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dant si l'on fait attention aux épaisses armures dont les soldats normands étaient couverts, au caractère de leurs antagonistes, aux jalousies nombreuses qui les divisaient, jalousie entre les Lombards et les Grecs en Calabre, entre les Grecs et les Sarrazins en Sicile, cette série d'athlétiques victoires commence à n'être plus un mystère. Et puis, qu'on jette les yeux sur ces exercices guerriers auxquels se livraient les Normands dès leurs jeunes années; qu'on se rappelle l'esprit chevaleresque et aventureux qui les animait ; et pardessus tout, cette haute confiance en ́ lui-même qui rendait le soldat normand invincible, et lui donnait à lui seul la force d'une légion entière, tout cela vient expliquer le développement rapide et prodigieux de leur domination.

CHAPITRE V.

A la mort de Roger, Simon, son fils aîné, fut reconnu comte de Sicile; mais comme il n'avait encore que dix ans, on confia la régence à la comtesse Adelaïde, femme vraiment habile, mais cupide et hautaine (1). Simon mourut au bout de quelques années, et la comtesse gouverna le royaume jusqu'à la majorité de Roger, son second fils. Ce jeune prince, par sa mâle contenance, son intelligence rapide et son avide désir de science, éveilla chez ses sujets un espoir qu'il devait surpasser par la suite.

A peine cut-il pris les rênes du gouvernement, qu'une ambassade arriva de Jérusalem pour solliciter, au nom du roi Baudouin, la main de sa mère (2). Ce qui avait tenté ce

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prince, c'étaient les richesses considérables qu'il savait que la comtesse possédait. La couronne qu'on faisait briller à ses yeux éblouit l'ambitieuse Adélaïde, et elle accepta avec cmpressement la proposition qui lui était transmise; mais s'étant aperçue, après deux ans de mariage, que Baudouin avait une autre épouse, elle revint en Sicile où elle mourut bientôt, au couvent de Patti qu'elle avait choisi pour asile, de rage et de désespoir.

Roger II se montra par sa conduite le digne successeur de son illustre père. Ce que l'un avait acquis à la pointe du glaive, l'autre sut le conserver par une administration pleine d'ordre et de sagesse : au conquérant succéda le législateur ; et bien que Roger vit son œuvre conservatrice interrompue par de longs temps de trouble, et qu'il ne pût toujours se soustraire à l'influence de l'esprit guerrier de son siècle, il faut cependant reconnaître qu'il eut constamment à cœur d'assurer, par des institutions utiles, des lois sages, des encouragements donnés aux arts, la prospérité de son royaume et le bonheur de ses peuples.

Les premiers actes de son administration furent de purger les grandes routes des voleurs qui les infestaient, et d'étouffer les symptômes de démoralisation et de désordre que la régence avait laissés après elle. Mais il lui fallut bientôt abandonner le rôle de législateur pour ceindre l'épée : il venait d'épouser Elvire, fille d'Alphonse, roi de Castille, quand le duc de Calabre, son cousin, sollicita le secours de son bras (1); son début dans sa nouvelle carrière fut brillant, et la concession de l'autre moitié de la souveraineté de Palerme que Roger Bursa s'était réservée, vint récompenser son courage (2). Le retour de la paix lui permit bientôt de remettre

(1) Ugone Falcando.

(2) Ibid., anno 1122.

à la voile pour la Sicile il reprit ses travaux pacifiques, et, grâce aux soins qu'il donna aux finances, les coffres de l'état ne tardèrent pas à être remplis.

Le duc Roger fut remplacé sur le trône de Calabre par son fils, qui mourut quelques années après sans laisser de postérité. Le comte de Sicile n'eut pas plutôt connaissance de cet événement, qu'il se mit en devoir de réclamer la succession : il se dirigea, sans perdre de temps, sur Salerne qui était devenue la capitale des états de Calabre (1).

Il eut à lutter contre les prétentions rivales de Boemond, et les volontés superbes des grands barons d'Apulie qui, sous le gouvernement débonnaire, mais faible, de leurs deux derniers ducs, avaient pris une habitude d'indépendance qu'ils ne se montraient pas disposés à abandonner.

