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qui formaient le corps de réserve de l'armée sicilienne se comportèrent si courageusement que l'issue de la lutte resta long-temps douteuse (1). Mais dans ce moment critique, les comtes de Cerra et de Rovetta quittèrent le champ de bataille avec les troupes qu'ils commandaient (2).

Manfred comprit que tout était perdu. Cette défection inattendue lui enleva une grande partie de ses forces, et glaça le courage de ce qui lui restait d'amis. Comme il accompagnait de ses tristes regards les traîtres qui fuyaient, l'aigle d'argent qui surmontait son casque s'en détacha soudainement et tomba à terie (3). « Ce n'est pas là un accident, s'écria-t-il, car je l'avais attaché moi-même ce matin de mes propres mains. » L'espérance l'avait abandonné: il enfonça ses éperons dans les flancs de son cheval, et s'élança au plus fort de la mêlée : son bras terrible, comme dans les jours de victoire, fit mordre la poussière à de nombreux combattants, et il tomba de lassitude sur un monceau de cadavres.

Ici finit la dynastie normande de Sicile. La domination de Charles d'Anjou fut de courte durée; en 1282, le sang des Français coula dans les fameuses Vêpres Siciliennes, et le peuple, après son sanglant triomphe, appela au trône Pierre d'Arragon, l'époux de Constantia, fille de Manfred. Alors commença la dynastie des princes Arragonais, et la Sicile n'eut jamais depuis que des rois ou des vice-rois d'origine espagnole.

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EXCURSION MONUMENTALE

EN SICILE.

CHAPITRE Ier.

Le 23 août 1836, nous nous embarquâmes à Naples à bord du Neptune, paquebot à vapeur d'une beauté remarquable et de la force de 120 chevaux. En passant entre les rocs gigantesques de Capri et le promontoire de Campanella (1), nous nous arrêtâmes devant le golfe de Salerne, mais la distance qui nous séparait de la côte ne nous permit pas d'apercevoir les temples de Postum.

Le soleil lançait ses derniers feux à l'horizon: c'était un spectacle sublime. Le flambeau du jour s'éteignit dans les ondes, et les ténèbres se répandirent sur les flots. Puis l'obscurité se dissipa: la lune presque dans son plein, apparut au ciel, versant sur le calme Océan sa lumière argentée. Nous nous penchâmes sur le bord du navire pour voir le phosphore glisser sur les ondes dont la brise du soir ridait la surface. Le dos des vagues nous paraissait doré ; et le paquebot, en fendant les flots, laissait derrière lui de larges cercles de feu que l'œil suivait encore long-temps.

Quand le lendemain matin nous montâmes sur le pont, nous vîmes que nous approchions de Tropoa, petite ville sur la côte de Calabre, où nous devions déposer quelques passa

(1) Où s'élevait autrefois le célèbre temple de Minerve.

gers et en prendre d'autres. Tropoa est située sur une chaîne de rochers escarpés qui avancent hardiment dans la mer. Le faîte de ses hautes maisons blanches est au niveau de la crête des rochers. La nature a ménagé entre les rocs une étroite baie qui sert de refuge aux petits vaisseaux. Derrière la ville on aperçoit de hautes collines, et sur leurs flancs raboteux se dessine la route en zig-zag qui conduit dans l'intérieur de la contrée ; on arrive, en suivant cette route, à Mileto, ville célèbre dans les chroniques normandes, comme la résidence et la sépulture des comtes normands de Calabre.

Le débarquement des passagers et le transport de leurs bagages ne se fit pas sans encombre et sans tumulte : nous perdîmes beaucoup de temps. Enfin, l'opération terminée, nous continuâmes notre route. A notre droite, nous découvrions la fumée des toits de Stromboli; à notre gauche, se déroulait lá côte de Calabre, âpre et saillante, et bientôt nos yeux distinguèrent le but de notre voyage, la Sicile.

Nous eûmes bientôt dépassé le phare, et nous entrâmes dans le détroit qui ne le cède en beauté qu'à celui de Constantinople. D'un côté, la côte de Calabre se hérisse d'une chaîne de montagnes hardies à laquelle correspond, sur le rivage sicilien, une rangée de collines moins élevées, mais plus riantes. Au pied de ces collines est située la brillante ville de Messine; la nature s'est chargée de lui creuser un port: c'est une certaine étendue d'eau entourée d'un large banc de sable en forme de faucille, ouvert du côté de la mer.

