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La cérémonie religieuse terminée, le nouveau roi se montra à son peuple, le front ceint du diadême, et traversa à cheval les principales rues de Palerme au milieu des mêmes pompes qui l'avaient accompagné au temple saint. Le soir, le prince, les barons, les grands dignitaires de l'église allèrent s'asseoir à une table splendide où l'on mangea dans des plats d'or et d'argent. Tous les domestiques de service étaient habillés de

soie.

Depuis lors, Roger s'environna de tous les attributs ordinaires de la royauté. Les costumes et le cérémonial du palais furent presqu'en entier copiés sur ceux de la cour de Bysance (1). C'était là qu'on allait chercher, à cette époque, le modèle de l'élégance et du bon goût; c'était vers ses splendeurs qu'étaient incessamment tourués les yeux des Grecs de Sicile. On vanta bientôt partout la bonne tenue et la richesse de la cour de Palerme. Elle avait adopté la langue des Normands de France (2).

Ilse forma un Conseil privé, composé de sept grands officiers, que le roi présidait en personne (3). Ce conseil délibérait sur

(1) Abulfeda dit que l'on suivait à la cour de Palerme les usages des cours mahométanes. Ad modum principum moslemorum

Mais Albufeda était sarrasin.

(2) En 1168, le comte Arrigo dit qu'il ne pouvait rien faire à la cour sans l'assistance du chancelier, quia Francorum linguam ignorabat, quæ maximė necessaria esset in curiâ. Inveges, vol. 1, p. 400. (3) Ces sept officiers étaient :

Le grand amiral;

Le grand connétable, généralissime des troupes, de terre;

"Le chancelier, qui était commis à la garde du grand sceau;

Le grand justicier;

Le protonotaire ou secrétaire en chef;

Le chambellan, qui avait la surintendance des domaines hérédi

taires et des revenus de la couronne;

Et le sénéchal, qui dirigeait les affaires domestiques.

GREGORIO, lib. 11, c. 2.

toutes les matières ordinaires; on convoquait des parlements pour traiter des matières d'intérêt majeur.

Dans le cours de l'année 1131, le roi vint visiter la Calabre: étranger à cette science de dissimulation dont son oncle était un des plus illustres adeptes et que son père n'avait jamais cultivée, il rouvrit toutes les sources de troubles que son prédé cesseur avait si heureusement fermées. Trop sensible aux insolentes provocations de Richard, frère du comte d'Alifé, il se vengea en le dépouillant de toutes ses terres (t). Vers le même temps, l'épouse du comte, qui était sœur du roi, vint trouver Roger à Salerne et le supplia d'exiger de son mari la réparation des torts qu'elle avait si long-temps soufferts en silence. Le roi prit fait et cause pour elle et somma Raynulf de comparaître devant lui à Salerne.

Raynulf, que cet ordre blessa, au lieu d'obéir, se déclara en révolte ouverte, et secondé par ses anciens adhérents, il remporta sur les troupes royales, à Nocera, un avantage tellement décisif que Roger se vit forcé de retourner en Sicile pour organiser des forces plus imposantes. Ce fut en ce'te occasion qu'au milieu d'une furieuse tempête il fit vœu de bâtir une église s'il échappait à la mort qui le menaçait. Fidèle à son vou, il fonda la cathédrale de Cefalu.

Sur ces entrefaites, les barons rebelles se ménagèrent l'appui de l'empereur Lothaire et firent alliance avec les Pisans. Le roi avait besoin d'appeler à son aide toutes ses ressources pour faire face à l'orage. Durant plusieurs années, la Calabre vit son sol ravagé et ses villes détruites par les deux armées ennemies. L'empereur envoya des secours. Le pape lança ses anathêmes. Le roi tint tête à tout. Mais ce ne fut qu'en

(1) Alex. Celes. - Hug. Falcandus.

139, après la mort de Raynulf (1) que le succès commença à favoriser ses armes. L'imprudence d'Innocent II le mit bientôt tout-à-fait hors d'embarras.

Le souverain pontife, au désespoir de la mort de son puissant allié, poussa la témérité jusqu'à vouloir marcher sur les traces du belliqueux Léon IX (2). Il se mit à la tête de ses troupes, et vint en Calabre pour courber son front, comme l'avait fait naguère celui dont il suivait l'exemple, sous le joug du Normand vainqueur. Par suite d'une marche forcée et des plus habiles manœuvres, le roi enveloppa les forces combinées d'Innocent II et du prince de Capoue, et pour la seconde fois les Normands emmenèrent sous leurs tentes le Pape prisonnier. On l'entoura des mêmes respects que Léon IX, et Roger obtint de lui une reconnaissance éclatante de ses droits et la confirmation de son titre.

