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leur ayons transmis, sur leurs projets, l'avis d'hommes éclairés et qui aient fait une étude spéciale du style de l'église que l'on veut réparer.

On n'a pas toujours pris toutes les précautions possibles pour ne pas mutiler l'extérieur d'une église, de l'apside, par exemple, dans la construction d'une sacristie. On a souvent élevé ce bâtiment, nécessaire à la vérité, sans se mettre en peine si on détruisait des colonnes précieuses par le travail, des corniches qu'on ne pourrait plus retrouver, sans trop s'embarrasser de concilier le besoin d'une sacristie avec l'importance de conserver des détails d'architecture du plus haut intérêt. Il est résulté de là qu'on a défiguré des églises qui méritaient l'attention des hommes instruits.

D'autres fois on nous a manifesté le projet de remplacer, par un parquet, des pavés formés artistement de compartiments en pierres de différentes couleurs, et qui appartenaient à une époque fort reculée. Il existe peu de ces sortes d'ouvrages dans notre diocèse. Nous devons conserver avec soin ce qui a échappé aux ravages du temps et du mauvais goût.

Nous ne devons pas omettre ici une observation qui peut avoir son utilité. Il y a des artistes ambulants qui exploitent le goût prononcé des campagnes pour les couleurs vives, et qui font, à un prix élevé, des peintures sans idées et souvent ignobles. Dans quelques paroisses on a fait exécuter de ces sortes d'ouvrages. Heureusement que l'humidité de nos montagnes les feront disparaître en peu de temps. Mais ils n'en ont pas moins fait dépenser un argent qui aurait pu être employé à une réparation nécessaire ou à un embellissement de bon goût. Il arrive de là qu'une église, régulière dans ses proportions, est comme rapetissée, rétrécie à l'oeil par ce fracas de couleurs, par ces imitations de marbres, et ces représentations même de marbres qui n'ont jamais existé. Ces sortes de

décorations, au lieu de porter au recueillement, provoquent les railleries des voyageurs et éloignent souvent les libéralités qu'on n'aime pas à voir servir à défigurer la maison de Dieu. Nous vous recommandons, Messieurs, de ne pas vous laisser séduire par ces peintres qui passent, et de ne pas croire facilement à leur talent dans l'art qui a illustré les Guide et les Raphaël.

Ce n'est pas seulement des édifices que nous avons à vous entretenir, nous devons encore signaler à vos soins d'autres objets qui ont leur mérite et que vous ne pouvez laisser ni se dégrader ni se perdre sans vous exposer au blâme des hommes éclairés qui cultivent l'archéologie acrée. On trouve dans plusieurs paroisses, sur la voie publique, des croix en pierre du XV. siècle, d'un travail remarquable. Quelques unes pous ont paru assez bien conservées ; d'autres ne tarderaient pas à se briser si on ne prenait les moyens nécessaires pour prévenir leur destruction. Veillez à ce que ces monuments de la foi de vos pères, et qui font honneur aux communes auxquelles elles appartiennent, ne souffrent aucune mutilation. Dans quelques églises, mais en petit nombre, il existe soit des stalles de la renaissance ou des siècles qui ont précédé cette belle époque, soit des reliquaires très anciens, soit des vases émaillés pour l'ablution des doigts, soit des tapisseries et des croix de procession du XVe siècle; les fabriques, ne comprenant pas tourjours le mérite de ces différents objets, omettent les précautions indispensables à leur conservation. Ce qui devrait être enfermé avec soin traîne long-temps sur les tables des sacristies, et passe par des mains négligentes et peu respectueuses pour l'antiquité. Dans nos visites pastorales, nous avons signalé à votre attention plusieurs de ces objets. Nous croyons devoir, dans l'intérêt de votre paroisse, défendre d'en aliéner aucun sans notre expresse permission. Quant aux vitraux peints, nous avons à déplorer de ne pouvoir presque en rien dire ; le

peu qui a échappé aux tempêtes politiques, et surtout aux restaurations du XVIII. siècle, ne suffirait pas pour orner une fenêtre entière. La paroisse de Saugnes est assez heureuse pour en posséder deux ou troix panneaux qu'elle sera toujours jalouse de conserver précieusement.

Veuillez aussi, Messieurs, nous prévenir quand vous apprendrez qu'une découverte qui peut intéresser la religion et la science aura été faite dans vos paroisses, comme si on venait à trouver des médailles, des monnaies, des inscriptions, des manuscrits, etc. Ce n'est pas uniquement dans l'intérêt des arts qu'un prêtre ne doit pas négliger ces recherches archéologiques ; il doit élever plus haut ses vues. Souvent la découverte d'un objet d'antiquité, d'une médaille, d'une inscription, d'un vase, peut servir à fortifier une croyance, à réfuter une erreur, à jeter une nouvelle lumière sur quelque passage.de l'Ecriture, à justifier la chronologie sacrée. Il nous serait facile de vous citer beaucoup d'exemples à l'appui de cette assertion. Nous ne croyons pas inutile d'en rapporter quelques-uns. Ils vous feront mieux apprécier le mérite des savantes investigations auxquelles on se livre aujourd'hui, et que les souverains pontifes out toujours encouragées.

