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péter au roi que Bonel était devenu l'idole de la populace, et qu'il pouvait bien chercher à accomplir ce qu'il accusait Maio d'avoir médité (1).

On sut bientôt que la vie de Bonel courait des dangers. Le baron s'était, par ses bonnes qualités, tellement concilié l'intérêt général, qu'il était devenu l'objet de la sollicitude de tous. Les plus résolus d'entre ses amis observant que, si Maio était mort, son esprit vivait encore dans le palais, crurent que la seule mesure efficace à prendre, était de détrôner le roi, et de proclamer, à sa place, le jeune duc d'Apulie, son fils. Il s'organisa alors une vaste conjuration dans laquelle entrèrent quelques-uns des plus puissants barons de Sicile, qui avaient, pour la plupart, de justes sujets de se plaindre du gouvernement de Guillaume. Au premier rang des conjurés étaient Simon, fils naturel du dernier roi Tancrède, fils naturel du frère aîné du prince régnant (2). Ils commencèrent par ouvrir les prisons d'état; étant ensuite parvenus à gagner les gardes du palais, ils pénétrèrent dans les appartements royaux. Des soldats furent chargés de veiller sur la personne de Guillaume; et les conspirateurs, le fils du roi à cheval au milieu d'eux, défilèrent dans les rues de Palerme en criant au peuple qu'ils l'avaient délivré de la tyrannie, et que le jeune duc d'Apulie était maintenant son souverain. Pendant ce temps-là, le palais avait été le théâtre d'une scène hideuse : une ignoble populace en avait brisé les portes, s'était jetée sur les eunuques dont le dévouement à Maio était à ses yeux un crime irrémissible, en avait égorgé un grand nombre et mis le reste en fuite. Ce fut alors le tour des Sarrazins d'éprouver ses fureurs : elle avait à leur repro

(1) Hugo Falcandus.

(2) Ibid.

cher la préférence outrageante que le roi leur avait toujours témoignée beaucoup furent mis à mort; les autres furent obligés d'abandonner la ville (1).

Dans le premier moment, le peuple fit cause commune avec les conjurés; mais son premier enthousiasme calmé, il s'éleva dans son esprit des doutes sur la justice de la déposition du roi. Du doute on passa à la pitié, et bientôt, au grand étonnement des chefs de la révolution, on en vint à demander hautement, de toutes parts, la liberté de Guillaume (2). Aiusi abandonnés, les conjurés se virent contraints de satisfaire au vœu du peuple et de sortir cux-mêmes de la ville. Dans cette conjoncture, Guillaume donna une preuve de cette énergie qu'il déployait toujours dans les circonstances critiques. H fit ouvrir la grande salle du palais au peuple, se mêla aux citoyens réunis, et leur adressant la parole avec bonté, il déplora les erreurs du passé, et promit pour l'avenir les bienfaits d'une meilleure administration (3). Longue vie à Guillaume! Longue vie à notre légitime souverain! Tel fut le cri qui, de tous les coins de la salle, vint saluer les nobles paroles du roi. Heureux le peuple si, ces promesses royales, le vent ne les eût pas emportées!

Les conjurés, qui avaient vu s'évanouir leurs espérances, levèrent l'étendard de la révolte. Guillaume se mit en devoir de les attaquer; mais comme il craignait que, lui absent, Bonel qui n'avait pris aucune part aux derniers troubles et

(1) Eunuchorum verò quotquot inveniri potuerunt nullus evasit. Multi quoque Saracenorum qui vel in apothecis suis mercibus vendendis præerant, vel in Duanis fiscales reditus colligebant, ab eisdem sunt militibus interfecti. - Falcandus.

(2) Falcandus.

(3) Tandem descendit in aulam quæ palatio conjuncta est, jussitque populum convocari. Falcandus.

y

avait obtenu son pardon, ne fit quelque tentative dangereuse, il l'invita traitreusement à venir au palais, le fit saisir, jeter dans un cachot, et le malheureux baron souffrit le supplice ordinaire de ces temps barbares: on lui arracha les yeux (1). Le roi avait alors le peuple pour lui : il y eut bien une petite émeute, mais on abandonna bientôt Bonel à sa sanglante destinée.

Le jeune duc d'Apulie, au nom duquel les conjurés avaient fait appel au pays, n'existait plus (2). On fit répandre le bruit qu'une flèche, qui ne lui était pas destinée, l'avait atteint dans le tumulte, mais Popinion publique fit justice de cette fable: il faut croire plutôt que, la première fois que le père et le fils se rencontrèrent à la suite des événements, où celui-ci avait été forcé de jouer un rôle, Guillaume, incapable de retenir son courroux, avait porté à son fils un coup qui avait causé sa mort.

les

Quand le roi se fut délivré de Bonel, il se mit en campagne à la tête d'une armée, composée en partie de Sarrazins, et tomba sur les places qui étaient au pouvoir des rebelles. Piazza fut détruite; mais il se vit, comme autrefois, arrêté par remparts inexpugnables de Butera, et contraint de permettre aux défenseurs de cette forteresse de sortir impunis du territoire sicilien (5). Après cette expédition, Guillaume se hâta de passer en Calabre, où le feu de la révolte mal éteint s'était rallumé. Aidé de ses Sarrazins, son triomphe fut complet, et

(1) Falcandus.