Cet événement mit fin à la guerre d'Apulie, et les barons ne levèrent plus, dans la suite, l'éteudard de la révolte. Le roi, après avoir imposé un tribut à la principauté de Capoue et au duché de Naples (3), licencia son armée; mais, avant de quitter la Calabre, il convoqua un parlement à Ariano, pour rétablir l'ordre dans les provinces que la guerre avait si longtemps désolées.

Les loisirs de la paix permirent à Roger de s'appliquer de nouveau aux matières de législation: il appela à sa cour un grand nombre d'érudits et de sages des pays étrangers, étudia les lois et coutumes de divers royaumes (4), surtout celles qui étaient l'ouvrage de son illustre compatriote, Guillaume-le

(1) Anno 1139 mori di febbre il conte Rainulfo cognato ed inimico del Re. Inveges, vol. II, pag. 225.

(2) Hugo Falcandus..

(3) Ibid..

(4) Gregorio. Considerazioni sulla storia di Sichia, lib. 11, c. 2.

Conquérant, et arriva ainsi à fonder un système de législation qui garantissait une meilleure administration de la justice. Sans contrarier les priviléges des seigneurs féodaux, il institua dans chaque province un tribunal indépendant, auquel appartenait le droit de statuer sur les appels formés contre les décisions des Cours de justice présidés par les stratèges et les vicomtes, délégués des barons,et dont les arrêts pouvaient encore être soumis à une grande Cour, ou Cour suprême, qui siégeait à Palerme. Le roi convoqua, à différentes reprises, des parlements dans les capitales de la Sicile et de la Calabre, pour qu'ils imprimâssent à ses établissements la sanction qui leur donnait force de lois et les rendait obligatoires pour tout le

royaume.

La manie des conquêtes inspira au roi, quand il eut comprimé toutes les dissensions intestines, le désir de porter ses armes en Afrique. Une flotte mit à la voile sous le commandement du grand amiral, George Antiochenus. Les villes de Mahadia, de Sifax et de Susa furent successivement attaquées et prises (1).

L'année suivante, le roi entreprit une expédition plus importante. La cour de Byzance s'était montrée hostile aux Normands depuis la conquête de la Calabre et de la Sicile. Roger n'avait pas oublié que les empereurs Grecs avaient fait plus d'une démarche auprès des empereurs d'Allemagne et des Etats vénitiens pour les. engager à marcher contre ses frontières. Une insulte récente que Manuel Comuène avait faite à la majesté des ambassadeurs Siciliens à Constantinople, donna l'élan à une haine qui n'attendait que le moment d'agir. Georges Antiochenus entra, à la tête d'une flotte imposante dans

(1) Rex Rogerius Siciliæ Tripolitanam provinciam in Africâ cepit. Cronica di Normannia.

la mer Adriatique et s'empara, presque sans coup férir, de l'île de Corfou. De là il s'avança dans le golfe de Lépante, et mettant ses troupes à terre, il prit et saccagea Thèbes et Corinthe (1); il recueillit dans ces deux villes un riche butin ; parmi les prisonniers qu'il emmena on comptait un assez grand nombre de fabricants de soieries, qui dotèrent, dans la suite, de leur art, l'industrie Sicilienne (2).

L'empereur Manuel, comme on devait bien s'y attendre, voulut user de représailles : il envoya le grand duc Etienne, à la tête d'une grande partie des forces de l'empire, mettre le siége devant Corfou. La flotte était si nombreuse, qu'il fut absolument impossible à l'amiral sicilien, d'approcher de l'ile. Dans l'espoir d'opérer une utile diversion, et de forcer l'empereur à tourner son attention sur un autre point, Georges Antiochenus sortit de l'Adriatique, se dirigea vers l'Archipel (3), et se montra à l'improviste sous les murs de Constantinople. Peut-être ne voulut-il que simuler une attaque, ou bien la prudence lui interdit-elle d'entreprendre un assaut sérieux ; quoi qu'il en soit, il ne fit que lancer quelques flèchies dans la ville (4), et il reparut dans la Méditerranée où il se trouva bientôt en présence d'une flotte byzantine. La victoire qu'il remporta fut si complète, qu'il força les Grecs de laisser entre ses mains Louis VII, roi de France, qu'ils avaient fait

(1) Rogerius rex Siciliæ iratus Manueli quod legatos suos de pace componenda missos contra jus gentium in carcerem conjecisset, classem Græciæ littoribus intulit, ac Corcyram, Thebas, Corinthum et Chalcidem ei eripuit. Sigonius, de Regno Ital., lib. XI, pag. 282.

(2) Hujus expeditionis illud memorabile fuit, quod eo tempore artifices serici conficiendi, in Siciliam, Italiamque, ex Græcia primum traducti sunt. Sigonius.

(3) Nicetas, lib. 11, c. 8.

(4) Nicetas.

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