Page images
PDF
EPUB

L'architecture du XIIIe siècle, grave et réservée comme une reine, présente un cachet de distinction que la plus riche parure ne peut remplacer.

Pour étudier la savante et harmonieuse combinaison des lignes, il faut se placer à l'entrée de la rue aux Herbes, vis-à-vis du porche méridional. C'est de ce point que l'on voit se dérouler toutes les parties du vaste et majestueux édifice à gauche, les deux flèches aiguës s'élancent dans les airs, les contreforts de la nef se dessinent avec leurs triples arcs; devant soi, on a le perron et le portail avec ses deux belles tours, sa riche statuaire, ses pinacles, ses gargouilles, sa rose aux délicats compartiments; à droite, se présentent et les lancettes et les galeries, et la tour absidale, et les doubles arcs-boutants. Il serait difficile de rencontrer un aspect plus imposant.

L'instant le plus favorable, pour jouir du grandiose de ce coupd'œil, c'est, comme pour le Parthénon d'Athènes, le matin aux premières lueurs de l'aurore, ou mieux encore le soir au clair de la lune. Personne ne saurait dire les sentiments d'admiration et d'étonnement qui se pressent alors dans l'ame émue : la superbe basilique semble revêtir une physionomie nouvelle; les innombrables arcs-boutants, piliers, pyramides, balustrades, pignons, niches, statues qui se dressent, qui se courbent, qui s'élancent, qui rampent ou se prolongent en saillie, apparaissent comme une légion de fantômes brumeux qui s'animent et se mettent en mouvement: ce moment a quelque chose de saisissant et de solennel.

Avant d'entrer dans les détails, jetons un coup-d'œil rapide sur la construction matérielle du colossal édifice. Nous avons déjà dit que les pierres dont est bâtie la Cathédrale, proviennent des carrières de Berchères-l'Évêque; ces pierres sont d'une dimension, d'une résistance et d'une dureté extraordinaires, très-brutes d'aspect et pleines de cavités; c'est du calcaire siliceux. « Les architectes » de la Cathédrale chartraine, dit M. Viollet-Leduc, qui avaient la » faculté de se procurer des pierres énormes, usèrent franchement >> de cette ressource, mais cependant avec mesure et discernement. » Les soubassements de cet édifice gigantesque sont apparents,

1 La vue de la Cathédrale qui orne le frontispice de notre livre, a été prise en cet endroit.

[ocr errors]
[ocr errors]

presque au niveau de la crypte, du côté du nord. C'est là qu'on peut se faire une idée exacte de l'énergie et de la grandeur de >> cette architecture. En effet, vous voyez des blocs de pierre qui » n'ont pas moins de deux à trois mètres de long sur un mètre » de haut, amoncelés les uns sur les autres jusqu'au niveau du » sol de l'église. De grands linteaux (car les architectes de la >> Cathédrale savaient que leur pierre était assez forte pour résister » à une pression énorme), de grands linteaux, soulagés par des

>>

[ocr errors]
[ocr errors]

>>

corbeaux puissants, terminent les ouvertures et rappellent >> certains monuments pélasgiques. Des piédroits d'un seul mor» ceau, abattus sur les angles, s'évasant à la base et au sommet, reçoivent, lorsqu'il est nécessaire, les trop grandes portées. Un passage ménagé dans la saillie du soubassement est plafonné » en dalles épaisses qui, supportées par des encorbellements, peuvent résister à toute la charge des murs du tour du chœur. Quelques jours pris entre de courtes et fortes colonnettes éclai>> rent ce couloir. L'ensemble de cette construction, les tours, les portes, escaliers, passages, ont cet aspect de force, de puissance qui doit appartenir aux fondations d'un monument tel que Notre-Dame de Chartres. Au-dessus de ces empâte>>ments qui paraissent devoir résister à toutes les causes possibles de destruction, vous voyez la construction reprendre peu » à peu des dimensions plus ordinaires; mais cependant, jusqu'aux dernières corniches de l'édifice, cette pierre si rugueuse, » que l'on trouve en grands blocs et qui résiste aux plus fortes pressions, a donné à l'architecture de la Cathédrale un caractère énergique, rude et grand qui frappe l'imagination. C'est là >> l'œuvre de gens entreprenants et maîtres de la matière. Il nous » est arrivé de tomber souvent dans une suite de singulières réflexions, en songeant à ce que devaient être les artistes qui >> concevaient un pareil monument, et qui savaient l'exécuter avec cet entrain, cette science et cette verve si admirables 1. » Il n'y a pas une seule des pierres de la Cathédrale qui ne soit saine, solide, adhérente aux autres, comme si elle avait été posée hier elles ont essuyé six à sept cents hivers comme un jour; le temps s'est incliné devant elles et a passé outre.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

