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vèrent leur église. L'histoire est muette sur la forme et l'étendue de cette seconde cathédrale. Mais quand les Normands conduits par Hasting, leur chef, apportèrent dans notre patrie le ravage, l'incendie et la mort, Chartres fut assiégée par ces barbares. Après un siége infructueux, ils eurent recours à la ruse; feignant de vouloir se convertir, ils demandèrent le baptême; une fois introduits dans la ville, les perfides mirent tout à feu et à sang la Cathédrale ne put échapper à leurs fureurs sacriléges. L'évêque saint Frobold et son clergé, avec une multitude de chrétiens, qui s'étaient réfugiés dans le temple, y furent égorgés et ensevelis sous ses débris fumants 1. Cet affreux désastre eut lieu au mois de juin 858.

Une troisième basilique fut reconstruite au premier moment de sécurité, par les soins de l'évêque Gislebert. Mais elle eut bientôt. le sort de ses deux devancières : pendant la guerre que Thibautle-Tricheur, comte de Chartres, soutint contre Richard, duc de Normandie, elle devint la proie des flammes, le 5 août 963, sous l'épiscopat de Hardouin.« On réédifia l'église de rechef, dit un de

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ses historiens, et on la fit la plus belle, la plus magnifique et la plus pompeuse du monde; et celle-ci encore était à peine achevée, qu'elle fut encore désolée par un funeste embrasement. Car le 7 septembre 1020, sous le règne de Robert et l'épiscopat » de Fulbert, elle fut brûlée par le feu du ciel, si bien qu'il n'en >> demeurât que de misérables restes et de tristes ruines 2. » Ce qui prouverait qu'elle aurait été construite seulement en bois, ou du moins que cette matière y dominait, selon les procédés usités à cette époque.

FULBERT RELÈVE SA CATHÉDRALE.

Notre illustre Fulbert se

mit aussitôt en œuvre pour relever son église épiscopale. Il écrivit au roi Robert, appelé le Père de l'architecture religieuse, à tous les souverains de l'Europe civilisée, aux princes et aux gentilshommes de France, pour les engager à coopérer, par leurs bienfaits, à cette grande œuvre. Son appel fut entendu; tous donnèrent libéralement pour aider à l'érection du saint édifice. Fulbert lui

1 Gallia Christiana, tome VIII, col. 1105.

2 Histoire de l'Église de Chartres, par

Sablon, page 13.

même, son clergé et tout le peuple y contribuèrent aussi avec une admirable générosité.

Les travaux furent commencés sur un vaste plan, et ils furent poussés avec tant d'activité que la Cathédrale sortit par enchantement du milieu de ses ruines. Deux ans s'étaient à peine écoulés depuis l'incendie, que les cryptes étaient achevées. La Cathédrale était déjà fort avancée, lorsque Fulbert mourut, le 10 avril 1029; il laissa une grande partie de sa fortune pour continuer la reconstruction de son église. Son successeur, Thierry, poussa les travaux avec la même activité, et il fit la dédicace du nouveau temple le 17 octobre de l'année 1037 1. Peu de temps auparavant, le roi Henri Ier avait fait construire à ses frais le lambris ou bardeau des voûtes en bois de la Cathédrale.

A partir de la dédicace, on ne trouve plus dans les nécrologes de la Cathédrale aucune mention de travaux de construction pour la basilique de Fulbert. Saint Yves lui-même, si jaloux de la gloire de son église, ne chercha qu'à l'embellir; il y fit construire, en 1099, un magnifique jubé à l'entrée du choeur. Il demanda et obtint de sainte Mathilde, reine d'Angleterre, les fonds nécessaires pour recouvrir en plomb le toit déjà détérioré. La pieuse reine donna aussi de fort belles cloches que le bienheureux Yves fit placer provisoirement sur un lieu élevé de l'église, car il n'existait pas encore de tours ni de clochers à cette époque 2.