On conserve dans la galerie de Florence une lampe de bronze, en forme de barque, qui fut trouvée à Rome dans le cimetière de Sainte-Priscille. Cet ouvrage appartient à la primitive église. On y voit deux personnages, saint Pierre, assis au timon, et saint Paul, debout à la prove, prêchant l'Evangile. Vous voyez sous quel symbole les premiers chrétiens avaient coutume de représenter l'Eglise de Jésus-Christ, et quel rang ils assignaient dans cette Eglise au prince des Apôtres. Saint Pierre et saint Paul sont placés dans ce monument important d'après nos croyances catholiques (1).

(1) Sulle imagini Dei SS. Pietro e Paulo, p. 24, par l'abbé Polidori.

Saint Grégoire de Nysse dit que saint Basile faisait hommage à Jésus-Christ de sa science profane, et s'emparait en quelque sorte des dépouilles de l'Egypte, pour les consacrer à Dieu et en orner le tabernacle de l'Eglise (1). Le clergé doit imiter ce grand docteur et suivre le conseil de saint Augustin, qui veut que les chrétiens prennent ce qu'il y a d'utile dans les livres profanes pour propager l'Evangile (2). Nous n'avons qu'à lire ce que l'évêque d'Hippone dit de l'érudition de Cyprien, de Lactance, d'Optat et de saint Hilaire. Comme il loue ces grands hommes de l'usage qu'ils ont fait de leur science pour assurer le triomphe de la vérité (3)! Ces sentiments sont si bien ceux de l'Eglise que, dans la capitale du monde chrétien, où toutes les études sont encouragées et cultivées avec succès, il y a une chaire destinée à défendre l'Ecriture au moyen des découvertes modernes de la philosophie naturelle.

Nous ne voulons pas dire, Messieurs, que l'intelligence du prêtre, effleurant toutes les connaissances, doit cueillir un peu de tout et ne rien approfondir en particulier. Ce serait s'exposer à ne rien savoir, pas même ce qui est absolument nécessaire pour remplir les obligations les plus sacrées de son ministère. Répéter au prêtre, ainsi qu'on le fait dans ces derniers temps, qu'il doit savoir un peu de tout, c'est lui tendre un piége d'autant plus perfide que, sous le spécieux prétexte de l'encourrager à l'étude, on le mènerait à Fignorance et on le rendrait un instrument inutile entre les mains de l'Eglise. Nous voulons dire seulement que le prêtre relèvera avec avantage la science

(1) De vitá Mosis. S. Greg. Nyssen., op. 1638, t. 3, p. 209. (2) De Doctri. Christi, lib. II, c. 40, op. t. r, part. 1, p. 42, Maur.

ed.

(3) Epist. D. August., lib. 1v, epist. 33, op. f. v, s. 264, ed. Paris,

1831.

sacrée, qui doit être sa continuelle et sa principale étude, par tout ce qu'il pourra emprunter à une érudition profane acquise dans sa jeunesse ou dans ses moments de loisir, et qu'il peut faire servir habilement à la défense de la vérité les richesses qu'il aurait le temps de puiser dans les trésors de l'autiquité païenne, dans les annales des peuples, dans les sciences naturelles. Mais avant tout, Messieurs, nous ne devons nous proposer qu'une seule chose, qui doit être l'objet de toutes nos pensées, le mobile de toutes nos recherches scientifiques, la raison de toutes nos études, l'occupation de toute notre vie : c'est de faire connaître Jésus-Christ et sa religion; c'est d'éclairer les esprits de cette lumière véritable que le Sauveur est venu apporter au monde, et d'embraser les cœurs de cette flamine de charité qu'il est venu allumer sur la terre. Loin de nous de vouloir apprendre uniquement pour savoir; ce serait, dit saint Bernard, une honteuse curiosité. Loin de nous le désir de savoir pour être connus, ce serait une honteuse vanité. Mais vouloir apprendre pour édifier le prochain, c'est la charité, comme c'est de la sagesse que de vouloir apprendre pour s'édifier soi-même (1). Ainsi parlait au clergé le saint abbé de Clairvaux; et nous ne croyons pas pouvoir terminer cette lettre d'une manière plus utile qu'en vous rappelant les avis de ce picux et éloquent cénobite.

(1) Serm. XXXVI, super Cant.

Na. Cette lettre, si bien pensée, ne fait que résumer les recommandations adressées depuis six ans aux ecclésiastiques par la Société Française pour la conservation des monuments; aussi le Conseil administratif a-t-il décidé, sur la proposition de M. de Caumont, qu'elle serait imprimée pour être répandue en grand nombre dans plusieurs diocèses.

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