Deux ou trois forts assis sur des éminences derrière la ville, une haute tour antique de forme octogonale, de nombreuses églises, les nouveaux édifices élevés sur le quai et la forteresse de San Salvador qui garde l'entrée du port, sont les premiers objets qui frappent la vue, quand on approche de Messine. Je ne dois pas oublier de citer encore la coupole et le portique

d'une église qui s'avance sur le rivage, à un mille et demi de la ville, et qui, sans se recommander par un grand mérite architectonique, forme cependant un point de vue pittoresque et intéressant.

A mesure que la distance qui nous séparait de Messine diminuait, nous découvrions avec un profond regret les traces encore vivantes du dernier tremblement de terre dont les effets avaient été terribles. La-rangée de palais qui bordent le quai où l'art déployait autrefois ses merveilles, n'offrait plus qu'un triste pêle-mêle de débris. Il en est peu qui aient été complètement restaurés : le reste présente les ruines d'une colonnade dont l'aspect est aussi pauvre qu'il a dû être riche autrefois.

Avec l'idée qui m'avait conduit à venir visiter la Sicile, je ne pouvais manquer de trouver du plaisir à y aborder de ce même côté où les Normands y étaient apparus pour la première fois. Messine fut la première place qu'attaqua le comte Roger, la première cité qui tomba entre ses mains victorieuses. Il n'y avait alors, sur la rive, aucun boulevard pour protéger la ville. Ici Roger fit vou, si le succès couronnait son entreprise, de bâtir l'église qui a légué son nom à la forteresse qui lui a succédé. Là, aux dernières limites du port, s'élevait la vieille tour sur laquelle fut planté l'étendard du Christ, quand la ville fut prise, et dont Roger fit le beffroi de sa première cathédrale. La ville avait alors la même situation qu'aujourd'hui, mais quelle différence entre la Messine italienne, la Messine moderne, et la sombre cité mahométane avec son enceinte de murailles et de tours, ses mosquées et ses minarets, ses turbans aux deux couleurs, grecs et sarrazius. Le comte l'attaqua avec une poignée d'hommes; mais la valeur normande était invincible, et les chrétiens saluèrent bientôt le vainqueur de leurs cris de liberté.

CHAPITRE II.

peu

Il ne reste à Messine que bien de souvenirs de la conquête normande. Les deux églises bâties par Roger out disparu en entier. Celle de San Salvador fut démolie par CharlesQuint, et sur son emplacement s'éleva la forteresse qui commande l'entrée du port. Les ruines actuelles de St.-Nicolas ne sont que les restes de diverses reconstructions (1).

L'œuvre architectonique la plus ancienne que possède Messine est une partie de la cathédrale actuelle. Elle fut commencée par le comte Roger dans les dernières années de sa vie, vers 1098 (2), et achevée par le roi son fils.

Comme c'est le premier édifice normand que j'ai vu en Sicile, je me suis trouvé spontanément conduit à le comparer dans mon esprit, avec les œuvres contemporaines des Normands en France. Il ne m'a pas été difficile de comprendre qu'on avait suivi dans sa construction des principes tout différents, mais je me suis aperçu aussi qu'il avait avec elles beaucoup d'analogies. Les dimensions en sont considérables; son plan est celui de la Basilique latine. On y voit une vaste crypte. Les arcades du monument primitif, à l'exception de

(1) L'arcivescovo Pietro Bellorado ristoro San Niccolo nel 1509. Sampieri, Iconologia.

(2) Ego Gulielmus, Messanensium et Trainensium tertius Episcopus, ecclesiam Sanctæ Mariæ quam gloriosus comes Rogerius atque gloriosa Domina, comitissa Siciliæ et Calabriæ, de vilissimo stabulo restauraverunt, terreno servitio liberam facio. 1123. Rocco Pirro.

La cathédrale reçut le nom de nouvelle St.-Marie, l'année où le stratigo Andréa, à l'occasion de quelque solennité publique, assembla le peuple dans cet édifice. Ugone Falcando.

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