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Autrefois le sol de l'église abbatiale était pavé en grandes dalles et jonché des pierres sépulcrales des abbés, des moines et des nombreux bienfaiteurs de l'église. Sous le pavé du chœur se trouvait la sépulture de plusieurs évêques de Chartres, entre autres celle de l'illustre Fulbert; les abbés de Saint-Père y étaient aussi enterrés. Mais la fureur des révolutions a détruit toutes ces pieuses sépultures, placées sous la sauve-garde du sanctuaire et consacrées par les bénédictions de la religion; avec elles se perdirent ces traditions touchantes des aïeux, que le chrétien retrouvait dans le temple, et qu'il associait à ses vœux et à ses prières. Deux tables de marbre placées sur les deux piliers des portes latérales du chœur nous indiquent le lieu de quelques-unes de ces sépultures. Sur la table de gauche, on lit:

Hic jacet sub medio majoris altaris Ragenfredus épiscopus Carnotensis restaurator hujus monasterii, cui 12 prebendas in majori ecclesiâ concesserat; obiit anno 955. Ad illius lævam quiescit Guancelinus episc. Carnotensis: Deinde B. Fulbertus ex monacho Sti Petri-in-valle cancellarius ac tandem antistes ecclesiæ Carnotensis, quam combustam mirificère ædificavit; obiit sanctitate ac doctrinâ conspicuus anno 1028. Ibidem jacet propè murum Clemens de Vitriaco Dolensis episcopus; obiit anno 1244.

Sur la table de droite, il y a :

Hic jacet ad dexteram Ragenfredi episc. Theodoricus episc. Carnotensis qui ecclesiam cathedralem complevit; obiit anno 1048. - Ibidem jacet Aganus episc. Carnotensis hujus cœnobii restaurator, cujus ecclesiam anno 940 ædificavit, quam combustam de novo splendidam construxit, anno 1165 abbas Fulcherius ante majus altare jacens cum aliis abbatibus et doctore Lamberto canonico Carnotensi piissimo. Propè Aganum quiescunt Gislebertus, Aimericus et Agobertus episcopi car

notenses.

Le sol de l'église est aujourd'hui recouvert de simples carreaux de terre cuite; et en outre ce sol été exhaussé d'une manière si

1 On voit dans l'ouvrage de Wilmin la représentation d'une crosse émaillée, que l'on croit avoir appartenu à Rogenfroi; on y lit cette inscription indiquant le nom de l'artiste : Frater Willemus me fecit.

inintelligente que les bases des piliers et des colonnes ont à peu près disparu.

Nous ne parlons pas du mobilier de l'église, pour n'avoir pas à tout critiquer autels, tabernacles, chaire, confessionnaux, stalles, orgue, lutrins, fonts baptismaux, chemin de la croix, bénitiers, tout est indigne d'un temple si magnifique en son architecture. Le banc-d'œuvre seul, quoique assez moderne, a quelque valeur artistique; il provient de l'église de saint Aignan.

CHAPELLES. Six chapelles sont disposées autour du chevet de l'église. On sait que dans la symbolique chrétienne, ces chapelles rayonnantes sont comme la couronne glorieuse qui ceint la tête du Sauveur de nos âmes. Au centre de ce rayonnement, se voit la riche chapelle de Marie, comme pour soutenir la tête inclinée de son Fils mourant. Le grand autel, où s'offre chaque jour le divin sacrifice, représente cette tête auguste, dont la nef et les transsepts rappellent le corps et les bras étendus.

Ces six chapelles étaient richement décorées; toute leur ornementation a disparu en 1795. Aujourd'hui leurs murs ont été enduits de badigeon; leurs colonnes sont marbrées de jaune et de rouge; leurs chapiteaux sont peints de vert bronzé! Et pour compléter cette affreuse décoration, on a bouché la fenêtre absidale de chaque chapelle. C'est ainsi que le XIXe siècle, le siècle des lumières, corrige l'art barbare du Moyen-Age! 1 - Décrivons rapidement ces chapelles.

