un manteau jeté sur les épaules; il offre la même raideur et le même fini dans le travail que les statues qui ornent les parois du porche Royal et dont nous parlerons bientôt. Le cadran a été refait en 1578. Sur le contrefort voisin, l'on voit la statue fort connue à Chartres sous le nom d'Ane qui vielle. C'est en effet un âne appuyé sur ses pattes postérieures et pinçant d'une espèce de harpe à sept cordes, suspendue à son cou par une courroie. La console qui soutient l'Ane qui vielle est ornée de deux monstres humains qui paraissent écrasés sous le poids du bizarre musicien. La troisième statue a perdu sa tête et ses membres antérieurs; elle est connue à Chartres sous le nom de Truie qui file; cependant ce n'est pas une truie, c'est un vérat. S'il est permis d'en juger par les vestiges des tenons, l'animal grognant portait en effet une quenouille; sa patte droite tenait le fil, et la patte gauche tournait le fuseau 2. Une quatrième statue se dressait probablement sur un socle placé au-dessus du vérat; elle a disparu depuis longtemps; car nos plus anciens historiens n'en font pas mention. Dans l'embrasure de la grande arcade voisine de toutes ces statues, on aperçoit encore quelques vestiges d'un groupe sculpté. Dans l'angle de cette arcade on a tracé, au dernier siècle, une méridienne solaire 3. Sur cette même face de la tour, se trouve une porte à plein cintre, aujourd'hui murée, et qui servait de passage pour aller dans la crypte.

A la naissance de la flèche, quatre frontons très-aigus ornent les

1 Chose étonnante! on voit aussi sur un monument de l'antique Egypte, un âne qui pince la harpe à neuf cordes. (Voyez l'Egypte ancienne, par M. Champollion-Figeac, planche xxxiv.)

2 Que l'on ne s'imagine pas que les artistes prédicateurs du XIIe siècle voulussent faire une mauvaise plaisanterie en plaçant de pareils sujets sur un temple catholique. Nous démontrerons dans notre Monographie générale que sous ces animaux ridicules ils cachaient une leçon de morale pour le peuple.

Cette méridienne n'est pas exacte; elle avance de 4 minutes.

quatre pans de la tour; dans la plus haute lucarne du fronton qui regarde le Clocher-Neuf, on lit l'inscription suivante :

HARMAN

1164 NDD

Quel est cet Harman? Est-ce l'architecte du clocher? c'est probable; mais nous n'oserions l'affirmer.

La flèche est en pierre tendre, taillée en écailles imbriquées. Vers le haut de la pyramide, il y a une lucarne carrée, d'où part une échelle en fer qui permet de monter jusqu'au globe en cuivre doré, dans lequel la croix est entée. On remarquera que les croix qui surmontent les deux clochers, ne portent pas pour girouette le coq, symbole de la vigilance chrétienne, mais un croissant et un soleil; la croix du clocher vieux a de plus des bras terminés par des étoiles: c'est une allusion à un passage de l'Apocalypse, où Marie est représentée comme revêtue du soleil, la lune sous les pieds et une couronne d'étoiles sur la tête 1.

L'intérieur du clocher est divisé en trois étages. Le premier forme une grande salle carrée, éclairée par six baies ogivales, sans vîtres; deux de ces baies sont grossièrement murées. On y a construit une chambre servant de bureau pour l'inspecteur de la Cathédrale.

Le second étage, percé d'un grand nombre d'arcades étroites et ogivales, contenait autrefois deux énormes bourdons, pesant l'un 13,500 kilogrammes, et l'autre 10,000. Mais en 1793, ils descendirent dans le creuset révolutionnaire pour être convertis en gros sous et en canons. Le beffroi qui les suspendait était un chef-d'œuvre; il a été détruit par l'incendie de 1836 2. Une partie

1 APOCALYPSE, XII, 1.

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2 Voyez la gravure de cette charpente dans les Vues pittoresques de la Cathédrale, par Chapuy. - Le savant auteur de la Notice historique sur la sonnerie pense que ce beffroi avait été construit vers l'an 1200; cependant il est à remarquer que sur un des culs-de-lampe du beffroi était sculpté un écusson de France où le nombre des fleurs de lis est réduit à trois, deux et un; ce qui semblerait donner au beffroi une origine plus récente car ce n'a été que sous Charles VI que l'on réduisit à trois les fleurs de lis sans nombre. Voyez D. de Vaines, Dictionn. diplom.

de la voûte de cet étage a été enfoncée en 1793, par la chute du gros bourdon. Aujourd'hui on ne voit à cet étage qu'un escalier à vis de 143 marches, qui conduit au troisième étage, lequel date de 1840 comme l'escalier. Ce dernier étage, construit en poterie, n'est éclairé que par une lucarne.

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CLOCHER-NEUF. Le clocher septentrional est appelé ClocherNeuf, quoique sa partie supérieure appartienne seule à une époque moderne, au XVIe siècle; sa base, jusqu'à la hauteur de la galerie des rois, date du même temps que le Clocher-Vieux. La flèche, qui avait été, au XIIIe siècle, construite en bois et en plomb, fut incendiée en 1506; on résolut alors de la refaire en pierre. L'évêque, Réné d'Illiers, commença par donner 400 livres ; le chapître offrit une somme considérable; le roi Louis XII ordonna qu'on prît 2,000 livres sur ses tailles de Vendôme. L'évêque, pour exciter l'empressement des fidèles, institua des confréries de Notre-Dame dans toutes les paroisses du diocèse, et le cardinal Georges d'Amboise, alors légat, publia des indulgences pour tous ceux qui concourraient, soit par leur travail, soit par leurs aumônes, à la restauration du clocher. Il y eut de toutes parts un zèle, un empressement admirables. Un habile maçon du pays, Jean Texier, dit Jehan de Beauce, se chargea de la direction des travaux. Il gagnait 7 sous 6 deniers par jour, et ses compagnons 5 sous. Les travaux, commencés en 1507, furent terminés en 1513. L'inspecteur des travaux fut le chanoine Vastin des Fugerets.

