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hors œuvre et ne tenaient à l'édifice que par un de leurs angles. Guillaume-le-Breton donne la raison mystérieuse de l'incendie de 1194; nous traduisons ses vers latins : « La Vierge, mère de Dieu, qui est et qui se dit Dame de Chartres, voulant rendre plus digne d'elle l'église qui lui appartient, permit par une admirable prévoyance qu'elle fût la proie des flammes, afin que cet incen>> die fût comme un remède à l'état misérable dans lequel languissait cette Maison du Seigneur, et qu'il donnât lieu à la » construction de l'édifice actuel qui brille sans égal dans tout

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1

>>> l'univers. » Jehan le Marchant trouve une autre cause:

par venchance

De Dieu est ceste meschance

Avenue, moult aspre et moult dure :
Iceste grant mesaventure

Est par vous pechiez avenue.

RECONSTRUCTION DE LA CATHÉDRALE.

2

La piété de nos pères

ne laissa pas longtemps la ville sans sa Cathédrale. Mélior, cardinal-légat du pape Célestin III, se trouvait à Chartres lors du sinistre. Sur les ruines encore fumantes de la basilique de Fulbert, il fait assembler le clergé et le peuple de Chartres, et il leur parle avec tant d'entraînement, que tous, oubliant leurs pertes et désastres personnels, s'engagent à relever leur Cathédrale avec toute la splendeur que l'on pouvait atteindre et avec une solidité capable de résister aux efforts du temps et du feu. A cet effet, l'évêque Regnault de Mouçon et les chanoines abandonnèrent tout le produit de leurs revenus et de leurs prébendes pendant trois années; écoutons Jehan le Marchant :

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Tout le peuple donna aussi largement, jusqu'à ses meubles :

borjois et rente et mueble

Abandonerent en aie

Chascun selon sa menantie. 1

Le poète ajoute plus loin que la Reine du ciel, qui voulait posséder à Chartres un temple sans pareil dans le monde, fit en ce temps-là de nombreux miracles qui excitèrent de plus en plus la pieuse libéralité des fidèles; mais laissons parler encore le naïf et dévôt trouvère du XIIIe siècle.

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Le même enthousiasme, la même générosité se retrouvaient alors chez tous les peuples de l'Europe centrale. C'était l'époque où l'on regardait comme un grand acte de piété et de patriotisme que d'entreprendre de pareils monuments; car la Cathédrale et le beffroi communal étaient les fidèles images de la cité chrétienne et libre. C'était l'époque où à l'enthousiasme des croisades succéda la sainte ardeur des constructions religieuses: On se croisa, dit un écrivain, non plus pour s'en aller guerroyer au pays d'Orient, mais pour travailler humblement à l'œuvre de Dieu, de Notre-Dame et des Saints. Alors on n'avait pas encore vu les maîtres-maçons mercenaires, ni les ouvriers qui ne travaillaient qu'à beaux deniers comptants. C'était aussi l'époque où l'architecture venait de subir une métamorphose complète; une immense impulsion avait emporté les architectes dans des voies nouvelles :

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aux édifices romano-byzantins, généralement lourds et massifs, allaient succéder des édifices d'une hardiesse, d'une élégance, d'une grâce inouïes.

Les générosités du clergé et des habitants de la province, jointes à celles de Philippe-Auguste, de Louis VIII et de saint Louis, prétèrent une puissante assistance au maître de l'œuvre1, c'est-à-dire à l'architecte chargé de reconstruire le nouveau sanctuaire dédié à la Vierge, Mère de Dieu. Quel est cet architecte, cet homme de génie capable de créer un chef-d'œuvre comme notre Cathédrale? L'histoire est muette sur son nom; il faisait sans doute partie de ces corporations de maçons et de tailleurs d'image, artistes d'élite, qui, sous la conduite d'un moine, sillonnaient la France en bâtissant des églises, et que le peuple appelait naïvement les logeurs du bon Dieu. Dédaigneux de la gloire d'ici-bas et entièrement voués à l'œuvre sainte, ces hommes inconnus de la postérité, connus de Dieu seul, nous ont laissé des chefs-d'œuvre qui n'immortalisent aucun nom en particulier, mais qui feront à jamais la gloire de l'esprit chrétien. Ajoutons que leurs œuvres merveilleuses, créées dans des temps pauvres et barbares, demeurent au milieu de nous comme un défi solennel que n'osent accepter, avec leurs immenses ressources, les siècles que l'incrédulité a flétris.

Cependant les travaux de la Cathédrale se poursuivaient avec une activité prodigieuse, et en 1220, Guillaume-le-Breton pouvait déjà dire: « Entièrement rebâtie à neuf en pierres de taille, et » terminée par une voûte que l'on peut comparer à une écaille de » tortue, la Cathédrale de Chartres n'a plus rien à craindre du » feu, d'ici au jour du jugement dernier, et elle sauvera du feu » éternel les nombreux chrétiens qui par leurs bienfaits ont con>> tribué à son rétablissement 2. » Toutefois il restait encore à élever les porches et les tours, et à faire tout ce qui devait compléter l'édifice en l'embellissant, c'est-à-dire les vitraux colorés et les innombrables statues qui le peuplent; mais on travailla avec tant d'ardeur, que l'immense Cathédrale fut presque complètement achevée soixante-six ans après l'incendie de 1194; elle

1 Li mestre de loeure, dit Jehan le Marchant,

2 Historiens de France, tome XVII, page 171.

page 31.

fut avec grande pompe et grande allégresse consacrée le 17 octobre 1260, par Pierre de Maincy, soixante-seizième évêque de Chartres. Le roi saint Louis y assistait, dit-on, avec toute la famille royale.