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La première chapelle, en commençant à gauche, était dédiée à saint Nicolas; nous avons déjà dit que les reliques de saint Gilduin y furent déposées le 9 mai 1165; elles y restèrent jusqu'en 1666. La chapelle sert maintenant de sacristie pour les chantres.

La seconde chapelle n'a pas conservé le titre de saint Benoît qu'elle porta pendant six siècles; le XIXe siècle l'a placée sous le vocable de saint Étienne, premier diacre. Le rétable de l'autel est

1 Quand nous parlons du vandalisme restaurateur du XIXe siècle, nous n'accusons pas M. le curé de St-Pierre ni ses deux vicaires : ce sont des ecclésiastiques instruits, amis de l'art chrétien et incapables de commettre un crime de lèse-archéologie, s'il est permis de parler ainsi.

an bas-relief en plâtre représentant la lapidation du saint martyr. Deux autres plâtres sont posés contre le mur de la chapelle : ce sont les modèles qui ont servi à Bridan pour sculpter les basreliefs du choeur de la Cathédrale.

La troisième chapelle, qui est la plus grande et la plus belle, est consacrée à la sainte Vierge, depuis le XIIe siècle : le MoyenAge ne croyait pouvoir trop honorer celle qui, après Dieu, est tout notre espoir. « Cette chapelle fut en 1622 revêtue d'une fort » belle menuiserie et enrichie de plusieurs tableaux et d'un autel » orné de colonnes, chapiteaux et cadre de bois doré et d'un » balustre qui en fait la cloture; le tout aux frais de Guillaume» Lemasle, prêtre et religieux profès de Saint-Père, qui se retran» cha sur son pain et son vin pour payer ces ouvrages 1. Touchant témoignage de dévotion envers la glorieuse Mère de Dieu! -La décoration moderne de la chapelle se compose de quelques dépouilles arrachées, il y a cinquante ans, aux églises et oratoires de la ville. Ainsi la statue de marbre qui surmonte le tabernacle et qui représente la très-sainte Vierge, provient de l'oratoire du palais épiscopal; cette statue est due au ciseau de Bridan. Le tabernacle en marbre blanc et rouge avec des ornements en bronze doré, était autrefois placé à la chapelle de Notre-Damesous-terre de la Cathédrale; la balustrade qui forme la table de communion, a la même origine. Les émaux qui ornent les parois, décoraient jadis la chapelle du château d'Anet. Ces émaux sont magnifiques, et que de fois nous les avons contemplés avec délices! Quoiqu'ils n'appartiennent pas au Moyen-Age, le dessin en est hardi et savant; nous les regardons volontiers comme un des chefs-d'œuvre de cette époque admirable aussi pour les arts et qu'on désigne sous le nom de Renaissance. Ces émaux ne sont pas l'œuvre de Bernard de Palissy, comme on l'a dit et imprimé : ils sont signés du célèbre Léonard Limousin 2, et portent la date

↑ Histoire de l'Abbaye, ch. 134.

2 Léonard, né à Limoges en 1480, a travaillé pendant tout le règne de François 1er; c'est ce prince qui le surnomma Limousin, ponr le distinguer de Léonard de Vinci. La signature de Léonard de Limoges (LL)

est peinte sur le pommeau de l'épée de saint Paul.

de 1547. Ils représentent les douze apôtres avec leurs emblémes caractéristiques; les apôtres sont ici placés pêle-mêle, et non dans l'ordre des grandes litanies que le Moyen-Age a toujours suivi. A gauche et en commençant près de l'autel, on voit saint Pierre avec sa clef, saint André avec sa croix en sautoir, saint Jean imberbe, bénissant le calice, saint Thomas armé de son équerre, saint Philippe tenant sa petite croix de roseau, et saint Jacquesle-Majeur portant le livre, le bourdon et le chapeau à coquilles sur l'épaule. A droite, il y a saint Paul tenant une épée nue, saint Jacques-le-Mineur avec un livre et une massue, saint Matthias avec la hache, saint Matthieu armé de la pique, saint Barthélemy portant le couteau et le livre, et saint Simon tenant la scie. Chaque apôtre est encadré par des ornements composés de génies, de vases, d'animaux fantastiques, de guirlandes de fleurs, etc.; on y voit aussi le chiffre et la salamandre de François Ier. Les deux statues placées à l'entrée de la chapelle et représentant la Foi et l'Humilité, sont les modèles en plâtre des deux médiocres statues de Berruer qui ornent l'entrée du chœur de la Cathédrale.