1 Annales archéologiques, tome II, pages 341-343.

1. Les Contreforts et les Galeries.

Les architectes du Moyen-Age dressèrent des contreforts et des arcs-boutants pour comprimer les larges voûtes de leurs églises. La Cathédrale de Chartres en compte trente: ces contreforts sont en forme de piliers carrés, très-saillants à la base et diminuant progressivement dans leur hauteur, qui est divisée en plusieurs étages par des retraits ornés de niches et de frontons aigus que terminent des touffes de feuilles épanouies et d'autres expansions végétales; ils sont de plus percés de plusieurs baies de communication. Les niches des contreforts de la nef sont garnies de statues représentant des évêques et des abbés revêtus des ornements pontificaux; aucun d'eux ne porte le nimbe; à leurs pieds se trouvent des démons ou des monstres grimaçants. Ces évêques et ces abbés sont-ils les donateurs des contreforts, ou sont-ils des saints? Nous l'ignorons.

De ces puissants contreforts s'élancent des arcs-boutants, arcades aériennes qui, se multipliant avec une hardiesse remplie de grâce, vont neutraliser la poussée des larges voûtes de notre basilique. L'architecte n'osa se fier à l'arc-boutant simple; il craignit que la poussée de la voûte n'agît encore au-dessus ou au-dessous du point donné par le calcul en conséquence il donna à l'arc-boutant principal deux arcs secondaires, l'un au-dessus qui va s'appuyer contre l'entablement de l'édifice, l'autre au-dessous qui se réunit à l'arc principal par de fortes colonnes tendant au centre commun et formant comme les raies d'une roue. Autour du chœur, ces deux arcs-boutants sont réunis entre eux par des arcades ogivales surmontées d'une petite rose; de plus, un joli trèfle placé près du contrefort, vient encore ajouter de la grâce à cette savante combinaison. Il suffit de jeter les yeux sur cette construction pour concevoir comment ces deux arcs rendus solidaires par ce moyen ingénieux ont une puissance extraordinaire; comment ils sont en quelque sorte plus résistants qu'un mur, sans en avoir le poids.

Les seize contreforts qui contiennent la voûte du chœur, sont doubles comme les bas-côtés; les premiers à arc-boutant simple soutiennent les seconds et leur donnent ainsi une puissance, une solidité à toute épreuve. Les contreforts et les arcs-boutants du

choeur sont plus légers que ceux de la nef; aussi leur sont-ils postérieurs de quelques années.

>>

[ocr errors]

« On demeure frappé d'étonnement, dit M. Viollet-Leduc, lors

qu'on se promène sur les galeries extérieures de la Cathédrale » de Chartres, et qu'on se trouve vis-à-vis de ces constructions » conçues avec une hardiesse héroïque, exécutées en matériaux énormes, durs comme la fonte de fer, taillés avec un entrain et » une vigueur dont nous avons perdu la tradition 1. » On peut dire que chacun de ces contreforts est un monument complet. Mais presque tous ces contreforts sont en partie cachés par des maisons qui s'élèvent à leurs pieds et qui nuisent tant à l'effet général de l'édifice 2.