CONSTRUCTION DES CLOCHERS. Quelques années après la mort. du bienheureux Yves, arrivée en 1115, on jeta les fondements des deux clochers que nous admirons encore aujourd'hui et qui sont si populaires en France. Les travaux étaient en pleine acti

1 Historiens des Gaules, tome II, pages 29 et 217.

4. page

2 Notice sur la sonnerie, Ces cloches données par sainte Mathilde ont été fondues par l'incendie de 1194; en effet le Poème des Miracles dit, page 19:

Lardeur du feu le plon fundi,

Trébuchièrent murs et mésières,

Brisèrent cloches et verrières.

Ce poème a été mis en vers romans en 1262, par Jehan Le Marchant. M. Garnier, libraire, vient d'éditer ce curicux poème.

vité en 1145, comme nous l'apprenons de deux pièces historiques fort intéressantes. Nous devons les rapporter ici; on y verra un exemple de ce zèle ardent qui animait alors les cœurs fidèles, quand il s'agissait de la construction d'une église. Voici d'abord comment s'exprime, à l'année 1145, Haymond, abbé de SaintPierre-sur-Dive, dans son livre intitulé Relatio de Miraculis beatæ Mariæ:

« C'est un prodige inoui que de voir des hommes puissants, >> fiers de leurs naissances et de leurs richesses, accoutumés à » une vie molle et voluptueuse, s'attacher à un char avec des >> traits et voiturer les pierres, la chaux, le bois, et tous les » matériaux nécessaires pour la construction de l'édifice sacré. Quelquefois mille personnes, hommes et femmes, sont attelées » au même char, tant la charge est considérable, et cependant » il règne un si grand silence, qu'on n'entend pas le moindre murmure. Quand on s'arrête dans les chemins, on parle, mais » seulement de ses péchés, dont on fait la confession avec des » larmes et des prières; alors les prêtres engagent à étouffer les

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haines, à remettre les dettes, etc. S'il se trouve quelqu'un assez » endurci pour ne pas vouloir pardonner à ses ennemis, et refuser » de se soumettre à ces pieuses exhortations, aussitôt il est déta>> ché du char et chassé de la sainte compagnie 2. »

Haimon rapporte ensuite que ces travaux s'entreprenaient principalement durant la belle saison; que pendant la nuit on allumait des cierges sur les charriots, autour de l'église en construction, et qu'on veillait en chantant des hymnes et des cantiques. Enfin il nous apprend que ce pieux usage de se réunir pour travailler à l'œuvre des cathédrales prit naissance à Chartres 3; mais

1 Les pierres dont est construite toute la Cathédrale, ont été extraites des carrières de Berchères, village à 8 kilomètres de Chartres, sur la route d'Orléans; c'est là que les admirables chrétiens du XIIe siècle allaient les chercher.

2 Annales bénédictines, tome VI, page 394; tome XIV, page 319.

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Historiens des Gaules,

Hujus sacræ institutionis ritus apud Carnotensem ecclesiam est - La Chronique de Normandie, en l'année 1145, nous

» inchoatus. »

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qu'il se continua dans la Normandie et dans toute la France, surtout dans les lieux où l'on élevait des temples dédiés à la Mère de la miséricorde.

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Ecoutons maintenant Hugues, archevêque de Rouen, écrivant en 1145, à Théodoric, évêque d'Angers: Les habitants de Chartres ont concouru à la construction de leur église en charriant des matériaux; Notre-Seigneur a récompensé leur humble >> zèle par des miracles qui ont excité les Normands à imiter la piété de leurs voisins. Nos diocésains, ayant donc reçu notre bénédiction, se sont transportés à Chartres, où ils ont accompli » leur vœu (celui de travailler à la construction de l'église en esprit de pénitence et de dévotion envers Marie). Depuis lors, » les fidèles de notre diocèse et des autres contrées voisines, ont >> formé des associations dans un but semblable; ils n'admettent >> personne dans leur compagnie, à moins qu'il ne se soit confes» sé, qu'il n'ait renoncé aux animosités et aux vengeances, et ne >> se soit réconcilié avec ses ennemis. Cela fait, ils élisent un chef sous la conduite duquel ils tirent leurs charriots en silence et » avec humilité 1.

