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encore nous effleurerons à peine la partie architecturale de notre sujet, afin d'avoir un peu plus d'espace à consacrer à la sculpture et à la peinture.

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Les heureux effets de son architecture hardie et gracieuse, quoiqu'un peu massive, ont beaucoup diminué depuis que le XVIIIe siècle a fait enlever les verrières du chœur; lorsque l'édifice, dans toute sa longueur, ne recevait que la lumière tempérée par les mille couleurs des émaux, les lignes architecturales en recevaient 'une harmonie particulière; aujourd'hui le jour trop vif qui éclaire le chœur, rompt brusquement les lignes, change les effets qui avaient été combinés et les résultats primitivement obtenus; la vaste basilique semble avoir perdu de son immense profondeur.

Notre Cathédrale n'a pas conservé cette teinte sombre et vénérable que le temps lui avait donnée; on a couvert d'un fard grossier les vénérables rides qui faisaient sa gloire; on l'a dépouillée de cette poussière que les siècles y avaient successivement déposée. Vers 1772, le Chapitre la fit badigeonner par des Milanais nommés Borani; de sorte qu'aujourd'hui, murs, piliers, colonnes, chapiteaux, voûtes, tout est couvert d'une épaisse couche d'un badigeon beurre-frais; rien n'a échappé à ce grossier travestissement dont la vulgaire monotonie déshonore le noble édifice 1.

Cinquante-deux piliers isolés et quarante pilastres liés par des murs soutiennent la Cathédrale dans toute son étendue et en forment l'ordonnance pittoresque. Parmi les piliers, trente-deux sont formés alternativement d'un cylindre ou d'un prisme octogone, cantonnés de quatre colonnes rondes ou prismatiques, qui se détachent aux cinq sixièmes; trois de ces colonnes reçoivent les retombées des arcs-doubleaux des bas-côtés; la colonne qui regarde l'intérieur de la nef et du chœur, supporte cinq colonnettes

1 On a récemment débadigeonné la cathédrale de Strasbourg, et par là on lui a rendu sa mystérieuse et sévère grandeur. Le Gouvernement ne rendra-t-il pas le même service à notre incomparable basilique?

s'élançant jusqu'au milieu des fenêtres supérieures, où elles reçoivent sur leurs chapiteaux les arcs-doubleaux et les nervures de la voûte principale. Ainsi partant du sol, ces colonnes légères jaillissent en gerbes jusqu'au faîte de l'édifice et en rattachent mystérieusement tous les membres.

Autour du chœur, comme on peut le voir sur le plan, il y a seize piliers ronds ou octogones; ils sont isolés, c'est-à-dire sans colonnettes qui viennent les cantonner; ces piliers, que les Anglais appellent piliers normands, sont assez rares en France dans les monuments du XIIIe siècle. Les quatre gros piliers du centre de la croisée sont couverts de nombreuses colonnettes qui s'élancent du pavé jusqu'à la voûte. « Les piliers de la nef sont lourds et massifs, dit M. Parker, comme si les ouvriers avaient été effrayés » de donner des soutiens trop légers à une voûte d'une si prodigieuse hauteur 1. »

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Les trente-huit pilastres sont généralement composés d'un prisme carré dont la face antérieure est ornée d'une grosse colonne ronde ou octogonale, et dont les deux angles sont évidés en colonnettes rondes. A côté de celles-ci, il y a une colonnette plus petite qui supporte l'archivolte de la fenêtre.

Les bases des piliers sont carrées ou octogonales; les bases des colonnes sont toutes carrées, et leurs moulures sont circulaires ou prismatiques comme le fût de la colonne qu'elles décorent. Les chapiteaux des piliers et des colonnes sont riches et variés : ils se composent de volutes végétales; souvent les volutes alternent avec des feuilles sculptées d'après nature et appliquées à plat contre la cavité du chapiteau. « La végétation capricieuse de la fin du

XIIe siècle s'y fait encore distinguer au milieu des feuillages plus >> sévères imités de la nature au commencement du XIII. L'art >> chrétien y a jeté, avec cette grâce naïve qui forme un de ses » mérites, des branches d'arbre coupées dans nos bois, avec les >> mille fleurs cueillies dans nos champs. La flore murale du XIII

2 An introduction to the study of gothic architecture, par M. Parker d'Oxford, page 222. M. Parker est un des savants archéologues d'Angleterre; il y a popularisé l'archéologie par ses admirables traités élémentaires sur la science.

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siècle est peut-être moins variée que celle du XIV; mais déjà cependant quel heureux choix des formes les plus élégantes, quelle science dans leur disposition symétrique 1! »

Les douze piliers de la nef étaient autrefois décorés des statues colossales des douze apôtres, placées entre socles et dais; elles ont été brisées en 1793 2.

Dans sa hauteur, la Cathédrale rappelle le mystère de la Trinité : elle est divisée en trois parties. Il y a d'abord les travées qui donnent passage sous les bas-côtés et dont les arcades sont en ogive composée d'un arc-doubleau et de deux tores. Au-dessus des arcades règne la galerie ou triforium formant une élégante ceinture qui presse le milieu de la basilique; ce triforium est composé de quarante et une travées, et chaque travée comprend cinq arcades ogivales supportées par de légères colonnettes; ceš arcades et ces colonnettes étaient peintes autrefois : on aperçoit encore des vestiges de peinture sous le badigeon boueux qui les recouvre aujourd'hui. Enfin au-dessus de chaque travée et du triforium s'élancent deux hautes et larges fenêtres géminées et

1 Cathédrales de France, par M. l'abbé Bourrassé, page 560.

2 Des vieillards nous ont assuré que les fragments de ces statues se trouvent dans les fondements de la maison occupée par M. Vangeon, carrossier sur la place des Epars. Ces statues avaient 7 pieds de hauteur, d'après Pintard (Histoire de Chartres, page 703).