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Ce clocher, dont la flèche est toute couverte de festons et de dentelles, est préféré par les populations de la province; et l'on peut leur dire avec plus de raison qu'aux habitants de l'Aveyron: « Dans le pieux orgueil que vous inspire la possession de ce mo>> nument incomparable (le clocher de la Cathédrale), vous en parlez avec enthousiasme à vos enfants, dès qu'ils sont capables » de sentir et de comprendre, et vous leur faites désirer comme » une récompense l'heureux jour où ils pourront satisfaire cette ardente curiosité que vos récits ont éveillée dans leurs jeunes imaginations. Vous en emportez l'image dans vos cœurs quand vous quittez vos foyers, et dans vos pérégrinations lointaines, » nationaux et étrangers, également émerveillés, prêtent à vos dis

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cours une oreille charmée, lorsque vous leur racontez sa hauteur fabuleuse, le luxe de ses galeries en dentelles, la richesse et le >> fini des ornements qui le décorent. Le voyageur qui le contemple pour la première fois, s'arrête immobile d'admiration, » devant cette masse prodigieuse et pourtant légère, qui par la >> hardiesse de sa construction et la délicatesse de ses ouvrages >> semble justifier la légende naïve où nous lisons que les anges, >> aux heures de repas des ouvriers, se partageaient ce beau » travail, au bruit des concerts célestes. L'habitant même de la cité, que l'assiduité de son aspect devrait avoir durci aux émo» tions qu'il fait naître, ne passe pas sous son ombre vénérable, » sans lever sur elle un regard où se peint visiblement l'émotion » d'une surprise toujours nouvelle 1.

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Pour nous, dussions-nous attirer sur notre tête tous leurs anathêmes, nous ne partageons pas l'engouement de nos concitoyens pour le Clocher-Neuf, et nous osons dire que malgré la hardiesse et la délicatesse du travail, malgré le luxe de difficultés vaincues, le Clocher-Neuf est loin de la noble et sévère beauté de son rival; nous ajoutons même qu'il est comme un anachronisme qui dépare la majestueuse unité de la Cathédrale.

La base du Clocher-Neuf qui a été bâtie en même temps que celle du Clocher-Vieux, paraît au premier coup-d'œil assez semblable à cette dernière; c'est la même puissance de matériaux, la même solidité de construction; cependant elles se distinguent profondément l'une de l'autre; les contreforts, les ouvertures, les arcades, les colonnes, les corniches, toute l'ornementation, les dimensions même diffèrent par quelque endroit; non-seulement des différences se font sentir entre les deux clochers, mais jusque dans chaque face du même clocher. Tant il est vrai que les architectes du MoyenAge n'ont presque jamais égard à la symétrie, au parallélisme des lignes ils l'évitent par systême, ils y renoncent gratuitement; ils rejettent de leurs monuments cet axiôme des temps modernes :

1 Instructions et Mandements de Mgr Giraud, évêque de Rodez, 1842, tome II, page 298. La pyramide que Mgr Giraud décrit dans un style si pompeux, date de la même époque et est du même style que la flèche de notre Clocher-Neuf, mais elle n'a que 80 mètres de hauteur, tandis que la nôtre en a plus de 115!

La symétrie est la loi de toutes les architectures. En tout ils sont d'une inépuisable variété.

Le Clocher-Neuf est divisé en sept étages voûtés en pierre, et percés chacun de plusieurs arcades plus ou moins larges, plus ou moins richement décorées : toutes les ouvertures ou baies sont sans vitre; mais malheureusement plusieurs sont fermées depuis trente ans avec une ignoble maçonnerie en terre et silex qui enlaidit singulièrement notre clocher. Nous espérons la voir bientôt disparaître.

Le premier étage est percé de six arcades ornées d'élégantes colonnettes et d'archivoltes variées; il forme une grande salle carrée, qui ne renferme plus rien aujourd'hui. Mais du temps de Vincent Sablon, « on y trouvait un moulin à bras et un four à » cuire le pain; à côté était une citerne pratiquée entre les épais» seurs des murailles; tous ces ustensiles servaient autrefois pendant les guerres 1. » La citerne est aujourd'hui remplie d'immondices!

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Le second étage n'est pas plus fourni que le premier; mais jadis «< il y avait de grands rouets propres à de fortes manœuvres, >>> comme pour lever les cloches 2. >> Un escalier va de cet étage au grand comble.

Le troisième étage est appelé la chambre des sonneurs, et forme une salle octogone qui servait d'abri aux sonneurs pendant l'intervalle des volées, lorsqu'il faisait mauvais temps. C'est à cet étage que commencent les constructions du XVIe siècle. Il y a quatre portes qui donnent entrée sur la galerie extérieure de cet étage. La galerie est en mauvais état, et quelques maigres morceaux de fer lui servent de balustrade. Le troisième étage ne reçoit de jour que par le tympan vitré d'une porte. On y a établi en 1845 un grand treuil pour hisser les quatre petites cloches du cinquième étage. Sur le mur méridional de la chambre, on voit une inscription en vingt-quatre méchants vers et destinée à perpétuer le souvenir du désastre de 1506; elle est gravée, dans une pierre blanche, en caractères gothiques. Tous nos historiens l'ont citée d'une manière fautive; M. Benoit est le premier qui l'ait restituée à sa véritable

1 Histoire de l'église de Chartres, 1697, page 70.
2 Histoire de l'Eglise de Chartres, 1697, page 70.

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