(2) Cum enim, ut alii aiebant, liberato patri puer applaudens occurreret, pater indignatus quod illum quasi sibi prælatum hostes sui regem appellaverant, repulit eum à se, et calce percussum quanti potuit impetu perturbavit. Unde vix ille digressus, ad reginam quæ passus fuerat pertulit nec multum posteà super vixit. Falcandus. (3) Falcandus.

il força les comtes de Loritello, de Fondi, d'Acerra et de Conza de se réfugier à la cour de Frédéric Barberousse (1), A son retour en Sicile, le tumulte régnait à Palerme : les cruautés du Gaieto Martin (2) auquel Guillaume avait laissé le commandement de la ville, avaient fait soulever le peuple. Pour venger un frère qui avait péri à l'attaque du palais, et dont il n'avait pu découvrir l'assassin, le féroce gouverneur avait enveloppé dans une affreuse persécution tous les chrétiens de Palerme. Il avait trouvé un digne auxiliaire dans la personne de Robert de Catalabiano, commandant de Castello di Mare, qui faisait souffrir aux prisonniers placés, par Martin, sous sa garde, les plus insupportables tourments (3).

Quand il eut appaisé la révolte, Guillaume, que les sévères leçons du passé n'avaient pu corriger, remit toute son autorité à Matteo de Salerne, créature de Maio (4), à l'évêque de Syracuse et au Gaieto Pierre (5), chrétien de nom, comme les autres eunuques du palais, et le plus odieux de tous, parce que, sous l'inspiration de Maio, il avait livré Mahadia au sultan de Morocco. Eutre ces triumvirs, le meilleur était l'évêque, mais ses bonnes intentions étaient toujours étouffées par les mauvais projets et les jalousies de ses deux collègues : c'est en vain qu'il voulait lutter contre leurs tendances sanguinaires, Pierre avait pour lui la faveur de la (1) Caruso.

(2) Falcandus. (3) Caruso.

(4) Falcandus.

(5) Gaietus Petrus, eunuchus, isque, sicut et omnes eunuchi palatii, nomine tantùm, habituque, christianus erat. Falcandus.

Ce nom de Gaieto était chez les Sarrazins un titre de distinction. Dans l'origine, il désignait en langue arabe un capitaine on commandant, mais plus tard on l'appliqua aux autres fonctionnaires ou aux personnages distingués. Le gaieto Pierre était premier chambellan du

ין

reine (1). Pierre n'était pas profondément méchant: il était doux et libéral ; il eût fait un bon usage de la pusisance remise entreses mains, si le souvenir qu'il avait gardé du massacre de ses frères Sarrazins, lors des troubles de Palerme et de Piazza, ne lui avait fait vouer une haine éternelle aux chrétiens de Sicile. Selon Falcandus, sous le triumvirat de Matteo, de l'évêque de Syracuse et de Pierre, le pays était plus mal gouverné, les lois de l'humanité et de la justice plus méprisées que si les forbans barbaresques fussent venus soumettre la Sicile à leur sanglante domination.

Quand Guillaume se fut affranchi de tous les soins du gouvernement, il retourna à ses anciennes habitudes: il s'enferma, comme autrefois, dans son palais, défendit qu'on vint le troubler par d'importuns rapports, et s'abandonna tout entier aux douceurs de l'inertie (2). Il avait toujours eu un goût prononcé pour l'architecture, et ce fut le seul point sur lequel il chercha à rivaliser avec son père. A diverses époques, ses palais avaient, par ses soins, augmenté en richesse et en splendeur, et il s'occupait alors de faire construire une villa qui devait surpasser en magnificence Favara et Mimnermus. Mais au milieu de ces soins importants, il fut attaqué d'une dyssenterie qui trompa l'art de tous les médecins de

palais. Au temps de Guillaume I, cette place était toujours remplie par un sarrasin; il en était de même de la plupart des autres charges de la maison du roi.

(1) Caruso.

(2) Rex autem familiares suos præmonuerat ut nihil eo quod mœstitiam, aut sollicitudinem posset ingerere, nunciarent, ac se totum deinceps voluptati devovens, cœpit animo latiùs vagari, cogitans ut quia pater ejus Favaram, Mimnernum, aliaque delectabilia loca fecerat, ipse quoque novum palatium construere quod commodius ac diligentius compositum, videretur universis patris operibus proemiFalcandus.

nere.

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