3 Le savant et pieux architecte de la cathédrale a imprimé, sur toutes les parties de son œuvre, la doctrine de la Sainte Trinité. Cette doctrine, on la trouve dans la largeur composée de la nef et des deux bas-côtés, dans la longueur qui embrasse la nef, le chœur et le sanctuaire, dans la hauteur qui comprend les travées, le triforium et la claire-voie. Il y a trois entrées, chaque entrée a trois portes, trois baies et trois pignons. Dans la nef on compte 'deux fois trois piliers sur chaque côté; les croisillons du transept ont chacun trois travées et trois piliers. Les fenêtres supérieures sont aussi formées de trois parties: une rose et deux lancettes ogivales. Il y a trois marches pour monter au chœur, trois marches pour monter au sanctuaire, et trois marches pour monter à l'autel. Il est impossible de ne pas rencontrer un plan arrêté, par une pensée de foi, dans le nombre trois si souvent répété. (Voyez le Symbolisme dans les églises du Moyen-âge, page 138-141.)

surmontées d'une rose à huit pétales que séparent et terminent des quatre-feuilles ces roses offrent une riche disposition. Dans les bas-côtés, le mur de face est percé de lancettes simples de grandes dimensions; autour du chœur les lancettes sont géminées et surmontées d'une petite rose formée d'un simple cercle.

Nous l'avons déjà dit, les voûtes de la nef et du chœur sont les plus larges et les plus hardies de la France. Elles sont formées de voûtes partielles ogivales, dont les arêtes reposent sur des arcsdoubleaux et des nervures toriques croisées. Depuis que les Borani ont badigeonné la Cathédrale, on dirait que ces voûtes sont en pierres de taille. car ils y ont formé des carrés par des traits plus foncés qui simulent le joint des pierres; mais elles sont construites d'après le système ordinaire du Moyen-Age, qui consistait à former les voûtes partielles au moyen de petites pierres noyées dans un excellent mortier, ce qui rendait les voûtes fort légères. « Ce n'est plus ici l'épaisseur de l'austère plein-cintre, dit M. Le » Maistre d'Anstaing, c'est une simple maçonnerie, retenue par » de légères nervures, couvrant de larges espaces et soutenue à une grande hauteur par les piliers, ainsi qu'une tente jetée sur » des colonnes; c'est comme un firmament figuré, vers lequel » s'élèvent les prières et les soupirs des fidèles, et qui reporte la pensée vers le ciel véritable, vers le trône sublime du Tout» Puissant, objet de nos vœux et de nos espérances 1. » A la jonction des nervures, une clef de voûte se montre ornée d'une gracieuse guirlande de fleurs ou de feuillages; toutes les clefs ont conservé leur décoration peinte et dorée du XIIIe siècle. L'ouverture des clefs de voûte de la nef est ronde; celle des clefs de voûte du chœur est quadrifoliée. Autrefois quelques portions des voûtes étaient azurées et étoilées d'or.

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1 Recherches sur l'histoire et l'architecture de l'église cathédrale de Tournay, tome 1er, page 135.- Excellent ouvrage, plein de curieuses et savantes recherches, où l'archéologue trouvera d'utiles renseignements. Si nous ne craignions de blesser sa modestie, nous dirions que M. d'Anstaing brille parmi les archéologues les plus distingués de la noble et savante Belgique.

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Le pavé de la Cathédrale est dépourvu de tout intérêt au point de vue de l'art; il est composé de grandes dalles en pierres de Berchères de différentes dimensions; ce qui forme un pavage irrégulier mais sévère qui convient parfaitement à l'édifice. Les riches et généreux chanoines du siècle dernier, possédés de la manie de restaurer, avaient conçu et arrêté le dessein de faire enlever ce dallage du XIIIe siècle pour le remplacer par du marbre. Les évènements de la grande révolution les empêchèrent d'exécuter leur projet.

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Le sol de notre basilique ne forme pas, comme ailleurs, une nécropole chrétienne, un vaste ossuaire où sont ensevelies les nombreuses générations des évêques, des chanoines et des bienfaiteurs de l'église : elle ne contient aucune sépulture. Laissons le bon Rouillard nous en donner la raison : «Ladicte Eglise ha >> cette prééminence que d'estre la couche ou le lict de la Vierge. » Pour marque de ce, la terre d'icelle Eglise ha esté jusqu'à hui >> conservée pure, nette et entière, sans avoir jamais été fossoyée >> ni ouverte pour aucune sépulture. Les Déliens mêmes le pratiquoient ainsi en l'honneur de Latone. C'est la cause principale » pour laquelle ne s'est jamais faicte aucune inhumation, en l'église de Chartres. De sorte qu'en l'année mil cinq cens » soixante huict, comme on s'efforcea par jussions réitérées du » Roi, et à l'instance des plus apparens Princes et Seigneurs de » la cour, d'enterrer au chœur d'icelle Eglise, le sieur Baron de Bourdeilles, Colonnel des Gascons, qui avoit été tué deffendant » la bresche de la ville, contre les Huguenots. Sur ce que les >> Sieur Doien, chanoines et chapitre, après avoir faict toutes les >> résistances à eux possibles, s'apperceurent que c'étoit plus >> court d'acquiescer au temps. Ce fut avec condition expresse, » que la terre ne seroit point ouverte, et que la bière ne touche>> roit point au pavé : ains seroit sur icelui posée une grille de fer, » sur icelle la bière, et close de toutes parts, d'une forte pierre » de taille, sans épitaphe, graveure ny escripture 1. » Le corps du

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1 Parthenie, 1re partie, page 161.

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