Comme toutes les cathédrales du XIIIe siècle, la Cathédrale de Chartres a, au-dessus des corniches qui terminent les murs principaux, des galeries extérieures qui permettent de faire, à diverses hauteurs, le tour de l'édifice. Deux de ces galeries sont ornées d'une rampe ou balustrade en pierre, composée d'arcs trilobés qui s'appuient sur des colonnettes prismatiques. La rampe de la galerie supérieure, autour du grand comble, a été entièrement refaite, après l'incendie de 1836.

$ 2. Les Combles.

Les églises du Moyen-Age ont toutes, dans le nord et le centre de la France, un toit très-élevé et très-aigu, pour faciliter l'écoument des eaux pluviales et des neiges. On évitait la toiture plate des monuments de l'Italie et de la Grèce d'ailleurs les combles en triangle aigu forment à leurs extrêmités des frontons pyramidaux qui communiquent à l'ensemble un élancement considérable. La charpente de cette toiture aiguë n'était pas négligée par les architectes chrétiens; là encore brille leur génie. On a pu en juger

1 Annales archéologiques, tome II, page 340.

[ocr errors]

2 Le Gouvernement a le projet d'acheter ces maisons et de les faire abattre. Ce sera un bienfait pour notre Cathédrale. Dans la vue qui orne le frontispice de notre livre, nous avons supposé que ces maisons avaient déjà disparu.

à Chartres par l'ancienne charpente que l'incendie de 1836 a dévorée, et qui était le chef-d'œuvre des charpentes de tout le Moyen-Age; elle datait des premières années du XIVe siècle. Voici comment en parlent les anciens historiens de notre église :

«Rien de plus admirable que la charpente de la Cathédrale, dit Vincent Sablon, on pourrait la nommer forêt, à cause de la quantité de bois et de ses longues allées à perte de vue. Toutes les pièces de bois y sont si artistement jointes, qu'elles vont aboutir à une grosse pièce de bois qui est au bout du rond-point, qui est suspendue en l'air, et qui néanmoins supporte ces masses de plomb qui en fait la couverture. Le bois de toute cette charpente est encore aussi sain que s'il sortait de la forêt d'où il fut tiré; il n'y a pas la moindre piqûre de ver, ni la moindre pourriture. Il y a des échos si parfaits, qu'ils rendent plusieurs fois la même parole, et qu'il y a un plaisir indicible d'y aller chanter ou d'y jouer de la flûte et de la trompette 1. «La charpente du grand comble, dit M. Gilbert, est construite en châtaignier du plus fort équarrissage. Les combles de cette église ont de hauteur perpendiculaire quarante-quatre pieds; leur construction mérite l'attention des amateurs. L'assemblage de chaque ferme se compose d'un entrait, d'un poinçon, de deux chevrons et de deux croix de Saint-André servant à contre-butter les fermes, qui sont au nombre de cinquante-huit. »

[ocr errors]

Cette belle charpente était couverte en plomb très-épais, qui au Moyen-Age était peint et parsemé de fleurs de lis d'or 2. Elle est aujourd'hui remplacée par une charpente en fer et fonte, la plus belle qu'il y ait en Europe, mais qui est loin de pouvoir rivaliser avec l'antique foret. On remarquera que cette charpente se dessine en ogive très-aiguë. Elle est recouverte en cuivre rouge et éclairée par des chatières trilobées. Une passerelle en bois,

1 Histoire de l'Église de Chartres, édition de 1697, page 64. 2 Sinistres de la Cathédrale, page 7.

3

3 Ce cuivre sera, assure-t-on, remplacé par du plomb. On vient de s'apercevoir que les eaux pluviales en passant sur le cuivre se chargent d'oxide, et agissent alors comme un acide sur le calcaire; elles le corrodent et le rongent. Déjà plusieurs sculptures ont beaucoup souffert.

« PreviousContinue »