La quatrième chapelle était autrefois dédiée à saint Marc, évangéliste et disciple de saint Pierre; il ne reste plus aucun vestige de la décoration faite en 1626 aux frais de Chrétien Marie, prêtre et religieux de l'abbaye. Depuis un demi-siècle, on a dépossédé l'ancien titulaire de la chapelle, pour la donner à saint Jérôme. On voit, en effet, au rétable de l'autel, le saint Docteur presque nu et écoutant avec effroi la trompette du Jugement dernier ce bas-relief en plâtre est très-médiocre. Sur l'autel, il y a un reliquaire moderne en cuivre doré, ayant la forme d'un édicule ogival du XIVe siècle; il contient les reliques de saint Pierre et de saint Paul; il a été donné par M. l'abbé Baret, chanoine honoraire et vicaire de la Cathédrale. Je ne parle pas d'une espèce de cage en mauvaise menuiserie qui recouvre le reliquaire.

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La cinquième chapelle avait autrefois pour patron saint Étienne, premier martyr; elle fut ornée en 1664 de divers ouvrages d'art dont il ne reste plus trace, et on y déposa le corps de saint Gilduin le 9 mai 1666. Elle sert aussi de sacristie

pour

les enfants de chœur. Son architecture romano-byzantine attire les regards de l'archéologue.

La sixième chapelle est dédiée depuis 1847 à Notre-Dame-desSept-Douleurs; elle ne contient rien qui mérite d'être signalé, sinon l'épitaphe suivante, que l'on voit voit gravée sur une plaque de marbre à côté du grand crucifix.

Hic jacet Robertus, filius Richardi primi ducis Normanniæ, primus comes Ebroïcensis et archipræsul ecclesiæ Rothomagensis quam à fundamentis magnificam construxit; obeit anno 1037.

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Cette chapelle date du XIIe siècle; elle était alors sous le vocable de la Conception de Marie. Au XVIe siècle elle fut richement décorée. « Ce furent J. Benardeau et F. Marchand, qui firent la chapelle de la Conception de la très-pure Vierge, et ce fut frère » Christophe de la Chaussée qui donna cet ouvrage, et paya à >> Jean Benardeau pour maçonnerie, colonnes, corniches, frises, >> architrave de pierre de Vernon et de pierre de liais, et autres besognes, excepté les images, la somme de 350 livres, qui » était le prix du marché passé le 8 novembre 1543; et paya à » F. Marchand, pour quinze images et trois sibylles, toutes de pierres de raiasse, et pour les figures qui sont sur la contretable de la chapelle, la somme de cent écus d'or soleil, qui ne » valaient en ce temps-là que deux cent vingt-cinq livres en >> sorte que tout l'ouvrage de cette chapelle, avec les figures, ne » coûtaient que 575 livres; et maintenant (1671) ce serait un ou» vrage de 3,000 livres 1. » Il va sans dire que les vandales du XVIIIe siècle n'ont pas laissé trace de cette décoration.

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VERRIÈRES. Si la cathédrale de Chartres a la gloire de posséder la plus étonnante série de vitres peintes du XIIIe siècle, l'église abbatiale de Saint-Père peut se vanter d'avoir une très-remarquable collection de verrières du XIVe siècle. On y compte trente-six grandes lancettes garnies de vitraux colorés de cette époque. Les verrières qui brillent aux fenêtres latérales du chœur appartiennent à la fin du XIIIe siècle, ainsi que les grisailles du triforium.

Les fenêtres inférieures sont maintenant vitrées en verre blanc;

1 Histoire de l'Abbaye, ch. 126.

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