PORTIONS AJOUTÉES APRÈS LA DÉDICACE. Nous venons de le dire, la Cathédrale beauceronne était à peu près complète lors de sa dédicace; cependant la statuaire des deux porches latéraux ne fut terminée que vers 1280; on y voit même quatre ou cinq statues du XIVe siècle. Le jubé ne fut construit que dans les dernières années du XIIIe siècle; la sacristie date de la même époque. Les trois pignons de la Cathédrale appartiennent au commencement du XIVe siècle. En 1349, le chapitre fit ériger, au chevet de l'église, une grande chapelle dédiée à saint Piat, dont le corps sacré attirait alors une foule de pieux fidèles; et c'est avec leurs offrandes que l'on couvrit la dépense de cette construction. La chapelle de Vendôme, qui est pratiquée au côté méridional de la nef, a été ajoutée en 1413; ce fut Louis, comte de Vendôme, qui la fit construire, pour accomplir un vœu qu'il avait fait à la sainte Vierge. Le commencement du XVIe siècle vit s'élever la belle flèche du Clocher-Neuf, et la clôture du chœur, si admirée des étrangers. Nous ne faisons qu'effleurer ici ces divers sujets, parce que nous y reviendrons plus tard.

DÉGRADATION DE LA CATHÉDRALE. La révolution liturgique et artistique qui se fit au XVIIIe siècle, n'épargna point notre Cathédrale. C'est sous son inspiration froide, mesquine et de mauvais goût qu'a été exécutée la prétendue restauration du chœur. Le jubé, délicieuse tribune, ouvrée avec tant d'art au Moyen-Age, et d'où l'Évangile se lisait aux fidèles, le jubé fut abattu. Il fut

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1 ‹ La Cathédrale, dit Souchet, fut dédiée le 17 octobre 1260 par » notre évesque Pierre, à la poursuite de saint Louis qui obtint en cette considération des indulgences du pape Alexandre pour ceux qui visiteraient ce s. temple le jour de sa consécration et tous les ans au même jour et jusques à la fête de Noël. Histoire de Chartres, page 317. Le bref d'Alexandre IV se voit dans la Gallia christiana, tome VIII, page 370 des Instrumenta.

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remplacé par deux mauvais murs pauvrement sculptés. Les scènes charmantes de la riche clôture du chœur furent masquées par les tristes bas-reliefs de Bridan, ou par de lourdes draperies en stuc.

Les arêtes délicates des ogives disparurent sous un luxe de stucage et de marbrerie ridicule; l'architecture fut défigurée. - On remplaça l'antique et sévère dallage par des carrés de marbre blanc et noir, et aujourd'hui le pavé du chœur de notre Cathédrale ressemble à celui d'une salle à manger d'une maison bourgeoise! Un autel sans style, sans grandeur, sans élégance, sans caractère, s'éleva dans le sanctuaire, devant un groupe qui n'est pas tout-àfait sans mérite, mais qui n'est point à sa place. - De lourdes stalles chargèrent les côtés du chœur. Enfin, pour mettre en lumière tous ces contre-sens, on défonça plusieurs verrières, parmi lesquelles se trouvaient celles qui avaient été données par saint Louis et saint Ferdinand de Castille. Ah! sans doute, lorsque, après le bruit et les dégâts du marteau, les anges revinrent dans le saint lieu, ils ne reconnurent plus le sévère et religieux sanctuaire où ils se plaisaient tant à descendre!

Cette déplorable restauration coûta des sommes considérables. En vérité on regrette que les chanoines aient consacré plus de 400,000 francs pour dégrader le chœur de leur sublime Cathédrale. Aujourd'hui ce chœur n'a plus rien de son caractère primitif et vénérable figurez-vous un vieillard habillé en jeune homme, le visage tout fardé, le chef couvert d'une perruque blonde et bouclée!

En 1791 et 1792, la décoration entière des chapelles fut renouvelée, et l'on construisit deux nouvelles chapelles dans les bascôtés de la croisée. Pour les décorer, on se servit des dépouilles des différentes églises de la ville qui furent supprimées à cette époque. Cette décoration est tout ce qu'on peut voir de plus disparate et de plus pitoyable.

La révolution impie de 1793 vint ensuite s'abattre sur la Cathédrale avec toutes les fureurs du vandalisme le plus sauvage. Elle enleva les vases sacrés, elle brûla les vêtements sacerdotaux, elle s'empara du trésor, le plus riche de France, elle dispersa les vénérables reliques des saints. Une souscription de 100 francs déposée à la caisse de bienfaisance obtint le droit de briser la statuaire admirable de nos portiques; mais le conventionnel Sergent-Marceau eut le bonheur d'arrêter la main dévastatrice. L'impiété substitua,

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