La fortune lui fut favorable: Salerne, après quelque hésitation, reconnut ses lois; Amalfi suivit son exemple ; et Raynulf, comte d'Alifé, le premier capitaine de son siècle, se déclara en faveur de Roger (2). Mais Honoré II, qui occupait alors le siége de St.-Pierre, craignant que, si les Normands venaient à dominer des deux côtés du détroit, leur pouvoir n'ébranlât le trône pontifical, déclara qu'au pape appartenait le droit de décider entre les prétentions de Roger et celles de Boemond, et que le comte l'avait insolemment méconnu en cherchant à soutenir les siennes avant de les avoir soumises à la sagesse du légitime arbitre. Il accourut à Bénévent, lança les foudres de l'excommunication contre le comte de Sicile, et somma les barons d'Apulie de prendre la défense des droits de l'Eglise (3). Ceux-ci qui ne cherchaient qu'un prétexte pour se refuser à l'obéissance, répondirent avec joie

(1) Quantocyius Salernum contendit. - Alex. Celes., lib. I. (2) Alex. Celes., lib. I.

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à son appel. Le prince de Bari, le comte d'Orie, le comte de Brindes, et jusqu'au beau-frère de Roger, Raynulf, comte d'Alifé, le même qui venait de prêter au comte de Sicile serment de fidélité, tous allèrent se ranger sous les drapeaux du pape, et y furent rejoints par le prince de Capoue (1),

Un instant avait suffi pour changer la face des choses; Roger voyait alors se former contre lui une ligue redoutable; il allait avoir à combattre les armes temporelles et spirituelles à la fois. Sans perdre son temps en de vains conseils, il mit à la voile pour la Sicile, y rassembla des troupes imposantes, composées en égal nombre de Sarrazins et de Normands, et la Calabre le vit, au printemps suivant, reparaître sur son rivage. Après avoir obtenu la soumission des villes d'Otrante et de Tarente et emporté Brindes d'assaut, il vint offrir la bataille aux forces combinées de ses adversaires (2). Les deux armées demeurèrent quarante jours en présence sans engager le combat. Enfin les provisions étant venues à manquer dans le camp ennemi, et les désertions se multipliant de jour en jour (3), Honoré, dans la crainte de se voir abandonner de ses auxiliaires, jugea prudent de renoncer à continuer la lutte. Les barons firent hommage de leurs épées au comte, et la paix se rétablit.

Ce fut à la suite de ces événements que l'oncle materuel de Roger engagea le souverain de l'Apulie, de la Calabre et de la Sicile à prendre le titre de Roi (4). Cette idée ne déplut pas au comte ; mais comme il s'était fait une loi invariable de ne e; rien hasarder d'important sans prendre l'avis de ses conseillers légitimes, il convoqua un parlement à Salerne, et en élargis

(1) Alex. Celes., lib. 1.

(2) Ibid. Ibid.
(3) Ibid. Ibid.
(4) Ibid. lib. II.

sant les bases de cette assemblée, il jeta en même temps les fondements d'une constitution (1). Au lieu de se renfermer dans le cercle étroit de la réunion de Melfi, il invita tous les barons dont les terres ne relevaient que d'eux seuls, les dignitaires du clergé, et les citoyens les plus recommandables par leurs talents et leur sagesse, à faire partie de la nouvelle assemblée. Il leur soumit l'intéressante question soulevée par son oncle, et il s'ensuivit une longue et savante discussion. Enfin il fut décidé à l'unanimité que Roger prendrait le titre de roi (2) et qu'à Palerme serait célébrée la cérémonie du cou

ronnement.

Le jour de Noël de l'an 1130 fut un jour de fête pour tout le royaume ; ce jour-là, dit une ancienne chronique, on aurait pu croire que tout le luxe, toutes les richesses du monde s'étaient donné rendez-vous dans la ville capitale de la Sicile (3). C'étaient de brillantes tapisseries sur les murs ; sur le pavé des étoffes de soie et de velours aux fraîches ct éblouissantes couleurs. Le roi, armé de pied en cap, et monté sur un magnifique coursier, sortit de son palais, précédé des barons de Sicile, d'Apulie et de Calabre, dont les brides et les harnais resplendissaient d'argent et d'or. Le cortège fut reçu, sous le grand portail de la cathédrale, par neuf archevêques, dix-sept évêques, cinq abbés et une multitude de prêtres. L'archevêque de Palerme sacra le comte, et le prince de Capoue, en sa qualité de premier vassal du royaume, lui mit la couronne sur la tête.

(1) Salernum regreditur, extra quam non longè convocatis ad se aliquibus ecclesiasticis peritissimis, atque competentioribus personis, necnon quibusdam principibus, comitibus, baronibus, simulque aliis, qui sibi sunt visi, probatioribus viris, patefecit eis examinandum secretum. Alex. Celes., lib. II.

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