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NOUVEAU SINISTRE.

Le clocher-vieux était à péine terminé, et le clocher-neuf ne s'élevait encore qu'à la hauteur du comble de la Cathédrale, lorsqu'un quatrième incendie vint détruire la vaste basilique de Fulbert et de Thierry. ce sinistre arriva au mois de juin 1194. Nos bréviaires modernes et presque tous les historiens de notre province et de notre Cathédrale, passent sous silence ou révoquent en doute l'incendie de 1194, et ils admettent que l'église actuelle est la même que fit élever l'illustre Fulbert, au commencement du XIe siècle. Cependant rien de plus certain que cet incendie: une foule de documents puisés dans nos vieilles archives et dans les écrivains contemporains, l'attes

apprend le même fait : « Hoc eodem anno cœperunt homines prius apud > Carnotum curros lapidibus onustos, annona et rebus aliis, trahere ad opus ecclesiæ cujus turres tunc fiebant. (Historiens des Gaules, tome XIII, page 290.)

1 Historiens des Gaules, tome XIV, page 319.

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tent, et tous les principes architectoniques démontrent jusqu'à l'évidence que la Cathédrale appartient au XIIIe siècle.

Ce dernier sinistre détruisit tout; l'église de Fulbert disparut, ne laissant de sa magnificence trop vantée que les cryptes ou grottes souterraines et les deux clochers, qui étaient construits

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1 Parmi ces nombreux documents, nous en choisirons quatre ou cinq seulement, parce que nous réservons les discussions et les détails pour notre Monographie générale. Voici d'abord les témoignages de Rigord, moine de Saint-Denis, mort en 1209, et de Guillaume-le-Breton, prêtre, mort après 1226, tous deux historiographes de Philippe-Auguste. « Anno Domini MCXCIV...., ecclesia beatæ Mariæ Carnotensis incendio conflagravit. » (Historiens des Gaules, tome XVII, page 41.) • Anno MCXCIV, dit Guillaume-le-Breton, ecclesia beatæ Mariæ Carnotensis casuali incendio consumpta est, sed post à fidelibus incomparabiliter miro et miraculoso tabulatu lapideo reparata est. (Historiens des Gaules, tome XVII, page 72.) — Robert d'Auxerre, mort en 1212, parle ainsi dans sa Chronique, sous la date de 1194 : « Carnotum civitas populosa, ædificiis conferta, subitâ exustione vastatur; ⚫ illo quoque incendio illa insignis ecclesia nomine Dei Genitricis ornata cum toto claustro conflagravit et corruit, ubi etiam reliquiarum » et hominum multido, nec non et ornamentorum congeries immensa deperiit.» (Historiens des Gaules, tome XVIII, page 258.) - La bibliothèque de Chartres possède un manuscrit des premières années du XIVe siècle; or ce manuscrit, après avoir parlé de la croisade de Philippe-Auguste et de Richard, en 1194, ajoute incontinent: Maintes villes ardirent, entre lesquelles la cité de Chartres avec lesglise >> Notre-Dame ardy. Et disaient aucuns qu'ils avaient veu les corbeaux porter les charbons ardents par l'air.» (Manuscrit, no 17 de la deuxième partie du catalogue, page 189.) Le judicieux Mézeray rapporte le même fait et dans les mêmes termes que notre manuscrit : En l'année 1194, dit-il, plusieurs beaux édifices furent consumés par le feu, comme le château de Chaumont et l'église de Notre-Dame » de Chartres. Ces embrâsements étaient d'autant plus effroyables que » la cause en était attribuée aux démons: plusieurs personnes rappor» tant qu'on les voyait en forme de corbeaux porter en leur bec des » charbons ardents dans l'air. D (Histoire de France, in-folio, tome II, page 134). — Nous renvoyons nos lecteurs curieux de voir de plus longs détails aux Notes insérées, par M. Benoit, dans les Annuaires de 1844 et 1845, et surtout aux savantes Recherches de MM. Rossard de Mianville et Chasles, placées à la fin du Poème des Miracles.

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